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  • Le Temps accordé

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    (Lectures du monde 2020-2022)

    COMPLOTISTES & CO - Vous avez dit complot ? Ô combien, mais encore faudrait-il s’entendre sur la forme et la nature de la présumée conspiration. L’Etat profond ? Les puissants masqués en collusion ? Les riches claquemurés dans les bunkers de luxe de Davos ? Les Chinois ?

    Et pourquoi pas tout le monde, tant qu’on y est ? Pourquoi pas les grandes surfaces et leur clientèle masquée ? Pourquoi pas notre espèce entière qui pompe l’air des oiseaux et le pollue jusqu’à faire crever moineaux et sardines ? Pourquoi pas un complot de la vie même ?

    Et quoi faire alors ? Virer le capitalisme ? Foncer en gilets jaunes sur tous les capitoles oiseux ? Une révolution de plus ? OK mais laquelle ? Ou baisser les bras et se retirer sous sa tente ou dans sa cabane dans les bois ? Cultiver son jardin comme Candide ? Le cher vieux Léautaud alcestueux avait fait inscrire sur sa tombe « foutez-moi la paix! ». Mais quelle paix ?

     

    QUEL APRÈS ? - Faut-il se la jouer paix des morts avant terme ? Peut-être est-ce à quoi rime la nouvelle forme de consentement feutré à quoi nous porte le complot continu de la Grande Distribution ?

    Ils vous ont dit comme ça que ce temps suspendu serait celui d’un retour à la culture, et vous avez vu: plus de cafés ni de piscines ni de librairies, ces lieux saints de la conversation, de la brasse coulée et de la lecture. Et plus que tout: plus de travail ! Mais quel travail ?

    Dans son dernier roman à tournure de dystopie catastrophiste, sous le titre de Calendrier de l’après , le sympathique Nicolas Feuz, momentanément allégé de ses activités ordinaires de procureur, brosse le tableau terrible d’un monde dévasté par le virus où deux reliquats de notre espèce survivent: les bien-pensants, soumis à la Gouvernance de quelque élus, et les inutiles qu’on parque et qu’on traite en réservant aux contrevenants l’exécution publique par le gaz.

    Cette vision simple de notre Après se veut effrayante et joue sur la peur ambiante, mais éclaire-t-elle en quoi que ce soit la situation actuelle et ses lendemains ? Je crains bien que non, car je crois que la réalité a beaucoup plus d’imagination, et notre espèce plus de ressources de survie.

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    LES BRAVES GENS.- La redoutable Flannery O’Connor, sans illusions sur la nature humaine en sa qualité de mystique christique auteure de nouvelles géniales écrites dans sa ferme sudiste grouillant de poules et de paons, constatait que les braves gens ne courent plus les rues tout en s’attachant à leur observation tendre et vache à la fois.

    Je suis hélas beaucoup moins catholique que cette illuminée, mais à la fois plus confiant en les braves gens, sûrement beaucoup plus nombreux qu’elle ne le dit en son jansénisme de grande malade vouée à une mort aussi prématurée que celle de Pascal, autre cinglé notoire.

    Parions donc débonnairement, en ce dimanche enneigé à la fraîcheur roborative, pour le meilleur au milieu du pire - pour les braves gens de bonne volonté et d’autres lendemains qui chantent sans trop de boniments...

    CRISTAL DU SONGE. – Je n’aime pas parler de « poèmes » à propos de mes contrerimes, et j’exclus tout commentaire lorsque je les publie sur Internet, comme il en irait d’objets trouvés sur une grève qu’il serait à mes yeux déplacés de qualifier de « bons » ou de « mauvais », pas plus qu’il n’est sensé de critiquer un tesson en bien ou en mal. Il est vrai que je compte les pieds de mes vers, mais c’est juste affaire de rythme et de sonorité, l’apparition du premier et l’enchaînement de ceux qui suivent relevant plus de l’instinct verbal ou du subconscient que de l’artefact, mais il en va à mes yeux de la poésie comme de la pensée, qui découlent, comme le disait le disgracieux Paul Verlaine au verbe (parfois) de pur cristal, « de la musique avant toute chose », et cela rejoint le Rimbaud des Illuminations qui me touche (parfois) au plus profond pour je ne sais quelle raison.  

