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Lectures croisées

A propos de Chestov, Witkiewicz, Dantec et Larbaud...

A La Désirade, ce mercredi 22 septembre. – « C’est un grand art, écrivait Léon Chestov à ses filles, un art difficile, que de savoir se garder de l’exclusivisme vers lequel nous sommes inconsciemment entraînés par notre langage et même par notre pensée éduquée par le langage. C’est pourquoi on ne peut se limiter à un seul écrivain. Il faut toujours garder les yeux ouverts. Il y a la mort et ses horreurs. Il y a la vie et ses beautés. Souvenez-vous de ce que nous avons vu à Athènes, souvenez-vous de la Méditerranée, de ce que nous avons vu lors de nos excursions en montagne, ou encore au musée du Louvre. La beauté est aussi une source de révélation ».


C’est à propos des deux Tolstöi, du romancier brassant la vie à pleine mains dans Guerre et paix, et de l’auteur de La mort d’Ivan Illitch, marqué par le jugement radical qu’un bourgeois jouisseur porte sur sa vie au moment de la perdre, que Chestov met en rapport les « révélations de la mort » et tout ce que nous avons reçu de la vie.
Or je pensais à cela ce matin en lisant simultanément Sur la balance de Job de Chestov (qui contient précisément l’insondable méditation du penseur sur Dostoïevski révélé à lui-même à l’instant précédant son exécution, soudain différée, et sur le dernier Tolstoï, dans Les révélations de la mort), les poèmes d'A.O. Barnabooth de Valéry Larbaud, les premières pages de L’inassouvissement de S.I. Witkiewicz et celles de Cosmos incorporated de Maurice G. Dantec.


A propos de ces deux derniers, cette lecture rapprochée m’a fait entrevoir tout à coup cette évidence : que tous deux, tous deux mégalomanes et catastrophistes, sont hantés par l’ambition folle de tout dire. Witkiewicz, plus artiste et plus cultivé à l’ancienne, est sans doute celui des contre-utopistes du début du XXe siècle qui a le plus génialement préfiguré notre époque de fuite dans le bien-être et cette folie généralisée que représente la norme actuelle, en englobant conversations essentielles et observations perso-collectives dans tous les domaines de la sexualité ou des révolution sociales, de la politique locale et mondiale, avec la montée des totalitarismes et la fuite dans les sectes religieuses – or on était en 1925. A l’autre bout du siècle, l’ambition de Dantec se veut plus scientifique et paramystique, sa mélancolie est d’un autre ordre que celle de Witkacy, mais le début de Cosmos incorporated impose une vision que je suis impatient de voir se déployer…

A côté de cela, les grâces de Barnabooth n’ont-elles pas quelque chose de suranné et de futile ? Absolument pas. Larbaud est aussi "sérieux", à sa façon, que le fulminant Dantec à dégaine de prophète punk;  et là je rejoins Chestov qui nous rappelle que la littérature n’est « exclusive » que pour les niais ou les hystériques se jetant au feu pour UN poète ou pour UN philosophe.
Mais non, et je donnerais bien des pages graves pour ces trois vers de Centomani, dans les poésies de A.O. Barnabooth où, évoquant la course des « lents et lourds et noirs express Naples-Tarente » le voyageur se remémore cette vision :


« Il y a une maison de paysan, en ruines,
Inhabitée, sur un des murs on a écrit
En français, ces mots peut-être ironiques : Grand Hôtel.
La prairie, à l’entour, est pâle est grise ».
Et le poète de murmurer encore :
« On  a dit que l’endroit était nommé centomani.
J’y suis venu souvent, pendant l’été 1903.
C’est une partie de ma vie que j’ai passée là,
Oubliée, perdue à jamais…
Arbres, ruines, talus, roseaux du Basento,
Ô paysage neutre et à peine mélancolique,
Que n’eûtes-vous cent mains pour barrer la route
A l’homme que j’étais et que je ne serai plus ? »

Commentaires

  • Eh, pas mal du tout...
    Je découvre votre dernière note avec plaisir.
    Sur Cosmos Inc. :
    http://stalker.hautetfort.com/archive/2005/08/31/cosmos-incorporated-de-maurice-g-dantec.html

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