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La vie sous le gingko

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(Le Temps accordé. Lectures du monde, 2024)
À la Maison bleue, ce mardi 11 juin.– Arriverai-je vivant au 14 juin, ce vendredi prochain où je suis censé fêter mes 77 ans avec mes filles sur la terrasse de Bourg-en-Lavaux, sous le ginkgo ? Je l’aimerais bien, mais mon état de ce matin, ma peine à respirer, mes jambes qui flageolent et se dérobent, ma vue troublée et mon oreille interne également perturbée , enfin tout le bâtiment en déglingue me font craindre un possible clash tout prochain alors qu’il y aurait encore tant d’ordre à mettre dans mes affaires et tant de passerelles à lancer en avant...
Je relisais hier le journal de Roland Jaccard, Le monde d’avant, de l’année 1983 où notre Sophie achevait sa première année, et je souriais de voir ce cher faux dilettante se dénigrer à bon marché tout en s’accrochant à ce qu’il y a de plus futile et passager dans la vie, mais non sans moduler aussi tant d’observations et de considérations fondées et intéressantes.
 
Je tiens mes carnets de façon régulière depuis ma 18e année environ. Le projet, d’abord non concerté, que constituent mes Lectures du monde représente aujourd’hui cinq volumes publiés, soit plus de 2000 pages, et les deux derniers comptent un peu plus de 1500 pages à l’heure qu’il est.
John Cowper Powys pense que la Littérature est le journal de bord de l’Humanité, je le pense aussi et c’est dans cette filiation que s’inscrivent, plus précisément, mes Lectures du monde, comptant actuellement quelque 3500 pages dont 2000 ont été publiées en cinq volumes, de L’Ambassade du papillon à L’échappée libre. La suite se déploie entre Mémoire vive (2013-2019) et Le Temps accordé (2020- ….), dont l’avenir éditorial reste aussi incertain que celui de mes 7 autres manuscrits actuellement publiables dans un contexte éditorial et littéraire où je n’existe quasiment plus.
 
De fait, les deux derniers livres que j’ai publiés n’ont pas eu droit au moindre papier dans les médias où j’ai donné le meilleur de moi-même pendant une cinquantaine d’années, à commencer par 24 Heures où ne sévissent plus que les techniciens de surface du commentaire culturel délayé par l’injonction commerciale - ceci dit sans aigreur car le plaisir me reste, et quelques fins lecteurs aux commentaires de qualité le partagent.
 
Ce mercredi 12 juin. – À mon tribunal secret, je m’accuse ces jours de perdre beaucoup de temps à traîner. Ce n’est pas bien : c’est mal. Notre cher François Mégroz, grand lecteur et commentateur de la Commedia de Dante définissait ainsi le mal : le non-Être. C’est cela même et je dois y penser à tout instant, sans trop réfléchir. Bien entendu, le Fantaisiste se défend en invoquant l’importance du pulsionnel et autres dispositions débonnaires, mais je reste, comme l’ami Roland Jaccard dont je relis Le Monde d’avant, une espèce de puritain compliqué, et le retour au pavé de D.H. Lawrence, qui va m’accompagner ces jours prochains au fil de mes réflexions personnelles sur la poésie, ne va pas simplifier la donne, et c’est tant mieux.
Notre prof d’allemand Wilfred Schiltknecht, du genre intellectuel de gauche toujours ouvert à la Zwiespältigkeit, autrement dit à la fondamentale dualité humaine, me disait qu’il avait toujours eu, avec ma personne ne le lâchant pas du regard en face de son pupitre magistral, l’impression d’avoir devant lui sa Conscience, et je me rappelle la définition de celle-ci par Alexandre Zinoviev (« ce machin, la conscience ») en me disant que le surmoi de mes aïeules n’a cessé d’interférer avec mes fantaisies et autres notoires inconduites…
 
Ce jeudi 13 juin. – Reposé, après une nuit de plein sommeil sans trop transpirer, et maintenant (il est 11h.20) je me dis qu’il ne faut plus traîner. Il faut, il ne faut pas, on doit, on ne doit pas : je me le dis depuis mon adolescence consciente, peut-être même avant si je pense à l’éveil de ma conscience, probablemenet avant et sûrement dès ma dixième année.
Or quand je dis traîner, je pense à la monstrueuse perte de temps à laquelle j’assiste aux écrans et à leur multiple périphérie, sous le signe de Pandora.
 
Ce vendredi 14 juin. – Malgré mes craintes et tremblements de ces derniers temps, je suis arrivé au 14 juin marquant ma 77e année, sans compter les 9 mois de gestation que la tradition coréenne inclut dans le cycle de vie, j’ai retrouvé ce midi nos deux filles à La Table, où elles m’ont offert des roses, puis j’ai dormi, puis je me suis repointé sur le rivage des baigneurs, et me revoici à L’Oasis où le serveur Zoran, Serbe d’origine installé en Suisse depuis 14 ans, me raconte le périple de sa famille au temps de la guerre. Comme ile vient de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, je lui raconte mon dernier séjour à Dubrovnik, alors que la guerre faisait encore rage sur les hauts, le montage idéologique et médiatique des Croates - qui fomentaient l'exclusion de la section serbe du P.E.N. club en congrès, et la jobardise de mes chers confrères dansant comme des ours au son du violon nationaliste...
Ce dimanche 16 juin. - J’éprouve le plus vif besoin, ce dimanche matin, de rompre un certain cercle vicieux dans lequel je me suis laissé entraîner par la seule Habitude, au sens où l’entendait un certain Arthur Rimbaud. Or je me demande précisément, ce matin, qui était le vrai Rimbaud ? comme je me demande qui je suis vraiment ?
J’ai esquissé hier soir un poème qui est comme la pointe d’une réflexion encore confuse, mais que je dois clarifier. Or cette question de la « marche au poème », pour parler un peu pompeusement à la manière d’un certain homme de lettres suisse allemand, devrait m’occuper ces prochains jours. Je vais d’ailleurs m’y employer dès aujourd’hui, dans mon cahier argenté. Je dois m’appliquer à tout clarifier. Je dois, il faut, la barbe, etc.
Quant à l’esquisse de poème, la voici :
 
La beauté que j’ai vue en toi
reste notre secret
que nul autre n’a deviné
que moi, les yeux fermés…
 
Je ne suis rien que ton reflet,
je ne sais qui je suis,
ni d'où tu viens, ni qui tu es
nous sommes là comme une nuit...
 
