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Le droit de mal écrire

Des francophones et du paternalisme parisien

Tout petit Romand l’a vécu en colonie de vacances ou sur telle plage du Club Méd : dès qu’il s’exprime au milieu de camarades parisiens au « parler pointu », le pauvre enfant s’expose à la raillerie. C’est en effet à Paris qu’en langue française on parle comme il faut ; c’est là qu’est tacitement édictée la loi du langage dont certains, il y a deux siècles de ça, se réclamaient déjà pour donner à Jean-Jacques Rousseau, le « citoyen de Genève », des leçons de purisme. Celui-ci est d’ailleurs revendiqué, souvent, par ceux-là même qui ont dû l’affronter et s’y plier. Ainsi aura-t-on vu, dans la périphérie francophone, et notamment en Belgique et en Suisse romande, du bas en haut de l’échelle académique, de véritables surveillants de la langue rappeler le devoir de correction et de soumission aux «déviants » régionalistes.
Pour les écrivains romands, la situation est à la fois plus simple en apparence et plus compliquée en réalité que pour certains de leurs pairs francophones. Plus simple, du fait que la langue unifiée ne pose guère de problème à l’ensemble des auteurs de Suisse française, « guéris » depuis belle lurette de l’usage des divers patois. A cet égard, le Romand se sent sûrement moins contrarié dans sa pratique que le militant provençal du félibrige ou que l’adepte québecois du joual. Plus compliquée, cependant, en cela que le meilleur écrivain romand ne sera pas forcément le plus « pur » aux yeux du Français, ni non plus le plus « typique » aux yeux des siens. Ramuz en est un exemple, autant que Chessex et Chappaz, dont chacun a un ton lié, plus qu’à un parler local : à un habitus particulier.
Une langue, même unifiée et « gouvernée » par une Académie solennelle, n’en a pas moins des racines diversifiées, et parler français dans la Creuse de Jouhandeau (dont la mère écrivait pourtant comme une marquise parisienne, tout de même que la mère de Corinna Bille), au Québec de Michel Tremblay ou aux Antilles de Patrick Chamoiseau, ne revient jamais à pratiquer tout à fait la même langue. La pureté du Français de France se nourrit d’ailleurs de ces affluents multiples, comme l’ont illustré Rabelais ou Céline, et d’ailleurs la reconnaissance manifestée par celui-ci à un Ramuz est des plus significatives.
Dans Le droit de mal écrire, Jérôme Meizoz montre bien montré comment, parallèlement aux transformations politiques, la relation de la Suisse romande et de la France s’est modifiée, dans le champ littéraire, pour parler bourdieusard, jusqu’à l’émergence d’une littérature partiellement auto-suffisante, quoique toujours liée à la double référence linguistique et sociologique du « français de Paris » et des « instances de consécration de la métropole.
Dans le sillage de Rousseau (revendiquant le parler romand comme l’expression de valeurs affirmées, tout en restant très classique dans son expression) d’Amiel oscillant entre Genève et Paris ou de Benjamin Constant récusant toute appartenance à la culture romande, de Rodolphe Töpffer (dont le langage s’entrelarde volontiers de tournures locales, illustrant un helvétisme croissant), et jusqu’à la Lettre à Bernard Grasset de Ramuz qui pose admirablement l’ambivalence des liens unissant les « ténèbres extérieures » de la francophonie et la Centrale parisienne, les auteurs actuels continuent de pratiquer cette valse-hésitation, tiraillés entre leur désir de paraître à Paris et leur insertion dans une culture à part entière, laquelle reste largement méconnue à Paris. Etiemble écrivait, dans la préface d’un livre de Maurice Chappaz, que « les écrivains qui n’ont point la chance d’être nés dans l’Hexagone sont souvent considérés comme des bâtards », affirmant ailleurs qu’un Eluard né en Valais serait resté aussi méconnu que ledit Chappaz, à qualité poétique égale...


