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  • À la paresseuse

     

    notes de voyage

     Chemin faisant (3)

    Langueurs. - A Rome certains jours la chaleur devient touffeur et même bouffeur, car la touffeur bouffe comme une robe se mouvant un peu sous la molle brise de plus en plus chaude, et quand l'air succombe lui-même à la touffeur la robe bouffante et suante se met à couler jusque dans nos dessous ou tout désir s'étouffe...

    notes de voyagenotes de voyageDe la fraîcheur - Au Capitolino les éphèbes d'Hadrien ont toujours le téton dur et le sourire doux, et quelques déesses à la douceur égale de marbre pur sous la caresse attendent avec eux la nuit - et comme la clim fonctionne et que tout est beau, comme à l'antique nous resterions là des heures à regarder le Temps qui passe...

    notes de voyageDes îles de Rome. - Avec L. on se balade sans cesser de relancer nos curiosités, en a-t-on marre qu'on en redemande de jardins en terrasses (hier soir c'était de limoncelli qu'on redemandait tant et plus au coin de la place Saint-Eustache où se boit le meilleur café de Rome tandis qu'un émule de Paolo Conte sussurait en sourdine) et d'allées en promontoires dont la vue prend toute la ville, comme au débouché de la ruelle  Socrate, à l'instant, sur le Monte Mario ou ce vieux chat se gratte... 

     

    Images: éphèbes du Capitolino, et Pincio.

     

  • Chemin faisant (2)

    notes de voyage

     

    De la profusion.- C'est la seule ville au monde où le tout afflué de partout participe en fusion à la totalité du tintamarre et du tournis de saveurs et d'images kaléidoscopiques, tout s'y fond du présent et de tous les passés, tout se compénètre et rejaillit et se tisse et se métisse dans un flux de pareil au même  - et ce matin même au Trastevere désert tout retentissait encore dans le silence retombé de la nuit traversée... 

    notes de voyageDu pasticcio.- Tout est mélange extrême dans la catholicité païenne que figure l'éléphant de la Minerva portant l'obélisque et la croix sur quoi ne manque que le logo de McDo, et c'est le génie des lieux et des gens qui déteint sur tous qui fait que chacun se la  joue Fellini Roma, ce matin au Panthéon où  l'on voyait deux sans-emplois déguisés en légionnaires romains s'appeler d'un bout à l'autre de la place au moyen de leurs cellulaires SONY, et défilaient les écoliers et les retraités de partout, se croisaient les lycéens et les pèlerins de partout sous le dome cyclopéen, et le vieux mendiant au petit chien et l'abbé sapé de noir à baskettes violettes, et sept soudaines scootéristes surgies sur le parvis du temple des marchands - tout ce trop se mêlait, ce trop de tout, ce trop de vie de notre chère Italie...   

    notes de voyageDe la paresse. - Promis-juré nous ne ferons rien aujourd'hui,  ni ruines, ni monuments, ni sanctuaires, ni monastères - nous ne nous laisserons entraîner dans aucun courant et moins encore dans aucun contre-courant, nous nous laisserons vivre, depuis une vie partagée nos paresses s'accordent à merveille et c'est cela, peut-être, que je préfère chez toi et que chez moi tu apprécies de concert, c'est cette facon de se laisser surprendre, ainsi ne ferons-nous rien aujourd'hui que nous laisser surprendre à voir tout Rome et boire tout Rome et nous en imprégner du matin au soir...  

     

  • Czapski et les Vaudois

     13086991_10209378587768518_6548617340242658012_o.jpg13112800_10209378610809094_6228749983676218139_o.jpg

    Un nouveau petit musée, à Cracovie, documente la vie et l'œuvre de l'artiste et écrivain Joseph Czapski, rescapé de Katyn et grand témoin du XXe siècle. Où l'histoire européenne passe par Chexbres et le couple de Barbara et Richard Aeschlimann...

    Jouxtant la gare principale de Cracovie, la paroi d'un immeuble de cinq étages est couverte d'une immense affiche annonçant l'ouverture du nouveau musée Czapski. Les mêmes affiches se multiplient en ville et jusqu'au fronton du Musée national. Ainsi se manifeste la reconnaissance, tardive mais vibrante, de la Pologne libérée à un homme qui, longtemps en exil à Paris, a représenté l'une de ses consciences inflexibles.
    28fac866-e9bb-4188-84af-211b09602940.jpgDe la vie de Joseph Czapski (1896-1993), ses livres et ceux de plusieurs auteurs (notamment Wojciech Karpinski, Richard Aeschlimann et Jil Silberstein) témoignaient déjà, ainsi qu'un film du réalisateur polonais Andrzej Wolski, diffusé du Arte en novembre de L'an dernier.


    13071728_10209378568248030_8890621243859665472_o.jpgÀ ces témoignages s'ajoute aujourd'hui un vrai lieu de mémoire, au coeur d'une ville incarnant le passé européen avec une splendeur intacte comparable à celle de Prague ou de Bruges, où des classes entières d'adolescents et de lycéens affluaient dès le lendemain de son inauguration en présences d'autres figures éminentes de la culture polonaise, tels le cinéaste Andrzej Wajda, le poète Adam Zagajewski et le leader de Solidarmosc Adam Michnik, notamment.
    13062198_10209351707576530_160954886047444402_n.jpgSi l'expression lieu de mémoire fait un peu gravement solennel, genre Verdun ou Auschwitz, elle se justifie dans la mesure où le destin de Joseph Czapski, de la première à la seconde guerre mondiale, en passant par les camps de prisonniers, le massacre de Katyn fallacieusement attribué aux nazis, l'exil et la résistance, a recoupé celui de la Pologne et de l'Europe meurtrie par les guerres et les révolutions.

    13083134_10209351707616531_5671968358406067744_n-1.jpg13055517_10209351707456527_3658320286281179322_n.jpg13082582_10209351707656532_2467014525800924939_n.jpg13100797_10209351709016566_5899514918033441216_n.jpgCependant il émane, de ce lieu de remémoration collective à valeur historique, une aura personnelle liée à la fois à l'abondante documentation biographique, familiale et artistique détaillant le parcours de Czapski, et la frémissante présence de nombreuses pages, souvent aquarellées, de son monumental journal, ainsi que la reconstitution partielle de son atelier de Maisons-Laffite et, pour couronner le tout, une quinzaine de ses tableaux dont les plus importants ont été donnés par les galeristes vaudois Barbara et Richard Aeschlimann.

    À ce propos, il faut rappeler que les amis suisses de Joseph Czapski, à commencer par Jeanne Hersch et Muriel Werner-Gagnebin, qui a sugné la premièe monographie consacrée au peintre, parue à L'âge d'homme, ont joué un rôle décisif dans les défense et illustration de son œuvre.