             Donc voilà pour ma « musique » de ce matin :

     

    Au doux parler

    Le style nouveau de la douceur,

    le fameux dolce stil;

    si dice: dolce stil nuovo,

    rétablit la valeur

    de la douce chanson des mots...

     

    À l’insane jactance en cours,

    au discours des chaos,

    le style subtil au jour le jour

    oppose l’harmonie

    labile des oiseaux...

     

    Tu es telle mon hirondelle,

    dans le torrent des airs,

    en joyeux tourbillons,

    que les vers en ribambelles

    à leur tour jailliront ...

     

    Au fond du ciel est un mobile

    secret et radieux,

    dont la grâce efface la trace,

    tout au plaisir présent

    d’un murmure volubile...

     

    CONTRE PASCAL. – En toute modestie quasi onirique, non moins qu’enfantine, je me disais ce matin, entre deux sommeils, que l’Éloge de la douceur auquel j’aimerais me consacrer en mes derniers temps serait un recueil de notations pratiques, politiques ou poétiques  qui prendraient en somme le contrepied des Pensées de Pascal que je suis en train de relire, plaidant - contre toute apparence -, pour la bonté fondamentale de la créature humaine moyenne, la restauration d’une confiance universelle en celle-ci (moyennant son propre effort de changer de vie) et le décri de la théologie exaltant les bienfaits de la douleur et les méfaits d’un Dieu mauvais.

    Tout sublime qu’il soit, avec sa langue de colombe à fiel verbal de vipère, Pascal me semble d’une dureté à côté de laquelle un Voltaire fait figure d’aimable compagnon, même si je déclinerais l’offre de passer mes vacances avec l’un ou l’autre, ou à la rigueur aux eaux avec Voltaire, mais à distance.

    À vrai dire il y a de l’ayatollah chez Pascal, qui dit à peu près ce que proclament les fanatiques d’un Allah janséniste : que le monde est immonde et que plus on le hait et plus on est digne d’être aimé et sauvé, ce genre d’absurdités…

    DE BONS CONSEILS. – Or c’est tout en douceur que j’envisage ma révolution mondiale, patiemment adaptée à toutes les populations et peuplades, et sans contrainte aucune, en rupture totale de persuasion clandestine, cartes sur table et chiffres à l’appui, en conseillant d’abord à chacune et chacun d’évaluer ce qui ne va pas dans sa vie et, à supposer que ce soit le cas, pourquoi et comment en changer dans la mesure de ses possibilités et en aimable connivence avec son proche entourage et ses voisins de palier, et sans tarder passer à l’action, agir en conséquence, changer de job s’il ne te plaît pas vraiment, changer d’époux s’il te bat, te changer toi-même si tu bats tes enfants, ainsi pour commencer et ensuite continuer en ne faisant que se conformer à ce qu’il y a en chacune et chacun de bon qu’on feignait jusque-là d’ignorer, poil au nez.       

     

    LE GAMIN. - Je me suis réveillé ce matin en pensant au gamin, comme je l’appelais hier soir en parlant de sa connerie avec Lady L. Elle m’avait évoqué la première l’avalanche survenue ce dimanche à peu près mille mètres au-dessus de notre balcon lacustre, citant la piste du Diable qu’il m’est arrivé de dévaler naguère, sur quoi je me suis renseigné plus précisément pour apprendre que quatre jeunes skieurs sauvages, ce magnifique dernier dimanche, ont été soufflés par une avalanche de neige fraîche à l’aplomb des rochers de Naye, dans un entonnoir vertigineux où ils s’étaient risqués au mépris des prescriptions claires répétées ces derniers jours par les instances responsables de la sécurité en montagne, et c’est ainsi que le gamin s’est retrouvé enseveli sous plusieurs mètres de neige dont les sauveteurs l’ont finalement arraché pour le transporter en hélico à l’hôpital où il a succombé à ses blessures en cet affreux dimanche dont ses parents et ses potes survivants ne se remettront probablement jamais malgré le temps censé guérir toutes les blessures, etc. (Ce mardi 19 janvier)

