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  • Le chemin sur la mer

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    « Certes, le vieux monde n’est plus de ce monde, mais plus vivant que jamais » (Ossip Mandelstam)

    Qui aura chanté pour l’enfant
    dans vos rangs défilés
    de battants obsédés
    par la plus vide arborescence ?

    Au présent digitalisé,
    tout adonnés à vos écrans,
    vous vivez par procuration:
    même le vent s’est absenté,
    le vent, la mer aussi blessée
    d’être exclue de vos rêves,
    et vos rêves perdus -
    le rythme et la rime exclus
    de vos seuls algorithmes...

    L’haleine du chien me revient:
    le souvenir des crocs
    mordant au plus tendre du corps
    de l’enfant pour jouer -
    l’enfant qui jouait à la guerre,
    le plaisir solitaire
    de l’Être se reconnaissant
    dans la caresse des amants...

    À trier vos déchets,
    ceux des enfants qui restent là,
    retrouvant si jamais
    le temps en regrets égarés,
    vont-ils oser le chant ?

    Retrouver les saveurs du chant
    de la diva qui s’extasie,
    et toute l’ironie
    du sort et des fééries
    d’avant la vallée de la mort ...

    Revivre enfin la douce vie
    capable de mystère,
    relancer la cérémonie
    du chemin sur la mer...

  • D'autres révélations

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    (Le Temps accordé, lectures du monde 2022)
     
    À la Maison bleue, ce vendredi 11 novembre. – Hier m’est arrivé, par la poste, un tout petit paquet envoyé de je ne sais quel bled de France profonde, dans lequel se trouvait le tout petit livre de Grégory Rateau que j’ai préfacé, et passée la surprise le format de ce recueil d’Imprécations nocturnes et sa couverture comme dorée à la feuille m’ont paru parfaits, comme d’un bréviaire libertaire à emporter dans sa poche revolver; et relisant ma préface il m’a semblé que ce que j’y disais n’était pas moins dans la juste tonalité.
     
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    Aussi ce que je me dis ce matin, revenu à La Haine des oiseaux de mon ami Quentin, qui m’a pour ainsi dire dicté mes contrerimes du lever du jour, je me dis que, décidément, ce qu’on appelle la poésie n’est pas ce qu’en disent les poéticiens et autres théoriciennes. Mais qu’en sais-je ? À vrai dire seuls les poèmes le savent, qui me viennent je ne sais comment…
    Ceci donnant cela :
    Ne parlons pas de la guerre...
     
    «Ce soir
    Aucun semblable
    Ne se ressemble plus».
     
    (Quentin Mouron, La haine des Oiseaux)
     
    Ils font semblant de faire semblant
    et cet eux, ce sont nous:
    il n’y a plus d’île qui fasse,
    les confins effondrés
    vous ont rejetés dans les nasses
    de ce vivre-ensemble factice
    dont vous vous repaissez...
    Le prix de l’eau va remonter,
    ou la nuit régnera
    sur la ville assiégée de partout;
    tu ouvriras les bras
    où se jetteront des zombies;
    tu te feras l’amour,
    et les momies de la télé
    mordront à tes appâts...
    Tout est lié, jolie pianiste:
    tes doigts sur le clavier
    du lanceur d’élégants missiles
    donnent aux imbéciles
    le droit de t’aduler à mort -
    tu diras protester,
    mais les violents l’emporteront
     
    MORTS ET VIVANTS. – J’en reviens sans cesse à la parole d’Euripide citée par Léon Chestov dans Les Révélations de la mort, mais ne sachant pas le grec ancien ni n'ayant la moindre idée du timbre de la voix de Chestov, je ne sais réellement ce que cela signifie, ou disons que je cherche à le convevoir, et vous pouvez en ricaner sur vos plateaux télé : « Qui sait, dit Euripide, il se peut que la vie soit la mort et que la mort soit la vie »…
    Or cela n’est pas d’un constat morbide qu’il s’agit, ni d’un paradoxe d’évitement de la réalité réelle : c’est une sorte de pari lancé à ce qui se voit ou qu’on croit voir, et c’est le fondement du doute et le tribut accordé à l’illusion féconde.
    Au miroir de ce soir, je te vois derrière moi, et bien entendu je doute même de ce que je redoute…
    Il va de soi que, tout ordinaire que je suis, je sache comme tout un chacun ce qu’est la vie, ayant vu la mort en diverses occasions, mon aïeule paternelle énorme comme posée sur le catafalque et le nez soudain exagéré pointant au ciel, et notre père ensuite en sa nudité christique oblitérée de cicatrices et d’ecchymoses, ou notre mère en jolie robe apprêtée derrière sa vitrine de la chapelle funéraire, et mon grand frère le forban , et mes amis aimés, mais pas un instant ne me lâche mon doute,pas un instant je ne conclus au néant de ces visages réduits en cendres, pas un instant je ne crois à la mort de mon amour en notre dernière nuit passée dans les bras l’un de l’autre - elle déjà voyant par delà notre temps accordé…
     
    Peinture: Thierry Vernet. Pp LK / JLK.

  • Jouets des dieux

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    Ceux qui s’aiment sont des enfants:
    cela s’entend la nuit
    dans le silence et l’innocence,
    par-dessus tout instant,
    sur l’île là -haut qui dérive
    lentement au fond des cieux...
     
    Le ciel est descendu en eux
    dans le reflet de l’eau
    qui les revigore au matin,
    et ce serait toujours,
    tous les jours le même matin
    revenu par amour
    les coiffer de cette lumière -
    tous les jours éphémères...
     