    Une première exposition à Lausanne, à la Galerie Melisa de Roger-Jean Ségalat, révéla au public romand cette œuvre hors-modes, qui s'est développée dans la double filiation post-impressionniste et expressionniste, avec une touche unique.
    Par la suite, alors que deux éditeurs de nos contrées (L'Âge d'homme et Noir sur blanc) publiaient parallèlement les œuvre du Czapski écrivain, premier témoin de l'archipel carcéral du goulag (dans Terre inhumaine) et passionnant commentateur de l'art du XXe siècle (lui-même se réclamant à la fois de Soutine et de Bonnard), s'amorçait une collaboration amicale et professionnelle sans pareille entre Richard et Barbara Aeschlimann, qui a donné lieu à démultiplié les expositions à la galerie Plexzs de Chexbres, devenue Maison des arts, jusqu'à la grande rétrospective du musé Jenisch, à Vevey, et sans oublier la première exposition d'envergure au musée national de Cracovie, significativement intitulée Joseph Czapski dans les collections suisses...


    13055594_10209351708896563_1430891375496084978_n.jpgAlors que de vieux démons pointent leurs vilains museaux chauvins ou antisémites dans certains milieux nationalistes ou ultra-conservateurs de l'actuelle Pologne, provoquant de massives et réjouissantes manifestations, le musée Czapski rappelle à tous, aujourd'hui, que la Pologne, martyre à diverses reprises, a survécu grâce à ceux qui auront résisté aux passions delétères et aux idéologies fallacieuses, tel Joseph Czapski.

     

  • Ceux qui lénifient

     

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    Celui qui a cessé de léninifier pour se mettre à lacancaner / Celle qui rappelle que Charles Marx ne s'est pas toujours comporté en conjoint convivial / Ceux qui ont trouvé des défauts à l'éducation selon l'Emile de Jean-Jacques / Celui qui estime que tous les étrangers ne méritent pas de devenir suisses exception faite des fortunes établies sur prédestination certifiée par les banques calvinistes / Celle qui affirme que tout étranger peut s'améliorer en Suisse pour peu qu'il accepte de trier nos déchets / Ceux qui changent de trottoir chaque fois qu'ils aperçoivent un individu adonné à la libre circulation des personnes / Celui qui s'invite chez les Schengen histoire de casser le morceau / Celle qui a découvert que son coiffeur serbe avait des tendances socialistes / Ceux qui parlent toujours de leurs kilos en trop durant les périodes de votations / Celui qui exprime publiquement son admiration au maire que sa détermination courageuse a fait perdre le tiers de ses 150 kilos en gardant intact son fameux mental de crack en arithmétique / Celle qui se demande où le maire a mis ses kilos en trop / Ceux qui  offrent du magret végétal au maire amaigri qui l'accepte au nom de l'écologie libérale / Celui qui conclut le débat en affirmant que toutes les religions se valent sauf la sienne / Celle qui est anorexique en ville et vite en surpoids à la campagne / Ceux qui expliquent au biographe qu'il y a toujours une petite fille au coeur de la femme du fameux romancier et que de cela aussi il faut tenir compte pour mieux cerner celui-ci / Celui qui ne restera pas une nuit de plus chez sa cousine tendance ultragauche qui lui rappelle le matin qu'on n'est pas à l'hôtel et qu'on fait donc son lit / Celle qui vexe son thérapeute en lui faisat remarquer que Lacan aussi portait un noeud pap rouge mais sans pois blancs / Ceux qui taxent volontiers leurs épouses légitimes d'admirables compagnes sans les emmener dans les colloques d'écrivains où de plus jeunes personnes leur parlent de leurs ouvrages avec un réel intérêt / Celui qui tombe sur les carnets intimes inédits de Petua Clark oubliés par celle-ci à la pension Belle Vista et révélant ce que les invités de Michel Drucker appellent une belle personne / Celle qui porte des manteaux de fourure bio vu que les visons dont il sont cousus ont été nourris dans les normes / Ceux qui rêvent d'une Suisse entièrement peuplée de moutons noirs / Celui qui vomit l'Helvétie des barbecues ethniquement épurés et des jacuzzis à l'eau filtrée de tous éléments étrangers / Celui qui se régale à la lecture du nouveau roman du métèque Hanif Kureishi, Le dernier mot, sarcasmant joyeusement dans la foulée d'un jeune lettreux niais (niais comme tous les jeunes lettreux) commis à la biographie d'un sanglier fameux de la littérature multimondiale assez proche de V.S. Naipaul / Celle qui m'a raconté sa visite à Trinidad de Tobago et l'inénarrable cinéma du vieux Naipaul au milieu des siens - elle prononçait des chiens / Ceux qui retrouvent volontiers les phrases limpides de Philippe Sollers à Venise dans son nouveau (faux) roman Médium  en s'amusant de le voir réduire à peu près tout ce qui se fait aujourd'hui à du sous-produit de foutoir alors que lui seul assume l'héritage de Stendhal et de Diderot et de Montaigne et de Dante et de Virgile et de Tchouang-tseu reçu à l'époque chez le Thierry Ardisson des Empires combattants, etc.                 



  • La pensée contre la force

     

    9782283029404.jpgÀ lire toute jactance cessante:  Vertige de la force, le dernier essai d'Etienne Barilier, écrit entre janvier et novembre 2015. 

    Une réponse admirablement étayée à ceux qui pensent que l'Occident n'a "rien à offrir" aux désespérés ou aux écervelés que le terrorisme attire. 

    La remise en cause radicale de l'assertion selon laquelle l'islamisme n'a "rien à voir" avec l'islam. 

    Une réflexion sur le "crime de devoir sacré" qui remonte aux sources de la violence monothéiste, avec des aperçus et des mises en rapport éclairantes sur l'évolution comparée du christianisme conquérant ne cessant de produire son autocritique - de Las Casas aux théologiens de la libération, en passant par Castellion, Bonhoeffer et Jean XXIII - et d'un islam crispé dans sa vision  de l'homme esclave de Dieu et de la femme esclave de l'homme. 

    Enfin et surtout: un  questionnement fondamental sur la fascination exercée même sur les plus grands esprits (dont un Heidegger) par la force et les puissances irrationnelles, la pureté de la force sacrée à l'état brut et la mort. 

    Etienne Barilier. Vertige de la force. Editions Buchet-Chastel, 117p.

     

    (Commentaire plus substantiel suivra)

  • Mouse of cards

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    À propos de la série bad-buzzée avant sa sortie. De l'intérêt des ratages en tant qu'exemples par défaut...


    (Dialogue schizo)


    Moi l'autre: - Alors, on a détesté Marseille ? On en rajoute au bad buzz ?


    Moi l'un: Mais non, faut pas exagérer, peuchère ! Y a pire comme série française, même s'il n'y a pas pire que les séries suisses...


    Moi l'autre: - Tu défendrais cette daube ? Ce copié-collé de tous les schémas et procédés anglo-ricains, cette resucée affadie de Borgen et House of cards ?

