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L'ange venu des eaux

Lumière de la lagune, de Hanns-Josef Ortheil

 L’image des jeunes pêcheurs à l’arc de Carpaccio, immobiles sur leurs barques et visant les eaux de la lagune, m'est revenue à la lecture de la première scène de ce beau roman, marquée par la découverte, une aube automnale de chasse au canard en ces mêmes lieux, d’un jeune homme entièrement nu et d’une stupéfiante beauté, tenu pour mort dans un premier temps, et qui se relève bientôt mais sans mémoire de ce qu’il fut. Autant dire que c’est une sorte de revenant d’un autre monde que le comte Paolo di Barbaro, noble Vénitien conduisant la chasse et qui a confié le mystérieux jeune homme aux moines d’un couvent, retrouve peu après pour constater, chez celui qui ne se rappelle ensuite que son nom d’Andrea, des dons bien singuliers voire tout à fait hors du commun. Il y a en effet de l’ondin chez ce nageur prodigieux connaissant tout de la vie animale et végétale du royaume des eaux et capable d’en dessiner les moindres détails avec une virtuosité qui laisse le comte, grand amateur d’art, littéralement baba. Pourtant le grand personnage se laisse tirer l’oreille avant de prendre le jeune prodige à son service, qui l’en supplie avec une insistance têtue. Or le premier mouvement de défiance de Barbaro se justifiera par la suite, l’ange de la lagune se montrant par trop humain à l’approche de certaine jeune fille chère au comte – mais n’en disons pas plus. L’essentiel du roman n’est d’ailleurs pas cette « affaire », si révélatrice qu’elle soit des instances de la chair et de la passion amoureuse, mais tient à l’immersion progressive que l’auteur nous ménage dans l’univers de la peinture, à la bascule de deux époques. Constatant les dons naturel de son pupille, le comte l’initie à la peinture des maîtres vénitiens Guardi et Canaletto, dont Andrea décèle les « mollesses » avec un regard qui s’apparente de toute évidence à celui d’un Turner, préfigurant en outre les visions d’un Monet. Significativement, ce n’est pas devant le motif que le génie pictural d’Andrea s’accomplira, mais dans la réclusion sévère que lui a valu sa « faute » et qui lui donne, du moins, le temps et la concentration requis pour une véritable recréation du monde en ses reflets recomposés dans le tourbillon d’une sorte de remémoration proustienne.

Les romans qui parviennent à combiner érudition et fantaisie, réflexion sur l’art et mouvement romanesque atteignent rarement le point de fusion (et d’effusion) qui scelle la qualité de Lumière de la lagune, confirmant l’originalité d’un écrivain déjà remarqué à la parution des Baisers de Faustina, où il était question du jeune Goethe à Rome. Ce nouveau roman d’Ortheil n’a rien, certes d’un « pavé de plage », et c’est tant mieux n’est-ce pas qu’il se distingue de trop de sous-produits destinés à « tuer le temps ». Un tel livre, captivant et plein de grâce, rend au contraire le temps plus vivant, et quelle plus belle façon que de rêver à Venise ?

Hanns-Josef Ortheil. Lumière de la lagune. Traduit de l’allemand par Claude Porcell. Seuil, 332p.

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