La fièvre d’hygiène et de vertu qui sévit de concert avec l’industrie polluante et le commerce de la pornographie ne peut qu’inciter à la réaction vive : à bas tout ça et retour à Baudelaire qui disait qu’« il faut être toujours ivre » sans confondre pour autant ivresse et « défonce » imbécile.
Dans le même esprit, Georges Picard enchaîne aussi bien : « La seule ivresse qui me convient est singulière. Je déteste les paradis collectifs, fussent-ils d’alcool, de drogue, de prière, d’enthousiasme politique ou sportif ». A l’opposé de la « masse éthylisée », l’ivresse du poète taoïste sous la lune ronde ou la sainte godille de Malcolm Lowry de bars en bars, sous le volcan, relèvent d’une compulsion qui n’a rien de recroquevillant ou d’anesthésiant mais au contraire visent à l’extase, à tout le moins à l’exacerbation joyeuse de la perception. Cela étant, Picard s’inscrit en faux contre l’idée, somme toute bourgeoise, que l’alcool (ou la drogue) aiguisent la pointe du génie, même si quelques exemples prouvent qu’il ne l’avachit pas forcément non plus. « La bonne ivresse ne libère que les meilleurs instincts », relève encore l’auteur, avant d’ajouter que « la plupart des individus boivent bêtement ».
Confessant illico qu’il n’aura jamais bu pour se désennuyer, Georges Picard n’est jamais ennuyeux non plus dans cette suite de réflexions et de digressions qu’on ponctuera d’autant de verres d’eau claire ou de vin à belle robe, selon l’heure et l’humeur…
Georges Picard. Du bon usage de l’ivresse. José Corti, 165p.