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Une possibilité de bonheur



En Lisant Les grand-mères de Doris Lessing

A La Désirade, ce dimanche 11 septembre. – C’est un livre qu’on lit en coup de vent et qui touche pourtant au cœur, je l’ai traversé en une heure avec le sentiment de « lire » une possibilité de bonheur liée à une folle liberté prise, folle et si naturelle à la fois, scandaleuse apparemment et si légitime, rare mais donnée ici comme une grâce.
De fait, Les grands-mères de Doris Lessing pourrait être dit le roman de la grâce heureuse, à la fois idéale et interdite, même s’il n’a rien de réellement transgressif. C’est l’histoire d’une amitié totale entre deux petites filles restées inséparables à l’âge d’être femmes. Elles forment un vrai couple sans être lesbiennes pour autant, comme leurs fils uniques s’aimeront sans êtres gays. Les deux amies à la vie à la mort sont Roz et Lil; leurs deux garçons, Tom et Ian.
Roz, forte nature très portée sur le théâtre, a fait fuir Harold qui se sentait si peu exister aux yeux de sa jeune femme, laquelle a refusé de le suivre dans la ville universitaire où il espèrait l’emmener, loin de Lil. Quant à celle-ci, elle n’a même pas à s’occuper de son conjoint, qui trouve satisfaction avec d’autres avant de se crasher dans un accident de voiture.
Sur ce rivage marin à l’éternel beau temps, aéré en permanence et où leurs maisons proches ont l’air d’être toujours ouvertes, les belles jeunes femmes voient grandir leurs garçons jusqu’à l’âge d’incarner de jeunes dieux, lesquels radieux éphèbes deviendront assez naturellement leurs amants, en parallèle parfait. C’est une possibilité de bonheur, nous souffle Doris Lessing en menant son roman comme une joviale mise en scène, laissant cependant toute liberté à ses personnages et à la vie. Surtout c’est une modulation sur le thème de l’amoureuse complicité, au sein d’une famille élargie qui se fait clan à l’approche des belles-filles, et c’est enfin une rêverie sur l’utopique jeunesse éternelle renvoyant non au désenchantement mais à l’acceptation malicieuse de la réalité pleine de si délicieux souvenirs.
Le roman commence et s’achève par un fracas, après la découverte par Mary, la femme de Tom, des lettres d’amour que celui-ci a adressées à Lil, sa maîtresse de vingt ans son aînée. Roz éclate de rire quand elle comprend que Mary a compris la nature des amours croisées qu’ont vécues les deux « grand-mères » et leurs fils, et le quatuor en restera un peu mélancolique à vrai dire, mais « c’est la vie », à laquelle les amants ont fait un beau pied-de-nez, et ma foi tant pis pour les jeunes épouses qui n’ont plus qu’à inventer leur propre liberté en fondant une petite entreprise en crâne tandem, au dam du clan…
Chère vieille Doris insolente et si jeune de cœur à 86 balais. Je me rappelle notre rencontre fortuite au jardin du Luxembourg, il y a presque vingt ans de ça, une heure avant notre rendez-vous chez son éditeur. L’ayant reconnue après qu’elle se fut assise sur mon banc, je lui avais souri dans le soleil, et, le regard vif, elle m’avait souri à son tour en constatant que je lisais « quite a good book », puisque le bouquin n’était autre que le sien… Ensuite elle avait éclaté de rire en me voyant arriver pour l’interviewer, et nous avions parlé de son livre et de la vie comme si nous nous connaissions depuis longtemps…

Doris Lessing. Les grand-mères. Flammarion 2005, 127p.

Commentaires

  • Doris Lessing, je vois ce nom et brutalement je me souviens de son superbe roman "le Carnet d'or". Ce roman s'articule autour de quatre carnets, un noir, un rouge, un jaune et un bleu, comme si on pouvait séparer les choses qui font notre existence.Un livre important pour moi.
    Après votre chronique, il ne me reste plus qu'à me procurer son dernier roman

  • C'est une espèce de Mère Courage africaine. J'intrigue pour qu'elle aie le Nobel d'octobre prochain, mais ces cons de suédois regimbent (c'est une ancienne communiste, disent-ils). Moi ce qui me frappe c'est que l'âge l'allège. C'est comme Saul Bellow dans Ravelstein: à un certain âge les écrivains s'envolent. Jean Rhys était aussi comme ça, quand elle était si saoule qu'elle restait coincée dans la lunette de ses toilettes et qu'un jeune homme devait la désincarcérer, par exemple moi avec une bouteille d'Aquavit. La vieillesse est reine quand elle a le visage de Doris Lessing, à laquelle ressemble Liv Ullman dans Saraband. Avez-vous vu Saraband ? Il n'y a rien de plus beau que Saraband. Voir Saraband et ne plus jamais mourir...

  • Oui, j'ai vu Sarabande sur Arte. Je me souviens particulièrement du début où Liv Ullman nous regarde et montre des photos.
    J'ai lu quelques romans de Jean Rhys. Cette femme était d'une lucidité à faire peur.
    Doris Lessing a déja écrit sur la vieillesse dans " les carnets de Jane Sommers : si vieillesse pouvait ". J'avais prélevé cette phrase dans un de mes carnets : "Etre vieux ne signifie pas forcément être débile [...] Ils sont trop dépendants du bon vouloir des gens. Les gens très vieux font peur, sont trop menaçants et nous ne pouvons le supporter ; ils sont tous là comme des symboles de notre propre mort, aussi voudrait-on en faire de bons petits enfants. Pour notre tranquillité d'esprit ".

  • Il y a aussi les vieux qui nous rajeunissent. J'en ai rencontrés. Et puis il y a ceux qui n'ont pas d'âge. Je connais une vieille Indienne qui a tous les âges. Elle se reproche de ne rien savoir après avoir tout appris à nos enfants. Elle aura 90 ans en novembre prochain. La Municipalité va lui offrir un Fauteuil. Elle a préparé la hache pour en faire du petit bois...

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