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Le roman d'un romancier

En lisant Le Maître de Colm Toibin

A La Désirade, ce lundi 17 octobre. – Le brouillard venait d’arriver à nos fenêtres cet après-midi, noyant tout à coup le feuillage flamboyant des arbres alentour, lorsque j’ai commencé de m’enfoncer dans la brume mélancolique de ce grand roman de Colm Toibin tout plein de la présence à la fois douce et réservée, infiniment poreuse sous ses airs compassés, de l’Henry James des dernières années, à partir de la terrible humiliation qu’a représenté le fiasco de Guy Domville, sa pièce présentée à Londres en janvier 1895, et jusqu’à l’automne 1899.
Or il suffit d’en lire quelques pages pour se trouver littéralement immergé dans la substance sensible d’une vie qu’on sent à la fois empêchée et faite pour être aussitôt transformée en roman, chaque vide donnant un plein et chaque douleur un exorcisme de fiction. Avant le désastre du théâtre St James, où sa pièce est huée par le public alors même qu’il assiste, au Haymarket voisin, au triomphe du Mari idéal d’Oscar Wilde, Henry James se rappelle un épisode de ses jeunes années qui lance le leitmotiv, courant à travers tout le roman, de son penchant homosexuel aussi lancinant que refoulé, recoupant ensuite les thèmes de l'enfant mystérieux (dont sortiront Le tour d’écrou et Ce que savait Maisie) et de l'être hyperdoué mais incapable de vivre, avec le récit des délires et de la fin tragique de sa sœur Alice.
Bien plus qu’un roman biographique, Le Maître est le roman du romancier-médium par excellence, que l’auteur fait revivre avec un mélange de profonde empathie et d'intelligence re-créatrice, qui établit d'admirables liaisons entre une vie et ses projections compulsives et nous vaut de très beaux portraits. Le regard de l’Américain sur l’Angleterre plastronnant en Irlande, le sentiment de l’homme de cœur démocrate que sa fortune personnelle n’empêche pas de compatir avec les miséreux de sa terre d’origine, la curiosité obsessionnelle du romancier à l’égard des tribulations d’Oscar Wilde (jeté en prison peu après qu’il lui a ravi la vedette), son besoin d’exorciser ses hantises par de nouveaux romans, tout cela forme une substance vivante et vibrante qui rappelle la somptueuse musique crépusculaire des Vestiges du jour de Kazuo Ishiguro, en plus ample et en plus pénétrant aussi. Je n’en suis à l’instant qu’à la fin du premier quart, mais ce Maître fait montre en effet d’une impressionnante maestria…

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