    HORS NORMES.- Mourir comme ça pour le fun relève de la connerie pure à pleurer, et j’ai bel et bien réprimé hier soir un bref sanglot en me figurant la fin atroce de ce gamin étouffé et fracassé, tout comme, un autre dimanche super où nous devions partir ensemble, mon ami Reynald s’est disloqué dans les séracs du Dolent bien nommé après qu’il se fut risqué tout seul sur la dernière pente glaciaire de la paroi jetant ses feux glorieux sous le soleil dominical - petits cons dérogeant aux sacro-saintes normes élémentaires de sécurité, non mais tu percutes ?!

    Et comment que je « percute » , pour parler le volapük des kids, même si j’ai toujours été plus regardant en matière de normes de sécurité que nos malheureux lascars, mais quoi de plus normal que de se fiche des normes à dix-neuf ans, surtout en période d’obsession sanitaire et sécuritaire généralisée ?

    ET APRÈS ? - Le gamin ne saura jamais ce qui l’attendait, qui nous attend. Tu crois que le vaccin va nous sauver ? Vous pensiez crânement que la pente tiendrait, mais le défi et le déni sont soumis aux même lois de la gravitation en temps idéal que sous l’orage ou la guerre des mondes, et demain reste incertain, pauvres gamins que nous sommes...

    CAPABLES DU CIEL. - c’est aujourd’hui que les Américains changent l’eau de leur bocal national, avec un nouveau ministre de la santé transgenre en lequel (ou laquelle) d’aucun(e)s verront un signe de dégénérescence alors que ma bonne amie et moi nous en amusons plutôt sans nous réjouir pour autant : aux fruits à venir de nous dire si l’arbre transformiste était un bon choix; et à ceux qui nous disent que le nouveau président ne sera pas meilleur que le précédent, je réponds que pire que ce dernier est inconcevable, et la série de pardons accordés par le ploutocrate en son dernier forfait en dit tout: rien que des crapules hideuses, reflétant sa propre ignominie.

    Est-ce dire que Joe Biden sera aussi capable du ciel que Léonard de Vinci ou Jean-Sébastien Bach ? Sûrement pas, mais du moins ne subira-t-on plus cette seule image omniprésente de bateleur de grande surface entouré de Barbies laquées et de laquais serviles: ainsi distinguera-t-on plus tranquillement ce qui a de l’importance (la bonne vie et les braves gens) et ce qui en a moins (le Pouvoir et le Profit), tâchant de voir plus sereinement le ciel et pas le faux Dieu du paltoquet brandissant la Bible comme une arme d’intimidation massive.

    DÉSARMEMENT MORAL. - Je me trouvais donc hier soir au bord du ciel, sur la terrasse enneigée du palace de Caux désormais voué au management hôtelier «à l’international » après avoir été le siège du Réarmement moral cristallisant l’idéal d’un autre temps sous l’égide d’un paternalisme capitaliste bon teint.

    Or, considérant l'extension d'une nouvelle hypocrisie moralisante qui ne me semble pas valoir mieux que celle-là, je ne serais pas loin, au nom du ciel très pur, de préférer le désarmement moral, en tout cas pour ce qui touche aux assauts de la vertu prétexte à tous les lynchages , etc.

    La vue élargie , le grand large et l’air tonique, la griserie quasi cosmique et la beauté de tout ça, enfin Snoopy qui réclame un biscuit de plus: la putain de belle vie, quoi !

