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Moi parler joli français...

Les francophones peuvent-ils déjouer le provincialisme parisien ? Note de 2006. 

La francophonie littéraire est-elle un reliquat du colonialisme hexagonal, ou l’expression d’une réalité multiculturelle en voie de plus ample reconnaissance ? Un festival francophone largement déployé en France, qui fut aussi l’invité d’honneur du récent Salon du livre de Paris, suscitant une quantité de publications et, dans les médias, moult dodus dossiers (tels ceux du Magazine littéraire et de Libération), constituent autant de signes apparemment positifs, notamment pour la meilleure information du public. Celui-ci découvre, chez des auteurs rarement étudiés à l’école ou cités dans les anthologies, un usage de la langue souvent plus proche de son expérience vivante que le français plus « châtié » des écrivains de France. En outre, une circulation transversale s’établit entre les diverses communautés francophones à l’occasion de telles manifestations. « La langue française a un rôle fédérateur pour beaucoup d’auteurs hors de France», remarquait ainsi le romancier congolais Alain Mabanckou lors d’un débat public, où Bernard Pivot se félicitait pour sa part de l’enrichissement de la littérature française actuelle par ses « périphéries ».
Pourtant, la seule opposition d’un « centre » et d’une « périphérie » ne signale-t-elle pas une distinction de fait entre écrivains français de France, ou auteurs « naturalisés » par l’instance de consécration de Paris, et « francophones » d’outremont ou d’outremer dont seul Paris, une fois encore, désigne les mérites ? L’Académicien ex-avant-gardiste Robe-Grillet ne peut réprimer un sursaut d’horreur lorsque le romancier marocain Tahar Ben Jelloun a le front de lui demander s’il se considère lui aussi comme un francophone. Et quand Edmonde-Charle Roux, de l’Académie Goncourt, constate que Maurice Chappaz s’exprime dans « un très joli français », sans doute estime-t-elle lui rendre justice. De la même façon, les rédacteurs des nouveaux dictionnaires de littérature française qui accueillent désormais les francophones se considèrent-ils probablement bons princes en se « penchant » sur tel Vaudois, tel Antillais ou tel Algérien.
Du point de vue de l’édition, de la répercussion médiatique et de la diffusion en librairie, les francophones (province française comprise) restent cependant les éternels oubliés du centralisme parisien, et tous les débats lénifiants n’y changeront rien. Le Tunisien vaudois Rafik Ben Salah, dont le talent vaut bien celui de moult auteurs reconnus à l’enseigne de Gallimard ou du Seuil, reste ignoré en France du seul fait qu’il publie à L’Age d’Homme. De la même façon, lorsque Anne-Lou Steininger publie chez Gallimard un premier livre, les médias la célèbrent à Paris, qui ignorent aujourd’hui son nouvel ouvrage paru chez Campiche, pourtant meilleur que le premier…
Est-ce à dire que les francophones n’ont plus qu’à désespérer ? Si la gloire momentanée est leur seul objectif : nul doute. Mais les cultures francophones ont-elles forcément à se couler dans le moule français ? N’est-ce pas au contraire dans leur authenticité respective qu’elles vont produire des œuvres fortes, reconnues ou pas ? Un Georges Haldas, un Maurice Chappaz, un Jacques Mercanton, un Gaston Cherpillod, une Alice Rivaz ont-ils « perdu » quelque chose à ne pas quêter l’assentiment de Paris ?
Le grand écrivain mexicain Carlos Fuentes me disait un jour qu’en Europe, la France lui semblait aujourd’hui le pays le moins ouvert, le plus nombriliste,le plus provincial à certains égards. Et si rester soi-même constituait la meilleure parade au provincialisme parisien ?

