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  • Derniers jours

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    (Le Temps accordé, lectures du monde 2021)
     
    Ce lundi 6 décembre 2021. – Me viennent ce matin ces mots, tandis que Lady L. décline doucement :
     
    Elégie cosmique
     
    Nous ne nous quittons pas vraiment:
    ce n’est que du semblant;
    nous nous pleurons dans le gilet
    pour ne pas oublier
    ce que fut notre bonne vie
    au fil de tant d’années,
    mais à l’instant dans les étoiles
    nos voiles confondues
    très doucement dérivent
    en partance vers les issues...
    Si je m’en vais te laissant là,
    prends bien soin des oiseaux,
    et si tu partais avant moi
    je m’occupe des chats;
    le piano ne bougera pas:
    la mélodie demeure
    entre nous par delà les heures...
     
    Nous nous somme bien entendus,
    nos enfants nous ressemblent;
    ce sera beaucoup de chagrin
    de n’être plus ensemble -
    en apparence seulement...
     
    Car nous ne nous quitterons pas,
    mais pour nous alléger
    nous semblerons nous faire la belle,
    et la ronde des sphères
    sera notre doux carrousel
    de l’ombre à la lumière...
     
    Nous parlons des douleurs de l’enfance. Je lui rappelle les mots de Dimitri dans la postface de mon premier livre, qui avaient choqué ma mère comme d’un reproche personnel qu’on lui adressait, alors qu’il s’agissait de tout autre chose.
    « Heureux ceux qui ont souffert étant enfant », avait-il donc écrit, alors qu’apparemment, comme le pensait notre mère, mon enfance avait été heureuse et sans souffrance, et pourtant il y avait du vrai, même si je n’ai jamais connu la douleur lancinante qu’L. a subi au seuil de son adolescence, lié au comportement abject d’un parent que son père eût tué s’il en avait été informé, d’où le silence abolu de sa mère à laquelle elle avait fini par se confier – secret des familles qu’on étale aujourd’hui dans les médias… mais l’enfance est le vrai tribunal, et toute une vie et ses joies n’effaceront pas la Tache, et l’ombre qui parfois, aussi, suscite un surcroit de lumière, ou plus exactement : un plus grand élan vers la lumière.
     
    DES LARMES. - Depuis tout enfant tu as ce don, crocodile, de te purifier comme ça, tu ne pleures pas sur toi mais sur le monde qui ne va pas comme tu l’aimerais, l’œuf de colombe que le caillou écrase ou qui se casse en tombant sur le caillou, toi aussi seras toujours trop tendre, jamais tu n’auras souffert l’injustice du Dieu méchant, et ça s’aggrave, nom de Dieu, tous les jours que les méchants font…
     
    L’infirmier Sébastien me fait l’effet d’une ange, qui se manifeste par une gestuelle qu’on pourrait dire ailée, en même temps qu’il est zélé, et comme il rassure autant qu’il assure, lui et sa brigade des soins palliatifs, tous dans la trentaine ou à peine plus, tous les jours confrontés aux fins de vie, comme on dit - tous ont de la lumière dans les yeux et de la douceur non doucereuse dans la voix et les gestes - et le plus fort est que ce sont elles et eux qui nous disent, sans vaines paroles, leur reconnaissance…
     
    Me désignant son corps elle me dit avec un pauvre sourire : un cadavre ambulant. Mais je lui réponds, sans la contredire, que de son visage émane la même lumière qui ne cesse de nous éclairer - son aura.
     
    Les Services lui ont installé un lit médicalisé, mais elle n’a même plus la force de s’y déplacer. Le Fentanyl l’a aidée à dormir, mais elle refuse la morphine et me demande de décliner d’autres visites que celles de nos enfants et des petits. Son cousin d’Amérique devrait arriver demain de Grèce, mais je crains… je crains.
    « I’m slowly going away », lui écrivait-elle il y a à peine une semaine…
     
    Peinture: LK, vestiges du jour à La Désirade. Huile sur toile.

  • Ô rage, ô...

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    (Le Temps accordé. Lectures du monde, 2021)
     
    SOIR. – Ma bonne amie est restée sur le flanc tout le jour, n’a mangé qu’une carotte et ne voyage couchée que par Instagram, tandis qu’avec The Dog je me retrouve au bord de la nuit et du lac, l’une et l’autre se touchant en mouvantes moires, par delà les enrochements, sous un grand ciel noir à la Soulages retenant son souffle et sa pluie… (Ce dimanche 3 octobre, date de la mort de saint François d’Assise, en 1226)
     
    MISE EN ORDRE. – Je vais m’atteler, ces prochains jours, à une mise en ordre complète de mes affaires, et j’entends en effet par là : de toutes mes affaires, matérielles et volatiles. J’ai constaté ce matin que ma façon de mettre en ordre mes affaires matérielles aboutissait à un surcroît de désordre, faute de suite dans la réalisation, et je vais donc poursuivre dans l’idée de conclure à tous égards, sans quoi le désordre va me submerger sous les velléités de mises en ordre, etc. (Ce samedi 16 octobre).
     