     

    Ce jeudi 21 janvier. –  J’ai prié ce matin mon éminent confrère E.S. de m’excuser, sur Messenger, de n’avoir pas même accusé réception de son envoi, par le même canal, d’une communication qu’il a consacrée à l’évaluation comparée des avantages et des inconvénients de l’impérialisme en tant que tel et du capitalisme monopolistique, selon l’économiste allemand Schnupfeter,  au motif que j’étais hier soir, après avoir été appelé en urgence au bloc opératoire de la clinique, tout occupé à procéder, par voie transsphénoïdiale,  à l’ablation d’une tumeur bégnine sur l’hypophyse de la jeune Rosalind (dix neuf ans, les yeux verts et la grâce fragile), et l’on sait (E.S. plus que d’autres d’ailleurs en  sa qualité de  chercheur en neurobiologie) quelle concentration sévère requiert cet acte chirurgical. Il me semblait par ailleurs que j’avais évoqué récemment, auprès du cher prof sûrement distrait par ses multiples activités (il fait aussi dans le piano et l’essai plastique) mon peu de goût pour les idéologies en général et les théories économiques en particulier - moi qui m’en remets à peu entièrement à Lady L. en matière de finances et de cuisine -, mais je me suis contenté de rester évasif dans mes remerciements, sans entrer non plus dans le détail à propos de Rosalind…

     

    DOUBLE COUP DE FOUDRE. – Il y a longtemps, déjà, que mon admiration pour le romancier anglais Ian McEwan m’a attaché à ses ouvrages, d’une intelligence sensible bien rare en cette période  d’eaux basses, et je me disais ces jours, à la lecture très annotés (au stylo rose) de Samedi, que de tels livres ont la valeur de véritables essais, mais en actes, si l’on peut dire, où les relations entre les personnages (hier soir entre le jeune carabin Henry Perowne et la jeune Rosalind, à l’opération de laquelle il assiste auprès du Patron du service de neurochirurgie), impliquent le lecteur avec une intensité et une précision englobant la situation rapportée et les affects du lecteur autant que ceux des protagonistes. En l’occurrence, Henry tombe raide amoureux de Rosalind en train d’être charcutée en finesse  (il tient le haricot dans lequel le Patron dépose la tueur à consistance de pudding brunâtre, mais également de son propre futur décidé à ce moment-là, qui sera celui d’un spécialiste de non moins haute volée que son boss… Bref, comme le dit Proust dans Le Temps retrouvé, tu deviens le livre que tu lis si le livre en question est sérieux, pour autant que ta lecture soit aussi sérieuse que lui…

     

    CHRONIQUE. - J’ai bouclé ce matin ma 120e chronique destinée au média indocile Bon Pour La Tête, dont j’ai motif, je le crois en tout orgueil scientifiquement mesuré, d’être content et fier. Que voici donc…

     

    Le réalisme positif optimisera notre passif

     

    Prenant le contrepied du catastrophisme en vogue, notamment illustré par Le Calendrier de l’après, dernier roman dystopique de Nicolas Feuz, entre autres raisons de désespérer entretenues par la gauche perdante et la droite arrogante, Rutger Bregman parie pour les utopies réalistes en affirmant que l’humanité vaut mieux que ce qu’on croit…

     

    Le constat remonte à la plus haute Antiquité, pour le dire à la façon débonnaire de l’excellent Alexandre Vialatte: il y a ceux qui se lamentent devant le verre à moitié vide, et ceux que réjouit au contraire le verre à moitié plein. Et après ?

    Cette question de l’après s’est posée dès le début de la pandémie, mais l’auteur de best-sellers romands Nicolas Feuz, procureur au civil comme chacune et chacun sait, n’a pas attendu la troisième vague pour brosser, de notre avenir, le tableau le plus noir dans son dystopique Calendrier de l’après, évoquant une situation comparable à celle d'un hiver nucléaire (on pense à La Route de Cormac McCarthy en encore plus pire, la poésie métaphysique et la qualité littéraire en moins), où l’humaine engeance s’est trouvée réduite à quelques milliards à dominante féminine, survivant en deux clans mortellement opposés: les biens-pensants soumis à la Gouvernance et les inutiles voués au rebut et à l’extermination par le cube à gaz; et plus rien qui ne fonctionne après l’extinction des médias et du flux pétrolier, sauf les drones et autres tasers paralysants pour sauver un brin d’action...

