UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une rentrée à surprises


Une fois de plus, la présentation de la rentrée littéraire française relève de la gageure, s’agissant de plus de 600 ouvrages dont beaucoup ne sont même pas parus. Comme s’il ne devait y avoir qu’un Evénement, les uns attendent le dernier Houellebecq tel un messie, alors que d’autres y vont de leur contrecoup de cœur. Ainsi certains prônent-ils Jean-Yves Cendrey et son instituteur pédophile, dans Les jouets vivants (à L’Olivier), tandis que d’autres encensent plutôt Waldenberg, ample traversée du XXe siècle à l’écriture profuse (chez Gallimard), signée Hédi Kaddour.
Entre rumeurs flatteuses et premiers échos de déceptions (Régis Jauffret, Jean Hatzfeld ou Philippe Claudel), chacun se fera son chemin de Poucet…
Pour notre part, et en attendant diverses « pointures » supposées faire elles aussi l’événement de demain (Salman Rushdie, Ismaïl Kadaré, Bret Easton Ellis ou Maurice G. Dantec), nous nous en tiendrons ici à dix premières lectures de qualité, dont plusieurs furent d’épatantes surprises.
Celle que réserve Alexandre Jardin avec son Roman des Jardin ayant déjà été détaillée en ces colonnes, passons aussitôt à l’éberluant Dictionnaire égoïste de littérature française (chez Grasset) de Charles Dantzig, fabuleux labyrinthe de lecture où, de La Fontaine à Max Jacob et Valéry Larbaud, en passant par l’éloge de l’adverbe, l’influence de l’âge sur la lecture ou la crétinerie mesquine du Journal inutile de Morand, sur près de 1000 pages, notre langue est à la fête sous la plume libre et très aimante d’un merveilleux grappilleur.

Autre régal immédiat : La méthode Mila de Lydie Salvayre (au Seuil), où Descartes en prend plein la raison raisonneuse sous les coups d’un endiablé quidam, déstabilisé par la tyrannique maladie de sa mère et auquel la rencontre providentielle de ladite Mila va révéler les vertus de l’intelligence du cœur.
Cette même pénétration sensible caractérise Pascale Kramer qui, avec L’adieu au nord (au Mercure de France), rend parole à un couple de jeunes paumés bouleversants, dans un décor à la Simenon et un mélange unique de réalisme glauque et de tendresse.
Intelligence encore mais dans le domaine de la fable, avec le non moins surprenant Acide sulfurique d’Amélie Nothomb (chez Albin Michel), qui pousse à l’extrême la logique de la télé-réalité en imaginant la mise en spectacle d’un camp de concentration.
Autre fine mouche à miel : Cookie Allez (chez Buchet-Chastel, dans la collection de plus en plus recommandable de Pascale Gauthier), excelle une fois de plus, avec Le Masque et les plumes, dans le genre du roman-conte acidulé qui en fait une descendante directe de Marcel Aymé. De la même famille nous paraît aussi Claire Wolniewicz (chez Viviane Hamy) dont Ubiquité, formidable variation sur le thème du dédoublement de personnalité d’un Monsieur tout-le-monde initialement gris rat, est une autre surprise de cette rentrée, d’autant plus remarquable que c’est un premier roman.
Est-ce à dire que nous ne trouvions de bons becs qu’aux bonnes femmes ? Que non point : car voici le pantagruélique non moins qu’hypersensitif Alain Gerber, consacrant les 600 pages de l’ « histoire d’amours » de Lady Day… à Billie Holiday (chez Fayard). Et décidément nous ne sortirons pas de cet enjuponnement grave, tant il est vrai que L’art de la joie de Goliana Sapienza, autre découverte de Viviane Hamy, fait indéniablement figure de révélation, sous la forme d’une vaste chronique italienne rappelant le fameux Guépard de Lampedusa, dont la beauté de la langue, l’originalité des observations et la profusion des superbes personnages n’ont guère d’équivalent… dans le roman français de ces messieurs.
En attendant d’accoster sur l’île possible, dont on sait déjà que le locataire cloné est un phallocrate à tout casser, notre dernier choix, nullement surprenant celui-là, s’est porté sur La force de conviction, le nouvel essai (au Seuil) de Jean-Claude Guillebaud, qui a ce grand et rare mérite de s’effacer devant le génie des penseurs d’hier ou d’aujourd’hui (dans le sillage direct d’un Jacques Ellul) pour mieux en éclairer les apports. Le grand thème de cet essai passionnant, d’ailleurs également très présent à ce qu’on dit dans le roman de Michel Houellebecq, est le besoin fondamental que l’homme éprouve de fonder son existence sur une croyance, avec tous les écueils de la crédulité ou de la fuite sous ses multiples formes, au seuil d’un âge nouveau en persistante quête de spiritualité.


Cet article et la chronique consacrée à Michel Houellebecq ont paru dans l’édition de 24Heures du 30 août.






Les commentaires sont fermés.