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L'humour d'Alfred Hitchcock

Une oeuvre à redécouvrir

Un cliché réduit le génie d’Alfred Hitchcock à l’art du suspense, alors qu’il y a beaucoup plus que cela dans les observations, les préoccupations et les obsessions de ce conteur moraliste qu’on pourrait dire « par procuration » puisque, le plus souvent, il part d’histoires ficelées par d’autres, se révélant du même coup un formidable lecteur. Pourtant on retrouve, jusque dans ses films les plus « fatigués » de la toute fin, comme Le rideau déchiré, une touche absolument personnelle qui les distingue de films contemporains peut-être meilleurs mais moins originaux.
L’ami Pierre Gripari me disait qu’il ne suffisait pas, pour un romancier, d’avoir quelque chose à dire, mais qu’il lui fallait quelque chose à raconter – et cela, qu’on dira le plot, l’intrigue, se retrouve à tout coup dans les films d’Hitchcock. Les meilleurs fondent les deux éléments en une forme immédiatement singulière, dès A l’Est de Shangaï (1932) et jusqu’à Pas de printemps pour Marnie (1964), deux échecs publics retentissants soit dit en passant. Or ce qui me frappe à (re)voir tous ces films en enfilade, de Sueurs froides (19589 aux Oiseaux (1963) ou du sublime Rebecca (1940) à Frenzy (1972), c’est l’inépuisable richesse d’observation en matière de signes mimiques ou gestuels (tout ce que Hitch fait ajouter par ses comédiens au script), le sens qui en découle, et plus encore l’humour fou qui survole le combat éternel de l’homme et de la femme, du noble et du vil, du bourreau (ou de la bourrelle) et de la victime.
On se souvient des impayables apparitions du cher Hitch à la télévision, feignant de s’excuser d’avoir à présenter tel ou tel crime affreux. Dans Frenzie, la brusque érection d’un pied de femme morte hors d’un sac de patates pourrait résumer son humour, dont le burlesque touche à des abîmes. Oui, le crime est incongru, à la fois atroce et cocasse. L’acte de griffer ou de tuer, de se battre ou de forniquer est moins lisse que ne le dit le cinéma ou la littérature de convention. Un romancier ne peut pas ne pas imaginer qu’un amant (même Cary Grant en pleine forme) s’empêtre dans sa culotte au moment stratégique ou que le suicide d’une désespérée dans le Tibre (c’est dans Le Sheikh blanc de Fellini) rate faute d’eau, et que la vie reprenne ses droits.
L’incongruité du crime, autant que les accrocs de la passion romantique ou les ratés de l’exercice érotique, ressortissent à l’humour. Non pas à la rioule facile mais à l’humour profond, qui mêle indissolublement tragique et comique. Or de cet humour, qu’il serait réducteur de ne dire que noir, les films d’Alfred Hitchcock sont pleins…

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