    Passons sur le détail décidément improbable de cette fable pour ados et public confiné en quête de frissons, pour se demander quand même, si tant est qu’il y croie une seconde, ce que veut dire notre cher procureur neuchâtelois, à vrai dire mieux inspiré quand il traitait des réalités criminelles que son métier lui a fait observer de près que dans ce roman vite fait sur le gaz ?

    Que la cata est irrémédiable ? Que la dictature sanitaire a gagné ? Que la peur seule peut nous ouvrir les yeux ? Qu’un couple idéal à la love story remastérisé peut nous servir de modèle ?

     

    Et si l’humanité était moins foncièrement mauvaise ?

    Les hasards de ces derniers jours ont fait qu’après avoir lu Le Calendrier de l’après, et tandis que, pédalant mes 10 kilomètres quotidiens sur mon vélo d'appartement, je regardais sur Netflix les épisodes de la traque du Tueur de la nuit, j’ai poursuivi une autre lecture battant en brèche le pessimisme de la dystopie de Nicolas Feuz et du reportage consacré aux abominables méfaits de Richard Ramirez, avec deux livres qui m’ont immédiatement séduit et passionné par leur ton et leur apport documentaire, signés Rutger Bregman: à savoir le tout récent Humanité, une histoire optimiste, et l’antérieur Utopies réalistes, déjà salué par un succès mondial.

    Dans son dernier livre, qui relève de la plus belle synthèse d’investigation, l’historien-journaliste et essayiste néerlandais défend la thèse – il faudrait plutôt dire le sentiment dominant, fondé sur des constats étayés -, que l’homme n’est un loup pour l’homme que dans certaine circonstances, et que la fameuse théorie du verni de culture recouvrant à peine une créature naturellement féroce relève plus de l’idéologie que de la réalité.

    En homme de bonne volonté pragmatique plus qu’en idéologue, assez proche en cela de l’historien israélien Yuval Noah Harari, qui lui a d’ailleurs rendu le plus vif hommage, Rutger Bregman s'oppose crânement à toute une tradition spirituelle ou philosophique fondée sur le péché originel, la chute ou la défiance de principe, multipliant les exemples de fausses preuves visant à établir le naturel foncièrement mauvais de notre espèce, à partir de célèbres faits imaginés ou observés.

    Ainsi prend-il le contrepied de la fable ultra-pessimiste du roman de William Golding, Sa majesté des mouches, où l’on voit un groupe d’adolescents anglais de bonne éducation retomber dans la barbarie après s’être retrouvés seuls sur une île, en citant plusieurs situations et expériences concrètes comparables qui ont abouti à des résultats beaucoup plus nuancés voire opposés.

    De la même façon, à propos d’expériences faisant longtemps autorité en matière de psychologie sociale, comme le test fameux de Stanley Milgram et de sa machine à électrochocs tenant à prouver qu’un bourreau sommeille en chacun de nous, Bregman a enquêté et conclut là encore à l’interprétation abusive, voire malhonnête de plusieurs cas d'école analogues.

    À la question de savoir pourquoi des gens “bien” agissent mal, qu’une Hannah Arendt avait abordée à sa façon à propos du peuple allemand, Bregman rapporte en outre de nouvelles explications, s’agissant de la guerre, selon lesquelles la plupart des soldats de la Wehrmacht n’agissaient pas par sadisme boche caractérisé mais par esprit de camaraderie, ou rappelant cette observation d’un colonel américain qui découvrit que la plupart de ses hommes ne tiraient pas quand ils le pouvaient, ou que seul l’usage à haute dose de drogues a “aidé” de braves jeunes gens à se transformer en brutes sanguinaires, à Oradour-sur Glâne ou au Vietnam.