    DISPOSITIONS. – Je viens d’achever la lecture du roman le plus sinistre et peut-être le plus fascinant de Patricia Highsmith, Les Deux visages de janvier, il est dix heures du matin et Lady L. est en train de finaliser, dans la pièce voisine dûment fermée puisque je suis encore couché, les dernières dispositions qu’elle a prises pour nos Adieux à venir, en compagnie d’une employée de je ne sais quelle Agence funéraire, et ceci malgré mon objection, estimant la démarche bien prématurée, mais L. m’a répondu posément qu’elle tenait à ce que tout soit réglé pour qu’elle n’ait plus à y penser, et c’est dans cette perspective aussi qu’elle a choisi l’autre jour deux morceaux de la Messe solennelle de Berlioz et trois de mes poèmes de La Maison dans l’arbre ; et me voici encore troublé par la lecture des derniers chapitres de ce roman proprement infernal – deux damnés qui se traquent après deux meurtres aussi malencontreux l’un que l’autre – alors que m’arrive un courriel d’Andonia qui me dit penser beaucoup à nous deux – elle a vécu la même chose avec Geneviève - et toute disposée à envisager la publication à L’Âge d’Homme de mes deux derniers recueils, La Chambre de l’enfant et Le Chemin sur la mer, qui constitueraient une trilogie évidemment dédiée à L. et qu’il serait heureux qu’elle pût lire de notre vivant, etc (A La Maison bleue, ce dimanche 21 novembre)
     
    NOTRE DESARROI. - Comme l’on pouvait s’y attendre, nos très lourdes tribulations de ces derniers temps, la fatigue et la faiblesse écrasant ma bonne amie en dépit de son courage et de son effort de sérénité, les aides de nos chers enfants, la présence vivifiante des petits lascars à la fois inquiets et ravis, le soutien de quelques amis et les soins inappréciables de notre médecin de famille et des oncologues du CHUV, n’excluent pas ici et là des accrocs, comme tout à l’heure dans la cuisine où, nous préparant des spagues et lui demandant le secret de sa sauce en la priant de ne pas se lever, elle s’est levée quand même et m’a tourné autour pendant que je m’efforçais de suivre ses indications, et la cuisine étant étroite, le chien dans nos pattes et me rappelant soudain l’affreux Chester jetant une urne de terre cuite à la tête de sa Colette adorée, je me suis soudain impatienté et le ton s’en est ressenti dans nos paroles au point que nous fûmes bientôt tous deux au bord des larmes, sur quoi nous nous sommes éloignés l’un de l’autre, j’ai fini de tourner cette putain de sauce, enfin nous nous sommes retrouvés, je lui ai dit qu’il fallait tenir jusqu’à la fin du Marché de Noël et en jouir un max même de loin, elle a souri et presque fini son assiette de spagues.
    Or nous n’en sommes pas, décidément, à nous jeter des urnes antiques à la tête pour calmer notre colère « contre la vie », cette imprévisible salope qui nous a fait la double grâce, hier, d’une visite de nos amis B. et de nos petits moutards que j’ai gratifiés, avec leurs parents, de cinq tours de Grande Roue du haut de laquelle, survolant le lac et les toits, les guirlandes et les baudruches multicolores, nous avons échangé de grands signes de mamour-toujours avec Lady L. sur notre balcon de la maison bleue.
     
    DU VRAI SÉRIEUX. – En lisant les cahiers intimes de Patricia Higshmith, alors âgée d’à peine vingt ans, je retrouve le fond d’absolu sérieux qui était le mien entre seize et dix-huit ans déjà, et qui marque, aussi, l’esprit infus du roman de Mohamed Sarr en sa trentaine, étant entendu que ce sérieux n’a rien à voir avec la gravité affectée plus ou moins niaise des jeunes lettreux imbus de leur personnage, et tout avec la folie absolutiste de l’Enfant de tous les âges découvrant l’importance abyssale de la vie, le poids du monde et les ailes pour le survoler – enfin c’est cela que j’ai cru trouver dans cette page du journal de Pat qui invoque à la foi le sérieux et la légèreté requise pour le vivre sans se «prendre au sérieux», etc.
     
    Peinture: Edvard Munch.

  • Le coeur vert

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    Des voix se mêlent à l’orée,
    la glace se dérobe
    dans la nuit du temps qui vacille;
    on dirait au fond de l’orbe
    que des échos scintillent...
    Ils invoqueront la ressource
    d’avant les glaciers éperdus,
    d’avant le dernier glas,
    quand le temps de la force douce
    n’était qu’imploration
    devant l’arbre qui pousse...
    Que l’enfant vous reprenne en mains,
    grisailles sans coeur,
    débris de résurrections ,
    potences et gibets -
    que l’enfant vous brise en douceur ...
     
    Peinture JLK: L'enfant perdu.