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Délivrez-nous des heures

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(Le Temps accordé. Lectures du monde VII, 2024)
À la Maison bleue, ce mardi 4 juin.- Si ce n’était mon dernier voyage, je l’aurai vécu comme tel: comme une vraie folie, et sans cesser de me traiter de fou cédant à mes impulsions et compulsions tout en me jugeant avec la lucidité conséquente d’un être plus que raisonnable: comme un enfant lancé en l’air par un vieux dément, et cependant j’écrivais des poèmes, je fredonnais dans mon véhicule d’enfer à la blancheur trompeuse, je claquais des euros sans compter ni jamais oublier la mendiante des églises ordinaires et autres parvis de supermarchés, et mes amis me souriaient sans se douter de mon tourment - quoique de cela aussi je doute à présent.
À présent donc, raconte, me dis-je dans la drôle de paix de la Maison bleue dont le voisinage de palmiers et d’agaves acclimatés au biotope pseudo-méditerranéen lémanique me rappellent les pins parasols et les floralies aux exultations polychromes de la Riviera des fiori où je tombai littéralement du ciel ce premier jour d’échappée folle; et te voici d’abord, après tes 500 premières bornes, égaré dans la souricière d’un chantier naval génois où la souris d’ordinateur qu’évoque ton véhicule à consommation contrôlée (la petite Honda Jazz Escort label Hybrid) se retrouve soudain confrontée à une jeune policière à l’air sévère et aux mots effilés comme des poignards : macche Boccadasse non c’e per di qua, ma di là et lassù a sinistra poi di là et a destra - et la dextre de la fonctionnaire de te signifier finalement: de l’air !
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LA SOIRÉE ITALIENNE.- Sur quoi je me suis retrouvé comme hors des heures, seul à ma table en terrasse surplombant la petite anse de galets aux eaux quiètes renvoyant au ciel les reflets des façades en patchwork pastel faisant voisiner les ocres roses et les verts tendres et les murs safran ou les bleus évangéliques, enfin seul: mon œil, car la jeunesse du soir était là en son insouciante chiacchierata me rappelant les soirs de Sienne ou de Sorrente ou plus au noir du sud les tarentelles des nuits d’Amalfi, ma sei contento addesso fratello mi diceva l’alter ego mio, tout à la contemplation vespérale après l'épouvante autoroutière à tunnels meurtriers et dépassement criminels...
Mon Italie affective est dans ces couleurs et ces ondulations érotiques, mais l’esprit vif de Buzzati le visionnaire, et l’âme mélancolique de Pavese ne cessent de se faire écho dans ma perception, et tout à l’heure je me retrouvais dans les Enfers du XXe siècle aux préfigurations apocalyptiques, dans le tumulte tueur des camions lancés sur les doubles pistes et se dépassant comme des tamponneuses de Luna Park, où Dino le janséniste alignait ses prémonitions de haut marcheur dolomitique, alors qu’au soir la tendresse songeuse d’éternel jeune homme de Pavese me ramenait à la poésie des lisières de la nuit tandis que je sirotais mon âpre Primitivo signé Notte Rossa…
Boccadasse, autant dire Bouche d’âne, et le Saint Esprit s’en trouve lui aussi convié dans le frémissements d’ailes de colombes des quelques nuages d’été de là-haut où divers dieux prennent aussi l’apéro à l’heure délivrée des horloges…
 
TRISTE INJONCTION. – Ils et elles me traiteront encore de lémurien pédant lugubre et de vieux pontife à la Ratzinger, mais je les emmerde et j’y tiens : leur conseil de PROFITER, que dis-je leur ordre, leur essentielle recommadation de PROFITER de l'Italie m’apparaît à la fois comme une relance d’obscène convention consommatrice et comme une injonction à se soumettre aux pires clichés de la bienvivance écervelée, comme au lupanar on ordonnerait : et maintenant jouissez, alors qu’on n’est là que pour ça caramba.
Mais PROFITER signifie plus que jouir : on devine que, foi d’expression, faut que ça rapporte au moins le retour sur investissement, faut qu’on en ait pour son dinar, faut profiter du taux momentané du dollar, faut coller aux lois du marché sinon t’es mort.
Et ça te gêne que ça me gêne que tu t’abaisses à me dire de PROFITER ? Et que dirai-je tout à l’heure à ma cassata ?
 
LES AMIS RETROUVÉS. – Ces amis-là sont de ces gens qui, revenant de très loin, savent des choses qu’ignorent beaucoup de ceux qui croient en savoir bien plus, et c’est pourquoi les grandes phrases et les beaux mots de l’amitié se voilent de pudeur et de retenue, mais quoique ne nous étant plus vus depuis sept ans, nous nous retrouvons comme si c’était d’hier, et d’ailleurs ce n’est pas d’hier mais de ce matin même que datent nos derniers messages, avec la Professorella, qui partage désormais sa vie avec celui qui fut longtemps l’ange soignant du Gentiluomo, et que je retrouve toute pareille, souriante et douce comme l’était Lady L., aussi présente, au milieu des chats qu’elle a recueillis à travers les années, que lors de notre dernière rencontre à Cetona, en haute Toscane, où Fabio était venu présenter son ouvrage consacré à l’immense Cioran en présence du non moins considérable Ceronetti, son ami.
Mais basta les révérences, puisque ladite rencontre, dans une église catholique et apostolique transformée en lieu de conférence plutôt philosophique frottée de gnosticisme, fut plus qu’aucune autre dépouillée de salamalecs académiques au profit (profitez donc !) des accointances du gai savoir et de la connivence humaine.
Et comme les mottes de terre qu’on jette sur les cercueils, quelque part dans La Recherche où le baron de Charlus y va de ses lourds constats - profitez de la vie mes amis car telle est sa vanité – sonnent les noms de nos disparus : Emile Cioran, mort ! Guido Ceronetti, mort ! Lady L. et Vanni Cechhinelli, morts ! la chienne Thea et le chien Snoopy, morts !
Sur quoi nous reprendrons, de concert, la lecture de La patience du brûlé ou de Pour ne pas oubler la mémoire , du cher Guido, tandis que les livres de la Professorella elle-même (sur Cendrars, Bouvier, Cingria, Chessex, Cohen et Queneau, plus l’ouvrage qu’elle a cosigné avec Fabio Ciaralli sur la littérature concentrationnaire) me font signe sur les rayons, juste sous celui des œuvres complètes de Simenon, etc.
 

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