Un nouveau provincialisme
Dans la foulée, il serait intéressant d’étudier aujourd’hui l’évolution actuelle de cette relation en articulant, à la question du « mal écrire », celle du « mal lire ». De fait, si le rapport à la langue demeure fondamental pour tout écrivain, la question de sa réception se pose de plus en plus, avec Paris, en termes sociologique et commerciaux. Paris n’a plus aujourd’hui beaucoup des grands écrivains ni des grands critiques qui fondaient naguère sa légitimité, mais la conviction d’être toujours le centre du monde s’est accrue dans le sens d’un nouveau provincialisme. Par effet collatéral, les provinciaux médiatiques de francophonie ne reflètent plus, dans leurs aires respectives, que les productions « consacrées » par l’édition parisienne. Il fut un temps où les meilleurs critiques parisiens lisaient et connaissaient les auteurs romands ou wallons, de même que les meilleurs critiques allemands lisent naturellement les auteurs suisses alémaniques. Actuellement, on en revient à une sorte de néo-colonialisme se parant de plumes de la pluralité et d’un mondialisme de pacotille, où la seule valeur tient en réalité à « ce qui se vend » ou à « ce dont on parle ». Ainsi découvre-t-on Nicolas Bouvier en ses dernières années, dans l’effet de mode des écrivains voyageurs, après l’avoir snobé des décennies durant.
Je me fais toujours un plaisir badin de rappeler les propos radiophoniques de Madame Edmonde-Charles Rox, au jour de la remise d’une Bourse Goncourt de la poésie à Maurice Chappaz, relevant quel « être exquis » était l’écrivain valaisan qui, de surcroît, écrivait « un si joli français »…
A propos de ce persistant paternalisme culturel, Jérôme Meizoz donne quelques autres exemples piquants des réactions qu’il suscite entre Montréal et Pointe-à-Pitre, citant notamment Raphaël Confiant au moment où l’écrivain précise le sens d’une expression antillaise « en français de France » sur lequel il ajoute, « ô très sainte Académie », qu’il « chie solennellement »…
Jérôme Meizoz. Le droit de « mal écrire ». Quand les auteurs romands déjouent le « français de Paris ». Editions Zoé, collection Critique.

De haut en bas: Nicolas Bouvier, Raphaël Confiant, Michel Tremblay et Maurice Chappaz

Commentaires

  • J'aimerais bien mal écrire comme ces quatre là. C'est curieux si on m'avait demandé quels écrivains j'ai rencontré, j'aurais eu de la peine à en trouver deux, (le seul qui me serait venu à l'esprit étant Jean Rouaud, un souvenir mitigé) et pourtant je les ai rencontré tous les quatre.
    J'ai un grand souvenir de Michel Tremblay il y a deux ans au Théâtre de Poche et de Bouvier il y a plus longtemps à Annecy. Tremblay nous avait expliqué comment il avait imposé son joual contre l'avis des colonisés québecois qui ne voyaient l'avenir de leur littérature que dans une obéissance stricte aux règles du seul Français de France. Il est souvent plus difficile de se battre contre les colonisés que contre les colons. Une de ses grandes satisfactions était la traduction (et le succès rencontré) de ses pièces dans un dialecte écossais qui jouit d'un rapport à l'anglais semblable au rapport du joual au français.

  • Au-delà de ce problème de la langue il y a celui de la reconnaissance symbolique. Mieux vaut être édité à Paris qu'en Wallonie ou au Québec car dans ce cas l'écrivain n'est reconnu que par ses pairs. Il se retrouve cantonné malgré lui dans une espèce de régionalisme alors qu'il peut par ailleurs avoir produit une œuvre à caractère universel. Les auteurs suisses ou wallons qui ont bénéficié de la reconnaissance française ont dû sortir de leur pays pour aller vivre dans l’Hexagone. Ce fut le cas par exemple de Simenon ou de Félicien Marceau. Dans ce cas, ils sont assimilés à des auteurs français. Ceux qui sont restés « au pays » doivent au moins avoir été édités en France s’ils veulent un soupçon de légitimité. Les autres n’existent pas. Qui connaît les Wallons Adamek, Bourdouxhe, Malinconi, Plisnier ?

    On me dira que le même problème se pose pour les régions de France et qu’il vaut toujours mieux être édité à Paris qu’en province, mais la situation est cependant différente. En province on trouvera des maisons d’éditions plus petites certes, d’un prestige moins grand, mais qui néanmoins bénéficieront d’une bonne diffusion en librairie.

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