    Moi l'un: - Je n'irai pas jusque-là, mais je trouve le ratage intéressant par ce qu'il signale. Un peu comme le ratage du Livre des Baltimore de Joël Dicker. Paul Léautaud le disait justement: un mauvais livre à souvent le mérite de nous aider à préciser ce qu'on entend par la qualité d’un bon livre.


    Moi l'autre: - Tu vois des qualités dans Marseille ?


    4924540.jpg-c_320_320_x-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgMoi l'un: - J'en vois ici et là, et d'abord l'interprétation en dépit du dialogue trop mécanique ou artificiel. Depardieu est un dino frémissant d'émotion ici et là, et tous les personnages à l'avenant, sauf les tout méchants (Nadia Farès en potiche du Mal) qui sont tellement caricaturaux qu'on oublie. On a reproché à Benoît Magimel de n'avoir l'accent marseillais que dans certaines scènes mais c'est mal vu: son personnage n'a l'accent du cru que lorsqu'il s'adresse aux Marseillais de la rue, ce qui correspond à une réalité. À part ça l’ensemble des acteurs se tient plutôt bien. Et puis il y a deux ou trois plans de Marseille que j'aime assez. Il y a même, ici et là, un ou deux plans de cinéma qui échappent au laminage...


    Moi l'autre: - Quelque chose à sauver du dialogue ?


    Moi l'un : - Ouais, tout n'est pas que du carton-plâtre. Il y a même une ou deux trouvailles.


    Moi l'autre: - Ah bon, tu cites ?


    Moi l'un: - Par exemple, sur la fin, après le suicide raté de Rachel, la femme du maire ( Géraldine Pailhas, plutôt pas mal) qui retrouve celui-ci et convient avec lui qu'ils pourraient entamer une nouvelle vie, Robert Faro (Gérard Depardieu) propose: “Et si on prenait un chien ?". J'aime bien...


    Moi l'autre: - Chacun ses faiblesses. Mais pour en revenir au filmage de la ville de Marseille, tu vas pas défendre les plans aériens tonitruants avec musique d'ouverture de jeux olympiques...


    Moi l'un: - Alors là, c'est typiquement le genre de copié-collé qui en dit long sur les standards du genre. Tu as ça toutes les trois minutes dans la série Beauty and the Beast, avec plongée du ciel sur New York et point d'orgue ronflant. Mais là c'est justifié par la pompe lyrique qui sied à la Grande Pomme...


    Moi l'autre: - À ce propos notre compère JLK aime à le rappeler: que le scout est bon, mais n'est pas poire ? Que dire alors du contenu politique de Marseille ?


    Moi l'un: - Alors là rien à sauver ! C'est de la bouillabaisse au marshmallow franchouille, de la sociologie bien pensante à la Julie Lescaut et du sous- Borgen édulcoré. Si tu penses au tableau socio-politique de The Wire (À l'écoute) ou aux coulisses du pouvoir d'A la Maison Blanche ou de House of cards, tu soupires... Mais là aussi il ya matière à réflexion, sachant que Denis Robert a dû chercher des fonds au Luxembourg pour traiter sérieusement l'affaire Clearstream ou qu'on juge le film Salafistes trop dangereux pour ce con de public !


    Moi l'autre: - Alors ?


    Moi l'un: - Alors ça ressemble à une certaine France qui fait semblant de se flageller tout en roulant les mécaniques, à une certaine production française à la traîne des Ricains sans en avoir les moyens - même si cette série cheap roule sur 1 million l'épisode -, enfin que ca fera un bon produit formaté pour TF1...


    Moi l'autre: - Tu as évoqué le nom de Joël Dicker...


    Moi l'un: - Oui, parce que même si ça semble n'avoir rien à voir, ça a à voir. Dans Le livre des Baltimore, Dicker multiplie les poncifs les plus superficiels des séries télé, sans une once des vérités sociales, politiques ou simplement humaines foisonnant dans The Wire, à propos de la même Baltimore. Preuve qu'une série télé peut nous offrir plus parfois qu'un roman. Mais Dicker peut faire mieux, j'en suis sûr. Qu'il s'inspire donc du formidable Cleveland contre Wall Street de son compatriote Jean-Stéphane Bron, où l'honnêteté de l'investigation va de pair avec le souffle narratif et la présence si intense des protagonistes.


    Moi l'autre: - Tu vois Jean-Stéphane Bron se lancer dans une série Suisse à la Borgen ?


    Moi l'un: Je vois ça très bien si la télé romande se sort les pouces du cul, pour parler comme Nicolas Bideau, et si l'industrie inexistante du cinéma suisse fait alliance avec les émirats à l'instar de nos stars de l'économie et de la finance...

  • Cingria et Witkiewicz

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    Du chant du monde au poids du monde

    Tout l’oppose à Cingria, et pourtant Witkiewicz m’est aussi cher que celui-là. Le premier est un poète des Psaumes, le second un prophète de l’Apocalypse.

    Le premier est essentiellement dans le chant et la spéculation à l’antique, le second dans la rage de tout dire. Le premier se satisfaisait en somme du monde pour peu qu’il y ait une terrasse de café dans le coin, une rivière où se plonger, quelques amis à retrouver puis à quitter pour d’autres, un livre à lire ou à écrire, un harmonium dans la petite église d’à côté. Le second s’impatientait de tout et le manifestait à grands gestes furieux d’écriture et de peinture, rien ne le contentait qui risquait de freiner son ardeur à saisir et ressaisir l’insondabilité abyssale du Mystère de l’Être, rien ne le satisfaisait des concepts qui n’étaient pas soumis à l’épreuve du feu passionnel ou métaphysique, rien ne le contentait des accroupissements sociaux ou des arnaques idéologiques, rien ne lui masquait la progression de la médiocrité et de la bête noire qu'il appelait le nivellisme, lequel triomphe dans le règne actuel de l'insignifiance.

    Charles-Albert était plutôt petit, très en lard mais ferme, le pif et la bedaine considérables, la voix et le geste aussi précieux que l’écriture, il ne plaisait qu’en causant, et encore cela se limitait-il à des cercles choisis, tandis que Stanislaw Ignacy dominait tout le monde de sa taille de colosse, fascinait les femmes rien qu’à les fixer de son regard d’acier bleuté, jouait de son grand visage comme d’un masque shakespearien à transformations – Cingria était intégralement original, et Witkiewicz originalement intégral.

    Les oeuvres de Cingria et de Witkiewicz sont disponibles aux éditions L'Age d'Homme.

  • Retour à la maison

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    Notes de l'isba (31)


    Le bleu du temps.- Le retour ces jours du soleil au bord du ciel de La Désirade coïncide avec notre retour à la maison, mais je ne l'entends pas au sens de Gustave Roud qui pensait à notre fin dernière : je pense à cette maison surplombant le champ très en pente où le chœur des narcisses s'apprête à entonner sa cantate, et le lac là-bas à reflets de lac, et les montagnes d'en face aux crêtes encore enneigées, et le sud qui derrière les montagnes déplie ses vallées et ses collines jusqu'à la mer, et le désert de l'autre côté de la mer, loin de la maison mais où fourmille encore la vie malgré les coups de barre du soleil...