Je serais celui qui te parle,
tu te tairais pour que je dise
ce que tous deux nous ignorons
de ce qu’en nous le ciel divise…
 
Quant à la nébuleuse en toi,
l’aube aussi s’y retrouve
où l’Autre deviendra ce moi
que l’alliance prouve…
Et que cela signifie-t-il au juste, comme ça me vient ? Je n’en ai pas la moindre idée… Il est peut-être question d’Animus et d'Anima ? Je ne sais pas.
Je vais jouer désormais sur les divers niveaux de confidentialité que requiert l’usage des réseaux sociaux, plus précisément Facebook. Ce sera comme un jeu et je l’inaugure, en russe, avec un constat lié au phénomène mondial de la nouvelle dépendance liant les individus à leurs petits écrans (tablettes ou portabless) qui les fait se regarder en train d’être regardés par leurs semblables usagers se regardant les regarder par milliers et millions.
Веб-камера: тысячи, миллионы наблюдают друг за другом, и миллионы наблюдают за собой, наблюдая за ними.
Avec les Pages valaisannes de Cingria, je fais retour à Charles-Albert, trouvant une filiation étroite entre Pendeloques alpestres et Le Canal exutoire - ce que j’ai appelé son lyrisme ontologique. comme en convient la Professorella via WhatsApp...
Hier soir avec mes vieux amis aux cœurs verts. Tonio m’a invité en évoquant « une circonstace exceptionnelle », du genre « c’est pas tous les jours », etc. Il me fait toujours rire avec ses formules plus ou moins ampoulée, très « homme de lettres », comme lorsqu’il parle de l’amour oedipien qu’il voue à sa mère à titre posthume, après avoir vénéré son Pap’s à outrance – ce que je raille également. C’est l’homme de lettres en moi qu’en me moquant de Tonio je dégomme…
Ce lundi 17 juin. – C’est aujourd’hui l’anniversaire de la naissance du deuxième garçom de notre deuxième fille, et comme tout va par deux dans l’univers binaire, puisque aussi bien ils se sont mis à deux pour concevoir ce deuxième enfant avant la troisième, laquelle nous rappelle à juste escient que la vérité duelle n’est avérée en création que dans le débouché du symbole trinitaire, moi qui suis apparu au quaternaire et ne saurais donc me satisfaire du seul chiffre deux ou de la réalité augmentée du seul trois, en attente de l’idéal septuor je lambine – telle étant ma façon artiste de Fantaisiste.
Révérence alors au terrible Timothy auquel j’offrirai tout à l’heure, à partager avec ses frère et sœur : un télescope et un microscope, le premier pour se perdre en pensée dans l’Immensité des divers univers recueillie en orbe minuscule, et l’autre pour se retrouver dans l’infime majuscule du Présent - cadeau.
Ce mardi 18 juin. – Un poème m’est venu ce matin, découlant de ma reprise de la lecture, hier soir des Révélations de la mort de Chestov, et que j’ai dédié à Pierre-Guillaume et à sa compagne Emilia, que je vais retrouver tout à l’heure au café branché de Grancy.
Le poème, d’abord :
Ce que dit le silence
 
« Qui sait, dit Euripide,
il se peut que la vie soit la mort
et que la mort soit la vie »
 
(Léon Chestov, Les révélations de la mort)
 
Pour Emilia, en mémoire de Pierre-Guillaume.
La suprême ignorance est là,
de ne plus savoir si
de la nuit avant l’heure,
ou du jour et ses leurres
sont ce qu’ils sont ou ne sont pas…
 
L’étrange chose qu’une rose
qui ne parle qu’en soi
et dont jamais aucune foi
n’osa dire qu’elle dispose…
 
Les mots ne voulaient dire que ça:
qu’ils savent qu’ils ignorent
que le silence dort,
et que la mort n’existe pas…
 
(Soir) - Repris ce soir, non pas à mon Oasis de presque tous les soirs mais à une terrasse de Villeneuve où je ne retournerai pas à cause de son serveur narcissique se la jouant copain-copain-olé-olé, la lecture du livre de Quentin, que je prends de plus en plus au sérieux. Les critiques que j’en ai lues me font penser que, justement, on ne le prend pas vraiment au sérieux, concluant notamment à la superficialité de ses personnages. Or c’est inexact, ou disons plus précisément que la « surface » de ses personnages, vivant en effet dans l’immanence au (dé)goût du jour, est traitée par l’auteur avec une rare pénétration psychologique et avec une foison de détails significatifs quant à l’époque et aux particularités de chacun.
L’on ne voit pas assez, non plus, le caractère proprement poétique de son travail sur le langage, et plus précisément sur la novlangue des temps qui courent, et quand je dis langage je ne parle pas seulement de ce que disent ses personnages mais de leurs gestes, de leurs postures sociales ou intimes, du langage de leurs corps, de leur idéologie latente ou patente. Tout cela restant à détailler, prénom par prénom, car c’est par là qu'ils se distinguent, se ressemblent ou s’opposent, et c'est à quoi je vais m'exercer dans ma prochaine chronique...

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