    Ils ne sont là que pour jouer
    à se prendre au sérieux:
    on n’est enfant rien qu’un moment,
    et l’ombre reprendra sa ronde,
    ils le savent pourtant,
    les enfants aux têtes blondes
    que le jeu même veut
    qu’on rende aux dieux leurs beaux jouets ...
     
    Peinture: Friedrich Dürrenmatt pour ses enfants.

  • La religion d'en rire

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde, novembre 2022)
     
    À La Désirade, ce mercredi 9 novembre. - Dans un rêve de cette nuit la Sarrasine me suggérait de convier mes père et mère à nous rejoindre sur le toit du théâtre afin d’en fumer une dernière, et j’étais triplement gêné. D’abord parce que le vent des montagnes, en ces nuits d’hiver, est d’une rigueur menaçant les sujets à risques, selon l’expression rebattue durant la récente pandémie, ensuite du fait de la disparition de mes père et mère il y a respectivement vingt ans (ma mère que Gemma n’osait pas dénigrer en ma présence) et plus de quarante ans pour mon père (qu’elle affectionnait au contraire), enfin pour la façon de me parler durement avant d’éclater de rire bruyamment, me rappeleant soudain (j’allais émerger du sommeil) que ma vieille amie tabagique et adonnée depuis peu aux opiacés reposait elle aussi sous une pierre, à quelqes pas de celle de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, dans le cimetière de Grinzing, bourg vigneron proche de la capitale où nous avions sifflé ensemble des verres de Gewurztraminer et de Nebelspalter, je ne sais plus en quelle année.
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    VIS COMICA. - Le nom de Gemma m’est revenu en rêve après que j’eus visionné, la veille et l’avant-veille, les 16 épisodes de la série coréenne intitulée You are beautiful dont la protagniste, une jeune orpheline prénommée elle aussi Gemma, décidée à vouer sa vie à Dieu, abandonne quelque temps son voile de novice pour intégrer, à la place de son frère jumeau et donc déguisée en garçon comme dans les comédies de Shakespeare, un groupe de pop extrêmement en vogue auquel elle ajoute sa voix positivement angélique et son minois d’androgyne propre à déclencher l’hystérie des adolescentes de Séoul et environs.
    Or, passant d’un épisode à l’autre, je m’étonnais une fois de plus de l’intérêt que je porte à ces produits de la culture coréenne, imaginant qu’un Georges Haldas ou qu’un Philippe Jaccottet me surprennent soudain à cette occupation sûrement frivole à leurs yeux, voire débile ; mais je me rassure en me disant que notre amie la Professorella, ma chère Annemarie J., en retraite de la faculté des lettres de Pise, est elle aussi accro aux séries asiates comme elle me le confirme volontiers sur Whatsapp…
    Combien nous avons ri avec Gemma, même quand tout coinçait entre nous – ou peut-être surtout à ces moments- là quand nous étions proches de nous égorger (moi) ou de nous poignarder (elle), et quel plaisir j’ai eu aussi à la voir se poiler avec Lady L., en tout cas une fois. Spinoza estime que la tristesse est un réel péché. Je lui donne raison avec la conviction connexe que le rabbi Ieshouah, lui aussi, riait parfois comme un dieu, quoiqu'en disent les bonnets de nuits de la théologie.
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    RETOUR AU GOOD WILL. – Passant à La Désirade pour y récupérer mon exemplaire du Purgatoire traduit et commenté par François Mégroz, ainsi que le dernier recueil de poèmes de Quentin, j’ai retrouvé, à la lettre S de ma bibliothèque française riche de 3333 volumes, un exemplaire du Poète tragique de ce fou de Suarès auquel je suis revenu ces jours avec son formidable essai sur Molière, qu’il place précisément à la hauteur du barde en les distinguant nettement pourtant, selon le critère avéré ou non de la féerie.
    Et reprenant maintenant la lecture du Shakespeare de Suarès, voici que je tombe sur des pages entières consacrées à Racine, et c’est une mise en rapport de plus et non moins révélatrice, qui me rappelle celles d’un Cowper Powys dans ses grands moments de traversée critique: Racine pour mieux cerner Shakespeare longtemps mal compris des Français - et Suarès de conchier Voltaire l’envieux et même de remettre en place l’enthousiaste Victor Hugo se la jouant outrageusement l’égal du génie «celte», avant que son fils ne s’attelle aux premières traductions à peu près recevables.
    Sur quoi les pages inouïes de ce Poète tragique, que j’avais lues une première fois bien trop distraitement, il y a plus de quarante ans de ça, alors que je n’avais encore abordé sérieusement ni Proust ni Shakespeare, m’ont donné envie de reprendre la publication de mes notes sur celui que j’appelle, plus volontiers que le Big Will, le Good Will…

  • Clairière de l'Être

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    Un être exquis m’attend là-bas,
    par delà la rivière
    de la rue bientôt oubliée -
    par delà le trépas...
    Sa façon de sourire inouïe,
    son béret sur l’oreille,
    le regard de ma douce amie -
    sa présence au sommeil...
    Toutes ces vies en un regard,
    cet être inaccessible,
    cette autre façon de paraître -
    que sais-tu de ce que j’ignore ?
    Sous la patience des étoiles,
    la nuit quand tu souris
    comme une voile se déploie
    en gage d’infini...
    Mais ces mots encore sont de trop:
    l’Exquis reste indicible.
    Veillons humbles devant les eaux,
    tout ardents et paisibles...
     
     
    (Image Lucia K, alias Lady L: veilleuse de nuit)