    Au Coup de soleil. - Pendant la guerre, un cabaret alerte accueillait à Lausanne des gens de partout, où le poète vaudois Gilles faisait la pige à tous les ennemis de la vie, génial de faconde claire et de verve insolente à traits directs et belle rondeur.
    AVT2_Jouve_5435.pjpeg.jpegJean Starobinski évoque ce lieu, et les rencontres musicales de Gstaad défiant le bruit des canons, et Pierre Jean Jouve trouvant bon refuge à Genève (d'où la nuit on entendait très haut les bombardiers anglais se dirigeant vers l'Italie!) puis en Valais chez les Bille, autres seigneurs artistes et princièrement bohèmes et démocrates - toute une Suisse que ma maison...


    IMG_2200.jpgLa belle dame au balcon.- Hier une belle dame au visage doux et aux yeux très bleus, qui dirige à Berne une division des Archives littéraires suisses, parcourait d'un œil expert les centaines de carnets aquarellés et le monceau de lettres (identifiant illico la graphie de son ami Jacques Réda ou celle de Philippe Jaccottet) accumulés depuis une cinquantaine d'années et que j'aimerais déposer dans ce haut-lieu de mémoire mille fois plus signifiant que nos temples bancaires - mille murmures s'y faisant encore entendre dans les feuillages imprimés, où la voix un peu nasale de Cendrars croise le barrissement alémanique de l'immense Fritz Durrenmatt (à l'origine de ces archives), entre tant d'autres de Chessex à Patricia Highsmith, ou plus récemment Étienne Barilier ou Roland Jaccard nos compères toujours vivants...


    De l'âme romande. - Si la Suisse est d'Europe et du monde, c'est par ses écrivains (au sens élargi des poètes et des penseurs, des pédagogues et des théologiens, des historiens et des érudits tutti frutti), et nous devons revenir sans cesseà cette maison Suisse (dégagée cela va sans dire de tout chauvinisme suissaud) en attendant que l'Europe entre dans notre confédération d'esprit et d'art plus ou moins brut...
    Ce qu'attendent je découvre avec reconnaissance la 38e livraison de la revue Quarto, datée de l'année 2014, consacrée aux accointances helvétiques de Pierre Jean Jouve et préfacée en quatre langues par Stéphanie Cudré-Mauroux, la belle dame de passage en robe à fleurs.
    Or la Suisse de Jouve culmine dans un étincelant petit roman restituant ce qu'on pourrait dire l'âme romande en sa double source artiste et puritaine, d'une structure cinématographique merveilleusement elliptique et d'une intense tension psychique et sensuelle, intitulé Le monde désert et fortement marqué par le passage du poète dans la Genève calviniste et sur les hauts du val d'Anniviers, avec la touche russe et française de deux des protagonistes. 


    Soglio.jpgEt demain, toujours avec ce Jouve "Suisse", nous retrouverons Soglio sur son balcon du val Bregaglia, en relisant Dans les années profondes...

  • Ceux qui sont du Voyage

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    Celui qui ventile les inquiétudes / Celle qui défraie le chroniqueur / Ceux qui nourrissent le troupeau des bons sentiments / Celui qui ravaude ses trous de mémoire / Celle qui se délasse dans le container / Ceux qui ravalent leurs armes / Celui qui pense corbillard de plaisance / Celle qui est condamnée par les avocats de Michael Jackson au motif d’avoir prétendu que leur client n’était pas immortel le lendemain de son décès / Ceux qui ont homologué le culte de Bambi au nombre des trois religions principales de l’Etat de Californie et Banques associées / Celui qui affirme volontiers que  la sexualité contemporaine est une fiction de seconde zone / Celle qui se réalise dans le cybersexe parce que c’est plus propre / Ceux qui se font des couilles en or devant leur webcam de Trona / Celui qui va faire un tour avec la limo de Dolly Parton pendant que Madame chante pour les pauvres / Celle qui a tous les disques de Frankie Laine sauf un mais devinez lequel parce qu’elle elle a oublié avec tous ces déménagements en Haute-Alsace / Ceux dont les durs constats sont dénoncés pour Atteinte au Moral par la nouvelle Secte du Sourire de Facebook / Celui qui a un mouflon de retard sur les champions de l’émission star Je dégueule un mouton / Celle qui dénonce le pasteur anabaptiste qui parque toujours sa Chevy de travers / Ceux qui regrettent le temps où il y avait 188 églises à Atlanta et moins de nègres dedans / Celui qu’on appelle le Che Guevara de la galoche fourrée / Celle qui dit qu’elle a Tout Bonus après que Jerry le lui a fait avec Tom / Ceux qui ont passé sans transition de Petzi à Barbey d’Aurevilly / Ceux qu’on roule dans la farine avant de les frire à petit feu sois joyeux / Celui qui reproche à son ami Bantou de ne pas finir son cannibale / Celle qui apprend par cette liste qu’un cannibale en Belgique est le nom d’un tartare en francophonie normale / Celle qui entretient des relations à caractère zoophile avec l’effigie du panda du WWF /Ceux qui reprochent au réalisme fantastique de Louis-Ferdinand Céline (selon la définition de Guido Ceronetti au Congrès de Pasadena de 1977) d’être à la fois trop réaliste et trop fantastique / Celui qui recopie ce matin sous la neige ce passage du Voyage à l’usage prioritaire de ses amis de Facebook à l’âme bien noire et au cœur bien accroché : « On découvre dans tout son passé ridicule tellement de ridicule, de tromperie, de crédulité qu’on voudrait peut-être s’arrêter tout net d’être jeune, attendre la jeunesse qu’elle se détache, attendre qu’elle vous dépasse, la voir s’en aller, s’éloigner, regarder toute sa vanité, porter la main dans son vide, la voir repasser encore devant soi, et puis soi partir, être sûr qu’elle s’en est bien allée sa jeunesse et tranquillement alors, de son côté, bien à soi, repasser tout doucement de l’autre côté du Temps pour regarder vraiment comment qu’ils sont les gens et les choses »…

    Image : Louis-Ferdinand Céline

  • Mémoire vive (95)

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    La lecture du Pourquoi des philosophes de Jean-François Revel, achevée à l’instant, m’a passionné. Je vais enchaîner tout de suite avec La Cabale des dévots. En outre reconnaissant à Kamel Daoud, ce soir, de rappeler ce que représente l’Arabie saoudite en réalité : le foyer, doré sur tranche, du terrorisme islamiste, avec les maîtres duquel la Suisse fait bon commerce, tandis que la France leur lèche les babouches.