Commentaires

  • Je suis tombé un jour, dans un bookshop de Lewes (Sussex) sur une revue littéraire anglaise des années 30. Un numéro était consacré à la Suisse, avec, entre autres, une grande section sur « the vaudois school». Le ton des articles n'était pas du tout celui condescendant du colon, mais plutôt celui du touriste curieux et a priori enchanté. Est-ce préférable? Je pense que oui. Il est temps d'oublier Paris et de traduire la littérature romande en anglais mais surtout en japonais, en russe et en chinois. Ecrivez pour le lecteur chinois, pour l'ébéniste russe, pour le chauffeur de taxi japonais et pas pour une anthologie parisienne qui ne vous accueillera jamais. Pour ce qui est de la langue, vous avez raison: il n' a rien à chercher à Paris non plus — ni la permission d'écrire en français, ni le certificat de bonne conformité d'aucune autorité académique.

  • Vous avez mille fois raison: écrivons pour le bibliomane du quartier de Kanda, à Tokyo, le pêcheur de thon de mer de Chine qui porte sur ses mains les idéogrammes de la ferme tenue, ou la coiffeuse roumaine exilée à Toronto. Ecrivons pour personne et pour tous. Et le plus joli français s'il vous plaît, foutredieu.

  • Ecrivez pour moi congolais qui vous lis d'un tout petit village français au bord de la méditerranée en buvant du thé du nord de l'Inde assis dans un fauteuil anglais dessinant sur du beau papier chinois avec des pinceaux japonais les yeux rivés sur un beau voilier grec piloté par un roumain...
    Eia!

  • Un auteur m'a confié avoir quitté la "grande maison" d'édition française, parce qu'elle l'avait catalogué/réduit/cantonné à cette collection "continents noirs" qui selon moi est une aberration, à moins d'être traduit depuis une langue africaine ou indienne, etc, je n'en comprends pas le "concept".

    "les francophones (province française comprise) restent cependant les éternels oubliés du centralisme parisien "... et lors de certains "salons" on vous regarde comme une curiosité : ça se voit tellement, que vous êtes de la province, vous avez l'accent, déjà si vous avez l'accent on ne vous prend pas au sérieux quand vous parlez, on sourit, et puis vous êtes "mal" habillée, si ça se trouve vous n'avez même pas envie de choisir vos vêtements, si ça se trouve vous en foutez, de l'apparence, et peut-être, vous ne venez même pas d'une ville, mais de la campagne, vous êtes une plouc, vous devez sentir le fumier et la gentiane, et en plus vous vous grattez (Paris, ça vous file des boutons) alors quand la Parisienne "célèbre" et habillée "chic" vous regarde méprisante et que quelqu'un vous dit, Emmanuelle, je vais vous présenter, vous la regardez bien dans les yeux en disant, heu..non, non, merci (avec l'accent).

  • Cher Bona, c'est en face du Boddhisatva Song rongé par les termites chinoises que je te pianote ces lignes baltes tandis qu'un autre masque dogon me surveille là-bas, entre un térébinthe ramené de Java qui ne réagit qu'au plain-chant syriaque que je module sur mon épinette florentine. Comme je te sais fou de Cendrars c'est à toi que je vais destiner ma prochaine note sur l'album qui vient de paraître chez Buchet-Chastel (directrice semi-autrichienne veuve de Polonasi) et réunit les portraits de Doisneau datant de leur rencontre en 1945. Moi saluer toi.

  • Ah ma pauvre Emmanuelle,

    J'allais vous contacter pour vous proposer une rencontre afin d'annoncer votre prochaine lecture mondaine à la BCU, mais à présent ça craint, vraiment j'hésite à vous voir si mal éduquée, si province profonde alors que sur mon alpage on essaie de rester guindé, enfin je vais d'abord lire votre livre dont on ne m'a dit presque que tu bien et ensuite plus si vous vous affinitez la moindre...

  • Merci grand seigneur!
    Que l'esprit de mes ancêtres kongo te protège, amico mio!

  • ...à la BCU c'est mondain ? ne me dites pas qu'une verrée c'est comme un "cocktail" ?! Ne vous inquiétez pas : c'est pas moi qui lit mais le "théâtre en flammes", et pour ma part j'essairai de ne pas dire trop de gros mots.

