UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Souvenir d'enfantaisie

343455119_779874120400159_940559742445314931_n.jpg
344012636_133451736300732_4986211208078543013_n.jpgOu la grâce, parfois, des vers de Jean Cocteau…
 
Ces vers une fois de plus me reviennent de je ne sais quel sommeil éveillé de l’enfance ou d’un temps antérieur sans nom, en deça ou par delà le corps à deux têtes que l’amour emmêle en ce quatrain:
 
Je n’aime pas dormir quand ta figure habite
La nuit contre mon cou ;
Car je pense à la mort laquelle vient trop vite
Nous endormir beaucoup…
 
La dédidace indique simplement Souvenir, sous le nom manuscrit au stylo bleu de Jean Cocteau, le livre m’a coûté 150 francs suisses actuels dans une brocante; je disposais déjà de plusieurs éditions de Plain-Chant, mais c’est par ce recueil intitulé Poèmes, Morceaux choisis, paru aux éditions du Grand-Chêne, à Lausanne, en septembre 1945, tiré à deux mille exemplaires sur papier vélin (numéro 1733), que je suis revenu ces jours à la poésie de Cocteau, ou plus exactement à ses moments de grâce ici disséminés dans les fragments du Cap de Bonne-Espérance, du Discours du Grand Sommeil et de Plain-Chant ou d’Opéra et du Musée Secret, notamment.
La poésie chez Cocteau, autant que le voulu poétique, sont partout dans les écrits, les graffiti, les dessins et tous les gestes artistes et même publicitaires de ce touche-à-tout que j’ose dire angélique pour sacrifier à son propre kitsch, mais ce n’est pas ce qui requiert ici mon attention, vouée à la seule grâce...
C’est ensemble un sentiment d’embrassement et la sensation pensée de l’arrachement et d’un initial déchirement que les mots remémorent :
 
Je mourrai, tu vivras, et c’est ce qui m’éveille !
Est-il une autre peur ?
Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
Ton haleine et tu cœur.
 
La nuit de nos enfances ne nous suppose pas faisant l’amour, sauf à laisser agir la poésie dont les mots sont autant de lucioles aux lisières des prairies :
 
La main d’un maître anime le clavecin des prés,
notait un petit dormeur - et cet autre:
 
Un homme qui dort, tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes...
 
Sur quoi nous revenons aux stances de Plain-chant dont la confidence émane de la trentaine du Poète - on insiste sur la majuscule.
Voyons donc un peu plus loin:
 
Tout sera changé de ce que nous sommes,
Oui tout à l’envers.
Et les murs épais du sommeil des hommes
nous seront ouverts...
 
Le Poète ! Son orgueil ! Béni des fées ! A moi les muses ! Menues griffes de la vanité: petites vertus de la clique Verdurin et compagnie. Et la surprise revient dimanche soir:
 
Sur une mer en l’air de maisons et de vide
Rappelez vous le bal: un bateau fait en fil…
 
Or, le fil de la grâce n’est en rien continu. J’y insisterai et jamais assez à propos de cette période fabuleusement littéraire et donc prodigue de words, words words, même à l’enseigne de ce qu’on proclame alors avant-garde et voulu moderne, contre toute éloquence de salon et toute emphase d’académie, et la guerre est passée, et vient de s’éteindre un génie dans sa prison de liège : 1923, année de Plain-chant, fait suite à 1922 au novembre marqué par le dernier endormissement de Proust dont les ailes du Livre s’ouvrent alors pour toujours, et l’on est supposé désormais moins se payer de mots, la parole océanique brassant tout mais avec cette folle précision de chaque mot de chaque phrase de chaque page de la Recherche qui, loin de noyer ou de banaliser la poésie en revalorise au contraire ce que Baudelaire appelait les minutes heureuses, et me revoici, disons : au petit bonheur, devant ces mots de la Délivrance des âmes de Cocteau entre 1916 et 1918 :
Comme le nez du lièvre bouge,
Bouge la vie, et, tout à coup
Ne bouge plus. Un sang rouge
Coule du nez sur le cou...
 
(À suivre...)

Les commentaires sont fermés.