    °°°

    Plus j’y pense, en lisant et en commentant La Divine Comédie, plus je suis les deux compères le long des corniches ascendantes du Purgatoire, et plus me révulse l’approche et l’idée seule du Paradis, cristallisant une représentation de l’au-delà me paraissant de moins en moins désirable. Comme je n’y ai jamais mis les pieds (et Dieu m’en garde !), je suis curieux d’en découvrir les chants, me demandant quels détails vont encore me toucher et si le génie de Dante va me faire avaler « tout ça ». Autant les damnés stimulent son imagination, autant celle-ci me semble fléchir, sur les flancs du Purgatoire, sous l’effet de l’édification morale, quoique la musique de sa langue sauve à tout coup la mise.

    °°°

    Kramer2.jpgC’est avec beaucoup d’attention admirative que j’ai lu, d’une traite, le nouveau roman de Pascale Kramer, Autopsie d’un père, où la romancière me semble atteindre une parfaite maîtrise à tous égards, à la fois du point de vue de l’observation d’un petit groupe d’individus de la classe moyenne, qu’elle perçoit avec une acuité comparable à celle de Philippe Djian, et aussi par son écriture épurée, elliptique et suggestive, captant les moindres signes de ce qu’on pourrait dire la langue-geste ou l’infra-langage. Curieusement, ce roman parle de la réalité contemporaine (les banlieues, le racisme, la tentation de l’extrême-droite) de façon pour ainsi dire latérale, ou déviée, presque par défaut ou par évitement, et pourtant tout y est.

    Une jeune femme au prénom d’Ania, n’a jamais été vraiment reconnue par son père, brillant journaliste qui, après la mort de sa femme, n’a jamais cessé d’humilier sa fille comme si elle n’était jamais à la hauteur, alors que lui-même menait une vie d’homme à femmes de son côté. À l’adolescence, Ania demande d’être placée en internat, après quoi elle ne cesse de s’éloigner de son père, qui ne fera mine de s’intéresser à elle que par son petit-fils, né du mariage d’Ania et d’un Serbe mal dégrossi. Or tout se précipite après la dernière visite d’Ania à son père, suite à quatre ans d’absence, au lendemain de laquelle ledit père se suicide en avalant des morceaux de verre – et c’est alors que le roman démarre, constituant le portrait d’un idéologue de droite à la Soral qui s’est attiré la vindicte vertueuse de la station de radio qu’il dirige après avoir pris le parti de deux jeunes imbéciles coupables du meurtre d’un immigré. Tableau d’époque s’il en est… 

    Ce mercredi 25 novembre. Un nid de guêpes, établi dans notre soupente, et dont les individus plus ou moins engourdis par le début d’hiver volètent dangereusement autour de nous, sortis des plinthes et se traînant un peu partout, a ranimé une de mes vieilles phobies après que, vers l’âge de trois ou quatre ans, j’ai été piqué au fond de la gorge après avoir avalé un verre de sirop. Hier soir, une nouvelle piqûre à la main m’a fait sursauter de rage au point que j’ai alerté, aujourd’hui, une firme exterminatrice dont l’agent se pointera demain à La Désirade. Gare à vous méchantes !

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    Je constate ces jours, avec mes lectures de Jean-François Revel et d’Alain Finkielkraut, dans La seule exactitude, que je reprends goût à la réflexion dialectique telle que je l’ai vécue depuis ma seizième année environ, avec Camus et les personnalistes, Morvan Lebesque et Martin du Gard, Berdiaev et Chestov, entre autres autres écrivains ou philosophes que je pourrais dire des « artistes de la pensée », jusqu’à Peter Sloterdijk.

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    Le dernier roman de Pascale Kramer me semble une œuvre significative de l’époque, pas loin des récits d’une Alice Munro ou d’un William Trevor. Le sujet principal, me semble-t-il, en est la difficulté des gens d’être entendus et de se faire entendre dans un monde où tous parlent à tort et à travers sans s’écouter ; et plus précisément : la difficulté, pour ceux qui n’ont pas acquis le langage codé des dominants sociaux ou intellectuels, tenus pour inférieurs, d’être considérés et reconnus.  

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    9782221136416.jpgEn lisant La Cabale des dévots de Jean-François Revel, je trouve la confirmation de ma défiance de toujours envers les pontes dogmatiques de toute espèce, et plus encore de la chose elle-même : la suffisance dogmatique ou académique. Son tableau, très polémique, est particulièrement réjouissant quand il s’en prend aux spécialistes de tel ou tel auteur ou de telle ou telle époque. Nietzsche ou Racine, c’est untel, le XVIIIe c’est unetelle à laquelle on ne saurait disputer la préséance sur Diderot, etc. Cela qui me rappelle la remarque de Léon Scwartzenberg, spécialiste médiatique en matière d’oncologie, qui téléphone le lendemain de l’apparition d’un jeune confrère parlant de son premier livre sur le plateau d’Apostrophes : « Le cancer à la télévision, mon cher, c’est moi ! » .

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    En traversant ces jours notre chère ville de Lausanne, et notamment en descendant la rue de la Borde, entre la Pontaise et le Pont Bessières, j’ai été frappé, une fois de plus, par la hideur chaotique de son développement architectural, illustrant une absence totale de classe ou de cohérence dans la vista du quartier, avec le pire goût qui soit : dans le bric-à-brac de béton de l’ancien quartier pourri des artisans et des bouchons mal famés du Rôtillon, plus laid aujourd’hui qu’il ne l’était au temps des murs lépreux et des vieilles catins tapinant devant le Mouton avec leur sac de patates. Or je ne réagis pas en nostalgique d’un bon vieux temps quelconque, mais plutôt comme Ramuz a vitupéré le désastre de la place Saint-François, au début du XXe siècle où ont été construits les affreux bâtiments de la Poste et de la Banque, comme il l’évoque dans Une ville qui a mal tourné.

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    images.jpegIl y a en moi la sensibilité farouche d’une espèce d’artiste brut à la manière suisse, qui se reconnaît dans les écrits de Robert Walser et les visions d’un Louis Soutter, d’un Adolf Wölfli ou d’une Aloïse, aux marges de la ville et des beaux usages, loin de tout salon à la française, ou alors chez Florence Gould quand elle recevait ces deux seigneurs à dégaines de clodos lettrés que figuraient Paul Léautaud et Charles-Albert Cingria.

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    Le préambule étymologique de L’inquiétante étrangeté, où Freud évoque toutes les acceptions, applications et variations du mot heimlich, sans oublier le dialecte suisse allemand, pour aboutir à la conclusion que le heimlich et le unheimlich sont à peu près (parfois mais pas toujours) les deux faces de la même pièce, me captive par sa façon d’aller « au fond du mot » en quête de réel – le langage exprimant le réel sans en épuiser toute la substance, et la poésie étant alors la dernière expression de ce réel tiré du fond des mots. 