  • Mais non voyons je blaguais. Si c'était mondain je ne m'en occuperais pas. Hélas je ne pourrai y être car je suis cloué au sol par une méchante blessure. En revanche nous pourrions l'annoncer par un bref échange. Merci de me donner vos coordonnées par mail. A bientôt j'espère, en tout cas virtuellement...

  • Ce dossier suivant la réapparition de votre roman (en chantier) me comble d'aise. J'aime, Jean-Louis, mes sous-bois, où se cachent les jacinthes des bois, les violettes, les cèpes solitaires, les fougères et les écureuils, quelque sanglier au groin terreux, les biches poursuivies par les cerfs, un geai perdant une plume bleue , les châtaignes dans leur habit de piques et les feuilles qui crissent sous les pas : les sous-bois de mes éditeurs préférés.

    Pour les grandes maisons "parisiennes" ? Aveuglées par leurs préférences et leurs prix de jaloux, elles ne connaissent plus l'ombre douce et voluptueuse des sous-bois : tant pis pour elles et vivent nos promenades dans nos Brocéliandes où dansent Mélusine et Merlin l'enchanteur...
    Dîtes, comme il est beau votre roman en chantier !

  • Paris est devenue la capitale du ridicule, en effet.
    La coupure Paris/Province ou Paris/Francophonie si vous voulez est au moins double. Il y a la coupure ancienne, héritée de l'Ancien Régime et renforcée par le jacobinisme républicain, entre Paris et Province, laquelle se redouble médiatiquement (ou littérairement, puisqu'hélas, ici, ces termes diffèrent peu), Paris médiatique/Paris capitale. Cette capitale du ridicule est une sorte de hameau finalement, où chacun passe sa vie à guetter son voisin, une sorte de réserve d'ahuris béats (essentiellement béats d'eux-mêmes, d'ailleurs).
    Je m'arrête là.
    Merci à vous.

  • Ce petit croquis , frôlant la caricature, est très amusant, Pascal Adam. Merci

  • Enchanté, Pascal, de découvrir votre blog. Tous avons pas mal de tout faux communs, pauvres de nous.

  • Le nombrilisme parisien a cet avantage de permettre aux autres "provinciaux" cul-terreux et autres ""étrangers" bruyants et odorants" (si on en croit le précédent roitelet de ce village d'irréductibles béotiens) de se faire une idée très précise de ce qui n'est pas le bon goût mais la "bonne parole" ou plutôt "le bien penser"!

    Foi de parisien amoureux de Brocéliande.

    A bientôt ici ou ailleurs.

  • Pigiste larron, ce n'est pas la première fois que je souris en vous lisant. Serions-nous dans le grand village des irréductibles ? Celui où il fait bon rester des heures à rêver sous le feuillage d'un mot ou à rire de tout ce qui ne tue pas. Nous sommes bien ici, n'est-ce-pas ?

  • Je suis démasqué mais de la plus belle façon qui soit.
    Aussi, ce sourire que vous dites avoir en me lisant et que je dédie à JLK, je me l'offre,si vous le permettez, en guise de couverture, qui permettra, dans cette nuit qui s'annonce joyeuse, à mon esprit, enfin au repos, tel un chemineau du bitume, de vagabonder vers cette terre où, effectivement, tout est risible sauf ce qui blesse.

    Bonne nuit et à bientôt ici ou ailleurs.

  • Le sourire est l'arme des doux. L'alarme des attentifs. Or il y a autant d'inattention et de suffisance chez la cousine Bette de toutes les provinces francophones que chez la Verdurin germanopratine. Ce que je veux dire n'est absolument pas contre Paris mais contre la condescendance de ceux qui s'imaginent donner le ton sans en avoir les moyens. Ce qu'écrit Houellebecq contre Jérôme Garcin ou Pierre Assouline est d'une cousine Bette idiote, mais je ne le dis pas pour flatter ces confrères parisiens, qui sont aussi des lecteurs compétents et des passeurs - qui plus est de vrais écrivains. Ainsi de suite. Et vive la rue de Paris...

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