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Philip Roth "pornocrate" ?

Lecture de La bête ui meurt 

 

En exergue de La bête qui meurt figure cette sentence de la romancière irlandaise Edna O’Brien, considérée par Philip Roth comme l’un des meilleurs auteurs anglophones actuels: “L’histoire d’une vie s’inscrit dans le corps tout autant que dans le cerveau”. Au fil de l’entretien des deux écrivains reproduit dans le recueil intitulé Parlons travail, Edna O’Brien remarque que sa vie sexuelle a été essentielle dans sa vie de femme et d’artiste, “comme elle l’est sans doute pour tout le monde”. Et de préciser ceci qui renvoie également au dernier roman traduit de Philip Roth: “Pour moi, c’est tout d’abord une activité secrète qui a un caractère mystérieux, prédateur”.

Ce double aspect secret et sauvage du sexe constitue en effet une part de la substance de La bête qui meurt, de même que la sourde force pulsionnelle court à travers toute l’oeuvre du romancier américain, du célébrissime Portnoy et son complexe à La tache, dont une page évoque une “aventure tardive des sentiments” annonçant le sujet même de ce livre. Si le romancier souligne l’importance de l’instinct et de la peau dans l’attirance réciproque des individus, et si David Kepesh, protagoniste du roman, reconnaît le primat de la “baise” dans ses rapports avec la jeune fille de quarante ans sa cadette qui lui tombe dans les bras, les sentiments et le jeu complexe des relations de séduction et de domination alternée dégagent le récit de la “pornocratie” dénoncée en toute mauvaise foi par un Angelo Rinaldi, pour en faire une histoire profondément humaine où la “blessure de l’âge” atteint deux êtres, le premier par le vieillissement et la deuxième par le cancer. Sans provocation ni cynisme particulier, David Kepesh (comme l’auteur) décrit précisément le mélange de mystère et de prédation du théâtre érotique: “La farce que la biologie joue aux humains, c’est qu’ils sont intimes avant de savoir quoi que ce soit l’un de l’autre. (...) C’est épidermique, ça relève de la curiosité, et puis crac, le volume apparaît”. Rien n’est cependant prévisible ni reproductible entre deux amants qui se découvrent: “On n’est pas dans le fifty-fifty d’une transaction commerciale. On plonge dans le chaos de l’éros, et la déstabilisation qui le rend si excitant. Retour à l’homme des bois, au peuple des marais”. De surcroît, la disparité des âges trouve ici une nouvelle explication: “Les filles qui vont avec des vieux messieurs ne le font pas malgré leur âge - c’est ce qui les attire au contraire, elles le font à cause de leur âge”. De fait, la jeune Consuela, ancienne élève de David, est attirée à la fois par le prestige culturel et social de ce prof de lettres de 62 ans qui a ses entrées à la télévision locale, et par le culte que l’homme vieillissant voue à son jeune corps, plus soucieux de sa jouissance à elle que les jeunes rustauds de son âge.

Cela étant, autant et plus que la chair en gloire, reconquise vaillamment par les “chattes de gouttière” des années 6o, qui participèrent à l’émancipation de David, c’est la chair blessée qui donne à La bête qui meurt sa réelle dimension. A part les tribulations oedipiennes de Kenny, le fils abandonné de David qui lui en veut à mort d’être libre, deux épisodes du livre le lestent de vibrante émotion. D’une part, c’est l’agonie de George, “frère d’armes” du protagoniste saisi par un sursaut de force vitale à l’instant d’être arraché à sa femme et aux siens qu’il couvre alors de baisers et de caresses; et, d’autre part, c’est, au soir du réveillon de l’an 2000, le retour de Consuela, en passe d’être opérée d’un cancer du sein (symbole par excellence de sa splendeur juvénile), auprès de David qu’elle supplie de la photographier et de l’accompagner dans son épreuve.

”Ce n’est pas le sexe qui corrompt l’homme, c’est tout le reste”, remarque David à un moment donné, et c’est vrai qu’il y a quelque chose de pur dans La bête qui meurt. Etant entendu que “le sexe” n’a rien à voir ici avec la triste et mécanique parodie qu’une industrie juteuse crache à l’enseigne du site imaginaire désigné dans la foulée par Philip Roth: tapez barbarie.com...

Philip Roth. La bête qui meurt. Traduit de l’anglais (USA) par Josée Kamoun, Editions Gallimard, coll. “Du monde entier, 136p.

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