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    Ce qui m’intéresse, dans la montée du Purgatoire, ce sont les détails. Or Dante, s’agissant de l’envie, en est assez chiche. Sur la deuxième corniche, le seul exemple d’envieux (ou plutôt d’envieuse) est la Siennoise qui s’est réjouie de la défaite des siens contre les Florentins, sous l’effet d’une Schadenfreede découlant de sa sourde envie.

    Sans rapport avec celle-ci, je me rappelle soudain le roman du Russe Iouri Olécha, intitulé L’Envie précisément, qui visait la fascination des intellectuels, gens de lettres ou d’esprit, envers les hommes d’action ou de pouvoir, et leur façon de saliver devant la Brute, telle que je l’ai observée de près au moment de la guerre en ex-Yougoslavie. Autre exemple : l’aristocrate fribourgeois Gonzague de Reynold, grand lettré à la poitrine creuse, célébrant les rutilants soldats allemands de la Wehrmacht…

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    En cas de morosité ou de contention intérieure, deux viatiques ; la lecture des Plaisirs de la littérature de John Cowper Powys, prodigieux de pénétration au cœur des œuvres et d’énergie communicative, ce matin avec Rabelais ; et celle de l’Encylopédie fantaisiste du tout et du rien de Charles Dantzig, par exemple avec sa Liste des nuages.

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    IMG_1733 (1).jpgEn mettant de l’ordre dans mes affaires, je retrouve un tapuscrit complet, et pratiquement achevé, de La Fée Valse, avec une préface que j’avais complètement oubliée au moment d’en composer ces jours une nouvelle sous le titre d’Entrée de jeu, qui donne ceci : « Ce ne serait pas un recueil de fantasmes éculés mais une féerie.

    Eros y jouerait volontiers, au sens le plus large et comme dans un rêve où la chair est tellement plus réelle - comme dans un poème dont le verbe exulterait. En outre, s'agissant bel et bien de ce qu'on appelle La Chose, il y aurait le rire qu'elle appelle et par la surprise jouissive de son irruption, et par son incongruité.

    Quelle chose en effet plus étonnante et plus saugrenue pour le tout jeune garçon que de bander pour la première fois ! Donc ce rire serait joyeusement interloqué, pouffant comme chez la toute jeune fille au premier poil, touffu comme une motte ou un buisson, jailli comme un lézard de son muret ou comme un nichon de son balconnet, clair comme le mot clair.

    Car ce serait avant tout une affaire de mots que ce livre de baise au sens très large, je dirais: rabelaisien, mais sans rien de la gauloiserie égrillarde trop souvent liée à ce qualificatif. Rabelais est trop immensément vivant et aimant en son verbe pour être réduit à ce queutard soulevant rioules et ricanements dans les cafés et les dortoirs. Rabelais est le premier saint poète de la langue française, qui ne bandera plus d'aussi pure façon jusqu'à Céline, le terrible Ferdine. Et Sade là-dedans ? Non: il y a trop de Dieu catholique chez Sade, trop méchant de surcroît à mon goût.

    J'ai bien écrit: à mon goût, et j'entends qu'on souffre ici que je me tienne à mon goût, bon ou mauvais, lequel se retrouve au reste dans toute la Nature, qui jouit et se rit de tout.

    Serait-ce alors un livre seulement hédoniste que La Fée Valse ? Certes pas, et moins encore au sens actuel d'un banal bonheur balnéaire. Je voudrais ainsi ce livre joyeux et grave, allègre et pensif, tendre et mélancolique, sérieux et ludique au sens du jeu le plus varié - et quoi de plus sérieux et grave que le jeu de l'enfant ?

    L'érotisme de l'enfance est plein de mystère échappant aux sales pattes de l'adulte. La pureté de l'enfant échappe encore à toute mauvaise conscience, dans le vert paradis de la chair innocente que retrouve la mère-grand des contes quand elle se branle.

    La Fée Valse découlerait de la même recherche d'une pureté sans âge dégagée des miasmes de la morale, sans obsession ni provocation criseuse, lâchée dans ses cabrioles matinales et vivant ensuite au gré des journées, de la jeune baise aux vieux baisers, sans cesser de rire ni de sourire à la bonne vie.

  • Ceux qui ne disent pas tout

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    Celui qui ressent profondément la surface des choses / Celle qui s'exprime à demi-mots et n'en pense pas moins le double / Ceux qui te reprochent de ne pas avoir un discours politique clair alors que tout est si confus dans leur tête et au niveau du contexte / Celui que tu estimes une tête de litote / Celle qui vous cherche dans le sous-texte / Ceux qui surdéterminent les sous-entendus de l'ancien maoïste recyclé dans le souverainisme ultra / Celui qui cafte à chaque fois qu'on lui dit que c'est off -the-record / Celle qui demande un à-valoir sur ses révélations posthumes / Ceux qui sont dans le secret des vieux / Celui qui n'a pas tout dit à Maman mais s'est rattrapé ensuite dans un roman-fleuve tranquille / Celle qui fait dans le haïku entre deux séances d'aquagym / Ceux qui investissent dans le supplément d'âme déduit des impôts / Celui qui a beaucoup appris en se taisant avec éloquence / Celle qui met un peu d'os dans son pain / Ceux qui passent la Manche pour se payer un chien-chaud / Celui qui te rappelle que tout est dans Confucius qu'on retrouve d'ailleurs chez Guillaume Levy et Marc Musso / Celle qui sur le divan de Michel Drucker avoue qu'elle a en elle un poème indicible et Michel a l'air de la comprendre au niveau de l'échange et ça fait un buzz sur Twitter / Ceux qui se taisent au téléphone de la Ligne de coeur où il y a toujours de l'écoute, etc.

  • L'Apôtre du tiroir-caisse

     

    2a7f09d6242f4beb21df960c29a3f2ca.jpgPaulo Coelho, messie multipack de la littérature de gare et d’aérogare, ex chanteur de rock et futur Nobel de mystique ploutocratique, est apparu ces derniers jours au Salon du Livre de Genève, où je n’étais pas et peux donc en parler plus librement...
    En bonus: retour à La solitude du vainqueur, qui fit date dans le genre démago...

     

    Un critique littéraire est-il censé parler des livres de Paulo Coelho, plus que des romans de feue Barbara Cartland ? La question ne s’est pas posée à la parution de L’Alchimiste, conte initiatique fait de bric et de brocante qui pouvait faire illusion, genre Petit princerelooké New Age. Mais comment défendre ce qui a suivi ? Comment ne pas voir que le présumé auteur inspiré, ex-hippie visité par la Muse, était moins un candide conteur qu’un malin opportuniste  jouant avec la crédulité des foules, dont la mythologie pseudo-mystique des Guerriers de la Lumière qu’il bricola en marge de ses écrits ne cédait en rien au marshmallow pseudo-spirituel des sectes multinationales, de Moon à la Scientologie en passant par les fameux adeptes (paix à leurs cendres) du Temple S olaire.
    Si le critique littéraire « à l’ancienne » regimbe à l’idée de parler du contenu (?) et de la forme (??) des romans de Paulo Coelho,  c’est que l’idée de faire la leçon aux foules, du haut de son «élitisme», ajoute au dégoût de parler pour rien, puisque de toute façon la Machine à faire pisser le dinar tourne à plein régime.

