UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

De l'humour au pays des nains de jardin

273989454_10228463611282178_3906046340196325155_n.jpg
Le Rêveur solidaire (8 )
 
Avec les « histoires à voix haute » d’Ernst Burren parues sous le titre de Feu d’artifice, le plus détonnant cocktail de comique suisse d’essence populaire, après Emil et Zouc, Le Laitier de Peter Bichsel et les Nains de jardin de Jacques-Etienne Bovard, crépite de malice drolatique au fil d’une fresque villageoise savoureusement détaillée...
L’humour helvète existe : le monde entier l’a rencontré en mars 2016 lorsque, à l’occasion de la Journée des malades, le président de la Confédération suisse Johann Schneider-Ammann, sérieux comme un pasteur à l’enterrement de sa vie de garçon, a prononcé une allocution consacrée au rire et à ses vertus thérapeutiques. Sans le vouloir, notre brave ministre fit se gondoler la Toile tout en relançant, à son insu de plein gré, une forme de doux ahurissement et de terrienne gaucherie qui constituent, entre autres et dans une veine très particulière, ce qu’on peut dire l’humour helvétique.
Or celui-ci se retrouve à chaque page du Feu d’artifice de l’instituteur soleurois retraité Ernst Burren, rassemblant un peu plus de vingt « histoires à voix haute » où les multiples locuteurs (et trices) d’un village, en pur dialecte tribal, racontent la vie du lieu en constante relation avec la vie du monde. Irrésistible !
Cela commence par l’inénarrable histoire de la mémé en fin de vie dont le petit-fils, à qui l’on a dit que les morts de récente date pouvaient transmettre des nouvelles aux plus anciens déjà casés au ciel, se demande s’il est indiqué de lui faire raconter au pépé les dernières péripéties de la vie de la famille, à savoir l’arnaque financière que le père a évité de justesse après qu’on lui a annoncé le gain d’une énorme somme, ou comment la mère s’est résolue à en finir avec le chien Sami sans le brusquer.
En dialecte soleurois dans le texte cela donne : « jetze isch s grosi / schon e wuche im schpitau /und d mueter het gseit / äs läbi äuä nümme lang / s häre wöui eifach nümme », ce que vaillamment Ursula Gaillard traduit sans majuscules par : « une semaine déjà / que mémé est à l’hôpital / et maman a dit / qu’elle devait plus en avoir pour longtemps / que son cœur n’en pouvait plus », etc.
Or il faudrait l’entendre, puisque aussi bien il s’agit d’histoires à voix haute : il faudrait entendre toutes ces voix entremêlées en récit choral, avec l’accent, comme on a un bonus avec l’accent des hauts jurassiens de Zouc, du traînant accent vaudois d’Oin-Oin ou de la bonne dame de François Silvant recevant les témoins de Genova…
Séquences juste plaisantes, à la manière d’Emil, que les tableautins de Feu d’artifice ? Bien plus que ça : suite vivante et vibrante de mini-récits reflétant autant de mentalités en mutation et de mœurs se télescopant, où se concentrent moult observations aiguës sur les faits et gestes d’une société naguère bien ancrée dans sa terre et désormais en voie d’urbanisation mondialisée, genre classe moyenne s’éloignant de l’église mais s’accrochant à des restes de principes, où les caves familiales servent parfois de fumeries aux ados laissés à eux-mêmes, où tel jeune forcené sème la panique en fracassant les fenêtres d’une maison et des voitures avec un sabre tandis que Marysa se guérit de l’alcoolisme grâce à une médaille à l’effigie du padre Pio et que Sabine raconte comment un Allemand lui a proposé de jeunes escorts noirs , non mais des fois !
Mimer plus que dénoncer
L‘humour helvète à la Burren vient de la terre et de la forêt. Il ne s’assied pas à la table des moqueurs. Il est mimétique plus que sarcastique. Pas plus intelligent que les autres, mais au milieu d’eux, et pas fade ni moralisant pour autant. Jamais vache à la vacharde façon française, quitte parfois à faire plus mal en riant noir.
On ne rit pas du tout, ainsi, à l’évocation de l’enterrement d’Antonio, le fils adoptif des Flüeli, Brésilien d’origine et qui s’est fait tabasser par deux ordures jamais identifiées, quand une femme du village profite de l’occasion pour dire que « comme que comme » il y a trop d’étrangers en Suisse et que si vous ne pouvez pas avoir d’enfant vous pouvez vous y faire sans. On rit noir vu qu’Antonio, handicapé à vie à la suite de l’agression, s’est finalement ôté la vie avant ses vingt-cinq ans et que tout le village l’accompagne à l’église pour épauler les Flüeli malgré cette femme sans cœur.
Ensuite on rit jaune quand la riche héritière, larguée le jour de son mariage, invite un tas de gens en Engadine à un feu d’artifice pour fêter son départ de cancéreuse en phase terminale, alors même qu’elle n’a pu rallier personne à sa conviction obsessionnelle que le prince Philip a manigancé la mort de Lady Diana…
Ces histoires disent à voix haute tout ce qui se chuchote dans les recoins, et de leur ensemble concertant se dégage une sorte de polyphonie vocale à multiples échos internes, relevant d’une véritable invention littéraire sous ses dehors spontanés. Jouant souvent sur plusieurs lignes narratives entremêlées, comme dans une conversation où l’on a l’air de sauter du coq à l’âne sans perdre le fil, c’est enfin le reflet d’une Suisse moyenne bien actuelle qui montre sans chercher à rien démontrer, rappelant les mémorables nouvelles de Si Dieu était Suisse de Hugo Loetscher, en moins « intello », ou Les Nains de jardin de Jacques-Etienne Bovard, avec plus d’empathie.
À propos des nains de jardin, la séquence éponyme de Feu d’artifice est tendrement désopilante, qui évoque la décision d’un certain Erwin, pourtant très bien considéré dans la commune à l’époque, de garder ses beaux nains de jardin à la cave tant ils pleurent la disparition de sa femme , laquelle savait leur parler comme personne.
On se console en imaginant le Président de la Confédération, ce Monsieur Schneider-Ammann si capable dans sa partie, expliquer à ces gentils nains que, dans la vie, c’est comme ça, on peut dire que « niene geit’s so schön u luschtig wie deheim », ainsi que le dit la chanson - que nulle part la vie n’est si belle et si gaie que chez nous, mais voilà que même en Suisse il peut y avoir des pépins : par exemple la maladie dans les hôpitaux, et votre maman s’en est allée, mais maintenant elle est au ciel et elle vous voit, et elle pleurera si elle ne vous voit pas rire, etc.
Ernst Burren, Feu d’artifice ; histoires à voix haute. Traduit du soleurois par Ursula Gaillard. Editions d’En Bas, 172p, 2017.

Écrire un commentaire

Optionnel