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Sous le regard de Dieu

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Pasternak disait écrire « sous le regard de Dieu », et c’est ainsi que je crois écrire moi aussi, sans savoir ce que cela signifie. Disons que ce sentiment correspond à l’intuition d’une conscience absolue qui engloberait notre petit texte de rien du tout dans une grande partition chaotiquement harmonieuse. Ce sentiment relève de la métaphysique plus que de la foi, mais je n’en suis même pas sûr. Il n’est pas d’un croyant, ou pas au sens des églises et des sectes, mais cela aussi se discute. Il oscille entre la philosophie non académique, le Grand Récit de la science tel que l’évoque un Michel Serres, l’art et la poésie, l’Eros et la tragédie, Apollon et Dionysos, Rabelais et Pascal, le Christ et le Zen, mais je le voudrais à l’instant sans référence aucune.
J’écris tous les jours « sous le regard de Dieu », mais  je n’écris que pour moi, non sans penser à toi et à lui, à elle et à eux. Je ne suis personne en cet instant, mais je suis à la fois un gosse de sept ans jouant au parc Monceau, une vieille femme assise sur un banc à Cracovie, un prostitué californien du nom de Dale Bradley, un collectionneur des autographes de Purcell, un âne immobile dans le champ fleuri d'à coté, l’organisatrice des concerts de clavecin du quartier de la Muette, un punk des faubourgs de Belfast, Roméo et Juliette, Paul Cézanne ou Louis Soutter qui ne signent pas leurs tableaux, le modèle damné de Monsieur Ouine que je relis pour la énième fois, ma bonne amie et nos filles chéries actuellement en Colombie et en Jordanie, les cendres de mes parents dans leur humble tombe commune.
Ecrire « sous le regard de Dieu » ne se réduit pas à une soumission peureuse mais nous ouvre à la liberté de l’amour. Celle-ci va de pair avec la gaîté et le respect humain qui nous retient de caricaturer Mahomet autant que de nous excuser d’être ce que nous sommes. L’amour de la liberté est une chose, mais la liberté d’écrire requiert une conscience, une précision, un souci du détail, une qualité d’écoute et une mesure du souffle qui nous ramène « sous le regard de Dieu ».

Peinture JLK: Arrière-pays, huile sur panneau, 2007.

Commentaires

  • Cézanne est bien dans ces lignes ! Bonne continuation !

  • Ecrire sous le regard de Dieu ou d'une quelconque force supérieure est quelque chose qui m'avait frappé dans les dires de certains artistes exposés au musée d'art brut, Raphaël Lonné, Augustin Lesage et d'autres... Enfin, s'il faut vraiment des références :-)

  • « Le ciel étoilé au dessus de moi ». Combien de fois n’a-t-on pas dit pour ces quelques mots ordinaires que Kant, sous les décombres d’un style roboratif, entrevoyait la grâce. Sous les pesanteurs de la métaphysique, le sacré. Au dieu rétréci aux dimensions de la science de l’au-delà, préférer l’expérience du cosmos. L’Etre, toujours, mais humanisé d’une dureté glaçante, celle de la fin inscrite dans les rayons du soleil, celle de la disparition de notre galaxie percutant dans une gerbe insensée sa plus proche voisine, Andromède, celle du terme de l’espèce humaine, si l’on en croit les biologistes, 5 milliards d’années, 3,7 milliards d’années, 10 millions d’années, des chiffres qui ne disent plus rien, des chiffres que leur extravagance rend impuissants à n’être autres choses que les concepts purs a priori d’un monde rongé par la dessiccation, des chiffres, pourtant, qui ne demandent qu’à être contemplés, le soir, levant la tête, sans raison, sans moins de raison qu’il y a à la tenir baissée, et compter jusqu’à l’ivresse ces points lumineux que l’on croirait à portée de mains et qui pourtant, pour partie, ont déjà cessé d’exister. Et ce grand frisson qui s’abat, ce froid absolu seulement troublé par l’émiettement à venir des briques de la vie et de leur étirement sans fin dans l’éternité désertée de lumière, la longue procession de tout ce qui fut et ce qui sera – immarcesciblement. Alors, contemplant le ciel, alors délaissant les philosophes, alors oubliant les Dieux, reste cette joie intime mêlée de peur, celle de n’être rien, d’être voué au néant, mais contrairement à ce monde aveugle qui passe aveuglément, d’en avoir conscience. Et se mettre à écrire, avant que notre temps soit passé, sans oublier, de temps en temps, de lever la tête vers le ciel, pour ne pas oublier.

  • Eh bien ces mots n'ont pas pris une ride ! Bien amicalement !

  • Merci Ray. Comment va le livre ? Comment va Cézanne ce matin ?

  • Non ! je ne peux vous suivre sous cette "lumière"-là, JLK - excusez mon athéisme militant et puis ce retrait, je me sens comme une tortue qui replie ses pattes ou un escargot qui se planque, et puis j'ai envie de vous demander si le regard de dieu n'est pas plutôt dans la tombe, et qu'il vous regarde, Jlk : je me sens dure et lointaine...

    J'ai l'intime conviction que la lumière des écrivains, la lampe sous laquelle ils écrivent, n'a rien de divin -mais qu'elle est tout ego, oui. Histoire personnelle, coïncidences, hasards de l'existence, rencontres fortuites -tant que vous voudrez. Nécessité existentielle aussi, of course (pour bibi, un père sourd, voilà qui vous donne envie de donner de la voix). Mais injonction divine ? Non, à d'autres, Jlk, j'ai presque envie de vous dire "pas avec moi", et puis je me reprends.

    Je suis ici chez vous, si je ne peux respecter votre parole, autant m'en aller tout de suite...

    Pourtant, pourtant, à tout prendre, j'aurais préféré que vous eussiez écrit : "j'écris sous le doigt de dieu". Celui qui coince les rats dans l'angle des pièces, si vous voyez ce que je veux dire. Mais c'est de la cruauté, ce que j'écris là, alors que je ne veux pour rien au monde vous blesser... excusez donc ma franchise, et ses mots, que je n'aurais pas écrits s'ils ne témoignaient, une fois dépassée ma réaction épidermique, de l'estime que j'ai pour vous.

    Clopine

  • Cézanne est radieux ! Quant au prochain livre, il se termine, lentement, comme toujours avec Cézanne !

  • Vous ne me blessez pas du tout, Clopine, je dis ce que je ressens, vous dites ce que vous ressentez, et chacun est libre d'aller, de venir, de railler, de respecter ou pas, j'ai cru noter cela sans une once de dogmatisme, c'est encore trop pour le dogme athée à ce vous semblez exprimer, mais qui vous demande de croire contre votre sentiment à quoi que ce soit, si ce n'est à ma bonne foi...

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