UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Peindre l'eau du désert

 

1c572093d0f0c36c4faa55da2811bda3.jpgNotes pratiques

Ce qu’il faut évidemment, pour peindre l’eau du désert, c’est apprendre à en voir chaque goutte de sable et ensuite les mettre ensemble sur la toile, ça c’est le conseil de papa : il faut. « Le matin, quand on est abeille, pas d’histoire, faut aller travailler », notait pour sa part l’oncle Michaux.
Donc j’essaie depuis deux jours de peindre du sable et de l’eau et le grain du ciel d’un bord de grève où deux enfants jouent. J’en avais tiré une espèce de petit poème de rien du tout en trois minutes, le Number One de mes Œuvres poétiques complètes, qui en comptent sept à ce jour.
Voici le poème en question :


Petites filles à la mer
Dans les herbes hautes, on voit leurs chapeaux
de paille claire, avec des rubans ;
elles se dandinent un peu
sur la dune molle ;
on les sent légères :
il s’en faut de peu qu’elles ne décollent
de l’arête soufflée par le vent ;
puis elles disparaissent un instant,
puis on les revoit, plus menues –
entre-temps elles ont pressé le pas ;
tout en bas la mer brasse et remue
son pédiluve à grand fracas ;
mais elles connaissent,
ça ne les impressionne pas :
elles y vont tout droit, juste pour voir,
si c’est si froid qu’on dit ;
elles sont jolies,
dans la lumière belle ;
il n’y a qu’elles
sur le sable gris.


Cela pour le sentiment. Mais peindre la chose est une autre affaire, j’entends : peindre le sable et la lumière du sable, peindre le détail des choses sans s’y arrêter, peindre la couleur de chaque grain de lumière et que tout ça bouge ensemble et chante la moindre, peindre avec cette petite notation des carnets de Bonnard en point de mire : « Que le sentiment intérieur de la beauté se rencontre avec la nature, c’est ça le point ». Monsieur Bonnard qui écrit en 1946 au milieu de l’Europe en ruine: «Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture ». Ou ceci : « Celui qui chante n’est pas toujours heureux », qui me rappelle le chapitre de Tzvetan Todorov consacré à Rilke, mal fichu à vie, recevant de Rodin le premier conseil: de ne faire que travailler, et le second conseil de Cézanne ensuite : de travailler sans discontinuer.
Les carnets de Monsieur Bonnard, c’est du matin au soir et tous les jours, guerre ou pas guerre. D’ailleurs en 1945, voilà ce qu’il trouve à peindre au lieu d’un hymne à la Paix ou à la Liberté : des baigneurs au soleil couchant. Le sable du premier plan est jaune chiné de vert céladon et de rose pompon avec plein de blanc comme le décrit scientifiquement le bon Théodore Monod du Musée de l’Homme de retour du désert. La mer est faite de cent bleus et de cent verts friselés d’écume, et le ciel au-dessus est une fusion de mauves orangés sur fond d’ocre sable comme si le ciel était un peu le reflet suspendu du sable du rivage. Et là au milieu fulgurent une douzaine de taches d’or orangé humain visiblement insouciantes des séquelles de la guerre. Et Monsieur Bonnard de noter sur son carnet, mais c’était en 1939 : « A l’instant où l’on dit qu’on est heureux, on ne l’est plus ».
C’est le relatif de l’absolu que Rilke a bien connu. Monsieur Bonnard note encore : « Mallarmé / La recherche de l’absolu ». Et lui aussi est de l’aventure, Monsieur Bonnard, malgré son air placide, vaguement égaré, l’air aux abonnés absents mais pas du tout : abeille pointeuse dès le matin.
Tout le reste il n’y a que la peinture qui le dit. La pensée de la peinture ne se pense qu’en regardant ce qui n'a été pensé que par la peinture, disait à peu près Merleau-Ponty à propos de Cézanne. Et ça continue.
A la fenêtre de ce matin le noir est une couleur et nous sommes, salut Kerouac de notre jeunesse éternelle, on the road again. Encore une journée divine, disait la Winnie du vieux Sam, et même si ça ne se voit pas à l'instant ça y est presque. Sur son nuancier Monsieur Bonnard détaillait tel jour froid de beau temps comme il s'en prépare un rude à l'instant: Violet dans les gris. /Vermillon dans les ombres orangées, sauf qu'ici dans la neige ce sera plutôt du mauve dans les blancs crayeux et du bleu d'eau de fonte dans la terre d'ombre... 

W.Turner, aquarelle.

Commentaires

  • Aimer à aimer, travailler à aimer et aimer à travailler, travailler à travailler, en cadence, dans l'atelier. Quelle belle galère...

  • Surtout quand on entend, d'un atelier l'autre, des voix amies de votre Qualité...

  • au sujet de rilke et rodin, il y a actuellement une peice au theatre de mouffetard a paris

    elle concerne la relation entre les deux artistes
    j en ai fait un commentaire sur mon blog

    http://www.salgues.net/?p=492

    bonne lecture et bonne piece si vous allez la voir

Les commentaires sont fermés.