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Jean-Marc Lovay à sa source



Amorce psychédélique d’une oeuvre, à découvrir à titre anthume...

Lorsque nous avons appris que l’ Epître aux Martiens de Jean-Marc Lovay allait paraître, plus de trente ans après que ce texte eut obtenu le Prix Nicole 1969, en même temps que Pour mourir en février d’Anne-Lise Grobéty, nous étions loin de nous douter de ce que serait cette exhumation.

L’histoire du tapuscrit perdu de ce premier roman d’un tout jeune auteur (Lovay, né en 1948, avait 19 ans lorsqu’il le composa !) dont ne parut qu’un extrait, dans la revue Ecriture, n’a jamais fait l’objet d’aucune déploration publique qui pût faire croire à une irrémédiable perte. Trente-six ans après avoir écrit ce texte en marge de son travail de nuit à la rédaction de la Feuille d’Avis du Valais, l’auteur lui-même rappelle, en préface à cette édition, qu’il avait d’autres chats à fouetter en 1968, du côté de l’Afghanistan, qu’à établir des archives qui le poursuivraient “comme des chiens de papiers” dans ses voyages.

La parution, en 1970, de La tentation de l’Orient, son dialogue épistolaire “on the road” avec Maurice Chappaz, et celle des Régions céréalières chez Gallimard, en 1976, avec l’adoubement de Louis-René des Forêts, Pascal Quignard et Jean Grosjean, allaient ensuite éclipser le souvenir de la fantomatique Epitre, dont un pré-tapuscrit fut cependant retrouvé en avril 2000 par Maurice Chappaz dans son galetas de l’Abbaye du Châble, avant que Lovay lui-même ne tombe, en automne 2001, sur une première version originale et une copie définitive du livre “dans une cave entre un vieil aspirateur et un pied de sapin de Noël”. Et de souligner dans la foulée, avec sa malice très particulière, qu’il repousse “une complaisante propension à trop humblement estimer naïf un premier livre de jeunesse” dont le lecteur découvre, aussi bien, la remarquable cohérence du délire apparent.

Il y a certes, dans Epitre aux Martiens, une forte marque d’époque, qui l’apparente à toute une contre-culture dont les figures référentielles (mais non explicites) pourraient être le conteur crépusculaire Buzzati et le routard Kerouac, le Burroughs visionnaire du Festin nu et divers auteurs de science fiction contre-utopique tels Ray Bradbury ou Philip K. Dick, entre autres.

L’histoire de Julot, le protagoniste résolu à “tout quitter” pour accéder, après avoir franchi une muraille, à la “sombre nouveauté” d’un pays dominé par la Production auquel il s’efforce de s’intégrer avant de basculer dans une sédition aussi ambiguë que son adhésion, relance apparemment les thèmes et les stéréotypes formels de toute une littérature devenue redondante et même conventionnelle aujourd’hui, notamment par la bande dessinée. Or, l’ Epître aux Martiens échappe à ce qui est devenu conformisme par une sorte d’écart originel.

Il est beaucoup question, dans ce livre d’avant mai 68, de “révolution”. Hélas (ou tant mieux ?) Jean-Marc Lovay n’a jamais été un révolutionnaire bien sérieux. Son Julot nous évoque plutôt le Moravagine de Cendrars ou les individualistes “allumés” de Zamiatine, pour ne pas citer le futur “suicidé de la société” qu’incarne le poète Maïakovski, jamais adapté à la mécanique sociale. Le regard de Lovay sur la société des années 60 est évidemment d’un môme occidental, mais une espèce de vieux fonds terrien et sauvage le rapproche du Cendrars de Moravagine et de L’Homme foudroyé autant que du Farinet de Ramuz ou de son mentor Chappaz, enfin de cette Suisse sauvage qu’on retrouve, au milieu des allées peignées, chez le génial Louis Soutter ou chez le plus inquiétant Adolf Wölffli.

Ainsi que le relevait Charles Méla, professeur de littérature médiévale à l’Université de Genève, dans un texte d’hommage pertinemment intitulé Jean-Marc Lovay ou la création hallucinée, “l’écriture de Jean-Marc Lovay fait exister un univers mental hanté par la folie, un monde de machinations fantastiques et d’agressions obsédantes dont l’exploitation est conduite avec rigueur, humour et dans une coéhrence angoissante”.

On n’entre pas dans le labyrinthe de Jean-Marc Lovay comme dans un moulin. Pour notre part, nous y aurons mis des années. Or l’Epître aux Martiens en est une porte possible…,

Jean-Marc Lovay. Epître aux Martiens. Editions Zoé, 125p.

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