    83a6ecdf89538f67066e5bf5d33442da.jpgJ’ai rencontré trois fois, réellement puis virtuellement, Paulo Coelho. La première fois, c’était au lancement de L’Alchimiste.Charmant garçon, relax max, un vrai pote. Ce qu’il m’a dit était peu de chose, mais « tout est dans le livre » étions-nous convenus. La deuxième, ce fut dans un cagibi préservé du bruit du Salon du Livre de Genève, dont le Brésil était l’invité d’honneur. Paulo se souvenait très bien de moi, prétendait-il. Comme je suis bonne pâte, j’ai fait celui qui le croyait, tout en notant qu’il n’avait rien de plus à me dire que la première fois. Par ailleurs, comme c’est loin d’être un imbécile, il avait constaté que mes questions trahissaient un esprit critique inapproprié, comme on dit, et la non-conversation tourna court. Audit Salon du Livre, je relevai le fait que les piles des best-sellers de Coelho occupaient le devant des devantures du Pavillon du Brésil, alors que les Jorge Amado et autres plumitifs « élitaires » se trouvaient relégués en second rang - mais quel esprit mesquin me fait noter un tel détail...
    Or je reviens à ma question : l’approche critique des livres de Paulo Coelho a-t-elle le moindre intérêt. Certes : en tant que phénomène typique des simulacres de la culture globalisée, cette approche est intéressante, bien plus que celle d’autres best-sellers mondiaux du type Barbara Cartland. Pourquoi cela ? Parce que la secte virtuelle entretenue par les livres et le site internet (récemment restructuré après avoir atteint des sommets de kitsch New Age) de Paulo Coelho participent à l’évidence du multiculturalisme mou visant au décervelage des populations.
    Paulo Coelho est le Messie de cette idéologie anesthésiante, qui ne manque pas un World Economic Forum. C’est d’ailleurs là que je l’ai rencontré la troisième fois, à titre virtuel. Etait-ce à Davos, à Zermatt ou à quelque autre sommet de la Phynance ?

    Peu importe à vrai dire, et peu importe si c’était le vrai Paulo Coelho qu’on voyait sur l’écran. A vrai dire, comme il y eut en son temps des Saddam de rechange, il est fort possible que le petit homme en jeans et à bouc grisonnant ne soit qu’un prête-face à l’entreprise Coelho & Coelho, dont Sulitzer pourrait écrire la chronique, à supposer que Loup Durand en ait encore le tonus. Tout cela est passionnant, n’est-il pas ?


    Dans les années 20 du XXe siècle, le génial romancier-visionnaire Stanislaw Ignacy Witkiewicz imagina, dans L’Inassouvissement, une secte multimondiale, guidée par le phénoménal Murti Bing, qui avait commercialisé une pilule assurant à chacun la Vision Lumineuse de la Lumière Invisible. On voit que Paulo Coelho n’a rien inventé : belle découverte en vérité, et ça continue aujourd'hui.

    Paulo Coelho entre Croisette et Vatican

    Coelho7.jpgCar, en fait de démagogie spiritalisante, Paulo Coelho n'en manque pas une. Ainsi a-t-il repris, avec La Solitude du vainqueur, le chemin du Bon combat qui le conduit, cette fois, dans les coulisses sordides du Festival de Cannes, lequel, tiens, vient justement d'ouvrir ses portes infernales. La première invocation du Guerrier de la Lumière nous rappelle qu'il fut un enfant de choeur brésilien avant de s'égarer lui-même dans les miasmes sataniques du rock et de la pop: - Ô Marie sans péché, priez pour nous qui faisons appel à Vous - amen. Sur quoi la première phrase de la Préface de ce Thriller de la Vraie Voie pousse le lecteur à s'agenouiller fissa: "L'un des thèmes récurrents de mes livres est qu'il est important de payer le prix de ses rêves." En l'occurrence: 19 Euros, ce qui fait tout de même 40 balles suisses pour qui ne reçoit pas le Service de Presse gratos... Et la Leçon de s'ensuivre qui ne s'achèvera qu'au terme de cette fable édifiante: "Nous vivons depuis ces dernières décennies au sein d'une culture qui a privilégié notoriété, richesse et pouvoir, et la plupart des gens ont été portés à croire que c'étaient là les vraies valeurs auxquelles il fallaait se conformer". Et le gourou christoïde d'enchaîner aussi sec: "Ce que nous ignorons, c'est que, en coulisses, ceux qui tirent les ficelles demezrent anonymes. Ils savent que le véritable pouvoir est celui qui ne se voit pas. Et puis il est trop tard, et on est piégé. Ce livre parle de ce piège". 

    Le piège, revisité par un auteur empruntant à la fois à Gérard de Villiers, pour la délicatesse de l'intrigue frottée de sang, et à feue Barbara Cartland (en moins chaste) pour le zeste d'intrigue sentimentale, entre autres modèles impérissables, rappelle un peu le dessin de Sempé figurant, sur un quai de Saint-Trop, le bon père de famille désignant à ses femme et enfants une kyrielle de yachts plus luxueux les uns que les autres et s'exclamant: vous voyez, ces gens-là sont malheureux bien plus que nous !

    Or c'est exactement ce que Madame et Monsieur Toulemonde se diront après lecture (car ils lisent) de La solitude du vainqueur: que tout est pourri-gâté à Cannes, de la jeune starlette au produc véreux ou du styliste self made man au top modèle rwandais - non, je n'invente rien ! Paulo Coelho lui non plus n'a rien inventé, on l'en savait incapable depuis L'Alchimiste, où j'avoue qu'il m'a piégé comme tant d'autres, par une fabrication habile, alors que ce livre déjà n'était qu'une compilation de contes orientaux et de resucées de sagesse passe-partout. À plus tard l'analyse littéraire fouillée (sic) de L solitude du vinqueur. J'attends de me trouve dans l'enceinte du Vatican pour faire mon rapport aui vicaire du fils de Marie-conçue-sans-péché...

