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(Chronique des tribus)
43. Dindo
Lorsqu’il a appris l’autre soir que son ami Dindo était passé de l’autre côté du miroir, il ne s’est pas autrement étonné de ne pas ressentir de trop vive émotion, remarquant cependant que le cher homme avait juste l’âge de sa sœur aînée et le même que son autre compère Roland Jaccard à la veille de sa mort, lequel avait pourtant choisi d’ingérer son fameux sirop mexicain – et voilà s’est-il dit, ils étaient là en apparence même sans se voir trop souvent et ils n’y sont plus, ma frangine reste sur son rivage et Dindo est « au jardin », comme le disait la veuve de Marcel Aymé le lendemain de son départ à lui, la dernière fois que j’ai vu Richard c’était dans un rêve où je lui racontais ma rencontre de Jean Genet rue de Rome, l’année où je recopiais le manuscrit du Journal intime d’Amiel dans une mansarde des Batignolles à l’enseigne de la Félicité, Dindo féru d’Amiel s’était montré très intéressé par mon dialogue avec le terrible Genet dont j’avais lu tous les livres mais évitais d’en parler en me faisant passer pour un jardinier juif argentin (que le rêve ne permet-il pas, n’est-ce pas), mais avant ce rêve il y avait des années que nous ne nous étions plus vus Richard et moi, ses dernières nouvelles l’évoquant en train de préparer un film sur James Agee l’auteur de Louons les grands hommes, je lui avais dit que je reconnaissais parfaitement en cela le familier du poète japonais Bashô, oui tout se tenait et je me disais que, rencontrant mes sœurs aînée et puînée, Dindo se fût montré rugueusement délicat à sa manière de Rital un peu rogue sous sa tendresse de coureur de jupes (ou tendre son son air mâlement mal luné) et ce soir à la Désirade je conclus que Dindo était en somme, comme l’Hidalgo de ma soeur aînée ou comme Genet l’amateur de mauvais garçons, comme Bashô composant ses haïkus d’un monastère à l’autre, ou comme Kafka dont il pratiquait le journal depuis ses quinze ans, l’un de ces personnages sans âge que Georges Haldas, après Baudelaire, disait de la « société des êtres », loin de celle des titres et des fonctions, dont mon autre ami de 7 ou 700 ans au prénom de Charles-Albert écrivait ceci, dans Le Canal exutoire : « L’homme-humain doit vivre seul et dans le froid : n’avoir qu’un lit – petit et de fer obscurci au vernis triste. – une chaise d’à côté, un tout petit pot à eau. Mais déjà ce domicile est attrayant : il doit le fuir. À peine rentré, il peut s’asseoir sur son lit, mais, tout de suite, repartir. L’univers, de grands mâts, des démolitions à perte de vue, des usines et des villes qui n’existent pas puisqu’on s’en va, tout cela est à lui pour qu’il en fasse quelque chose dans l’œuvre qu’il ne doit jamais oublier de sa récupération. », et tel m’apparaissait aussi bien Dindo, une nuit dans un rêve ou une première fin de matinée à la Bodega espanola du Niederdorf de Zurich, dans sa parka noire et sa chemise passée de deux modes - un « être » mais je ne vais pas, frangines, vous parler trop pompeusement de l’ « être » de ce type se méfiant des grands mots pour mieux partager les vrais sentiments, ainsi le final cut ne peut-il être confié qu’au poète vélocipédiste Charles-Albert Cingria q'un jour Dindo m’avoua ne pas connaitre, mais qu’importe puisque décidément tout se tient par-dessus et dessous: «Contre la « société » qui est une viscosité et une fiction il y a surtout cela : l’être : rien de commun, absolument, entre ceci qui, par une séparation d’angle insondable, définit une origine d’être, une qualité d’être, une individualité, et cela, qui est appelé un simple citoyen ou un passant. Devant l’être – l’être vraiment conscient de son autre origine que l’origine terrestre – il n’y a, vous m’entendez, pas de loi ni d’égalité proclamée qui ne soit une provocation à tout faire sauter. L’être qui se reconnaît – c’est un temps ou deux de stupeur insondable dans la vie n’a point de seuil qui soit un vrai seuil, point de départ qui soit un vrai départ : cette certitude étant strictement connexe à cette notion d’individualité que je dis, ne pouvant pas ne pas être éternelle, qui rend dès lors absurdes les lois et abominable la société »...