            

  • Le sage extravagant

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    Aphorismes d’Oscar Wilde

    Nul ne fut plus adulé, ni plus haï de son temps qu’Oscar Wilde, né le 16 octobre 1854, quatre jours avant Arthur Rimbaud. Prince de l’esprit et des élégances, il fut déclaré corrupteur de la jeunesse et jeté en prison pour s’être affiché en compagnie d’un fils de Lord et fait de sa vie publique un provoquant et constant «coming out », autant qu’il la voulait œuvre d’art à part entière. Et de fait, ses plus proches l’auront souligné : que ce prestidigitateur du verbe était plus merveilleux encore dans sa conversation que dans ses livres, qui le sont déjà dans les tonalités les plus variées, de la fantaisie à la gravité, du brillantissime au tréfonds du désarroi.
    Pour revenir à Wilde comme il sied, à savoir le pied léger, on ne saurait trop recommander recueil de ses Aphorismes, préfacé par le très wildien Stephen Fry, qui l’incarna dans le film de Brian Gilbert (1997) et souligne justement le fait que Wilde fut damné, bien plus que pour inversion sexuelle : pour délit de poésie et de génie créateur faisant fi de toutes les hypocrisies morales, sociales, politiques ou pseudo-religieuses.
    Souvent paradoxal d’apparence (« Les philanthropes perdent toute espèce d’humanité, c’est leur trait dominant »), Oscar Wilde ne l’est pas pour se distinguer du commun (qu’il respectait bien plus que les bourgeois, fort aimé notamment de ses co-détenus), mais parce que son horreur des bien pensants et des pharisiens vertueux l’y pousse à tout coup avec un pied de nez : « La seule façon de se débarrasser de la tentation, c’est d’y céder »…
    Bel esprit postillonnant de bons mots de salon ? Bien plus que ça : certes arlequin mondain, mais aimant, généreux, plus profond souvent que les poseurs et autres raseurs.
    Une appréciable postface non signée (établie par Alvin Redman qui a préparé la version originale du recueil) resitue parfaitement Oscar Wilde en sa vie et ses œuvres. Et voilà le travail : « J’ai passé la matinée à relire les épreuves d’un de mes poèmes, et j’ai fini par enlever une virgule. L’après-midi, je l’ai remise »…

    Les hommes
    « Je me dis parfois qu’en créant l’homme Dieu a quelque peu surestimé ses capacités ».

    « Un homme qui fait la morale est le plus souvent un hypocrite, et une femme immanquablement un laideron ».

    « Un homme dépravé est un homme qui admire l’innocence, et une femme dépravée est une femme dont les hommes ne se lassent jamais ».

    Les femmes
    « Les femmes sont faites pour être aimée, pas comprises ».

    « Chaque femme est une rebelle, le plus souvent violemment révoltée contre elle-même ».

    « Si une femme ne parvient pas à rendre ses erreurs charmantes, ce n’est qu’une femelle ».

    Les gens
    « On peut toujours être gentil avec les gens dont on se moque totalement »
    « J’aime les hommes qui ont un avenir et les femmes qui mont un passé ».

    L’art
    « L’artiste véritable a en lui une absolue confiance, car il est absolument lui-même ».
    « A mon avis, Whistler est, assurément, un des plus grands maîtres de la peinture. Et je me permets d’ajouter que cet avis, Mr Whistler lui-même le partage tout à fait ».
    La seule bonne école pour apprendre l’art, ce n’est pas la Vie, c’est l’Art ».

    La vie
    « Vivre est ce qu’il y a de plus rare au monde. La plupart des gens existent, voilà tout. »

    « L’ambition est le dernier refuge du raté ».

    « Le rire est l’attitude primitive envers la vie – une façon de l’aborder qui ne survit plus que chez les artistes et les criminels ».

    La littérature
    « Si l’on ne peut pas relire un livre indéfiniment avec plaisir, ce n’est pas la peine de le relire du tout. »

    « Un poète peut survivre à tout hormis une faute d’impression »

    « J’exècre le réalisme vulgaire en littérature. L’homme qui tient à appeler les choses par leur nom, à dire qu’une bêche est une bêche, par exemple, devrait être forcé de la manier. Il n’est bon qu’à cela ».

    La conduite
    « Je compte sur vous pour donner une fausse idée de moi ».

    « Je ne remets jamais à demain ce que je crois pouvoir faire après-demain ».

    « Il est toujours agréable d’être très attendu et de ne pas arriver ».

    Le journalisme
    « Il convient de préciser que les journalistes modernes s’excusent toujours en privé auprès de celui qu’ils ont vilipendé en public »

    « Le journalisme n’est pas lisible, et la littérature n’est pas lue »

    « Dans les temps anciens, les hommes disposaient du chevalet de torture. Dorénavant, ils ont la presse ».

    Les apparences
    « Il n’y a que les gens superficiels qui ne jugent pas d’après les apparences »
    « Un masque nous en dit plus long qu’un visage »

    La conversation
    « J’ai horreur des gens qui parlent d’eux, comme vous, lorsqu’on a, comme moi, envie de parler de soi »

    « Quand les gens sont d’accord avec moi, j’ai toujours le sentiment que je dois être dans l’erreur »

    L’éducation
    De nos jours, c’est un lourd handicap que d’avoir reçun une bonne éducation. Cela vous ferme l’esprit à tant de choses. »

    « L’école devrait être le plus bel endroit de chaque ville ou village – si belle que l’on punirait les enfants désobéissants en leur interdisant d’y aller le lendemain ».

    Jeunesse et grand âge
    « L’âme naît vieille mais elle rajeunit. Voilà la comédie de la vie. Et le corps naît jeune, mais il vieillit. Voilà sa tragédie ».

    La critique
    « Le critique est celui qui sait transmuer son impression des belles choses en un matériau nouveau. La forme de critique la plus élevée, tout comme la plus basse, d’ailleurs, est une sorte d’autobiographie ».

    La critique a besoin d’être cultivée beaucoup plus assidûment que la création »

    L’amitié
    « Je crois que la générosité est l’essence de l’amitié ».

    La vérité
    « Ce serait le meilleur des hommes s’il ne disait pas systématiquement la vérité ».

    Dans la vie moderne, rien ne fait autant d’effet qu’une bonne platitude. Aussitôt, tout le monde a l’impression d’être en famille ».

    La société
    « La société pardonne souvent au criminel, mais jamais au rêveur ».

    La pensée
    « La cohérence est le dernier refuge de ceux qui n’ont pas d’imagination ».

    «La sagesse vient avec les hivers ».
    « Ce qui nous apparaît comme une cruelle épreuve n’est souvent qu’un bienfait caché ».

    Le sport
    « Que ces brutes de filles jouent au rugby, j’y consens volontiers, mais c’est un sport qui ne convient guère aux êtres délicats que sont les garçons »

    Le travail
    « Nous vivons à l’époque du surmenage et du manque d’instruction ; une époque où les gens sont si industrieux qu’ils en deviennent complètement idiots ».

    Oscar Wilde
    « Je n’écris pas pour plaire à des cliques : j’écris pour me plaire à moi-même ».

    « Les louanges me rendent humbles, mais quand on m’insulte, je sais que j’ai tutoyé les étoiles. »

    « J’ai les goûts les plus simples du monde. Je me contente toujours de ce qu’il y a de mieux ».

    8fe306643432fbd5f47276e696e8ba54.jpgOscar Wilde. Aphorismes. Traduit de l’anglais par Béatrice Vierne. Préfacé par Stephen Fry. Arléa, 269p.