    Et de citer Rousseau, souvent moqué pour son “idéalisme” romantique, qui aura fait preuve selon lui de plus de réalisme que ses détracteurs en considérant l’invention de l’agriculture comme le moment où les cueilleurs-chasseurs, menant une vie plutôt détendue à en croire les archéologues, furent chassé de leur Eden terrestre ainsi que le raconte la Genèse biblique en son mythe originel de la Chute, etc.

     

    Un nouveau réalisme basé sur la confiance

    L’optimisme de Rutger Bregman a cela de particulier qu’il se fonde sur un réalisme rompant avec les “assises du désirable” typiques de Mai 68, marquées par les slogans des gauchistes prenant leurs aspirations pour des réalités, avant de déchanter et de déprimer, alors que son réalisme s’oppose aussi à celui d’une droite invoquant aveuglément les Lois du Marché

    Sur mon vélo d’appartement, je me rappelle les bons conseils du cycliste Albert Einstein traversant la campagne argovienne et découvrant en pédalant que la pratique précède la théorie.

    Or, c’est également en pédalant sur mon engin, devant mon laptop connecté à Netflix ou à la chaîne européenne ARTE, que j’aurai multipliés ces derniers temps mes observations de septuagénaire cancéreux en rémission et de cardiopathe aux muscles flagadas, relatives à la férocité monstrueuse de certains individus maltraités en leur enfance (le tueur de la nuit Ramirez), le ressentiment social légitime fondé sur l’injustice aboutissant à une violence illégitime (un reportage consacré au jeune Suédois infiltré dans les mouvements néo-nazis anglais et américains) ou l’envie primaire surexcitée par l’étalage obscène des scènes de la vie des milliardaires (le non moins édifiant Empire du bling), entre autres illustrations de l’imbécilité humaine (le verre vide ) à quoi s’oppose le verre plein de la bonne volonté auquel se fie le gentil Rutger Bregman - et ce mot magique de confiance m’est venu ce dernier lundi en apprenant que la veille, par temps radieux et confiance excessive en leurs forces, quatre gamins ont été emportés par une avalanche dans la montagne que je vois par la fenêtre en pédalant en tout sécurité…

    Donc la confiance , me disais-je en repensant au livre de Rutger Bregman parlant pratique avant toute théorie, sous le titre d’Utopies réalistes, serait la clef du pacte humain: la confiance en l’ingéniosité et la bienveillance humaines, mais assortie à la prudence (en cas de risques d’avalanches , gamin, tu fais gaffe) et au respect mutuel fondant la relation humaine, etc.

    Je ne sais pas si Rutger Bregman , moins « idéaliste » que les idéologues gauchistes de bonne volonté à la manière de mon ami Jean Ziegler ou de Noam Chomsky et de la très verte Naomi Klein, a raison de faire confiance en ses semblables en se posant, notamment , en champion du revenu de base universel, multipliant à foison les exemples d’applications réussies de celui-ci, mais ce que je sais est que son propos, clair et captivant, fait du bien, non du tout en dorant la pilule mais en exposant des faits têtus, intéressants et encourageants, à l’opposé de tant de jérémiades et de rancœurs stériles qui nous asphyxient par les temps qui courent...

     

    NE PAS DÉNONCER : DÉCRIRE. – Je m’en suis fait une éthique personnelle, que j’oppose à la pratique pléthorique et quasi obsessionnelle de la dénonciation vertueuse de gauche (Mediapart) autant que de droite (Contrepoints ou Boulevard Voltaire), sans parler du nouveau tribunal populacier des médias multiples et des réseaux sociaux : décrire les faits et citer les dits avec précision, en laissant la conclusion à chacune et chacun.

    Mon ami Anton Pavlovitch Tchekhov a montré l’exemple au temps des prêcheurs pacifistes à la Tolstoï et des flagellants orthodoxes à la Dostoïevski : si tu es écrivain et qu’il te chante de décrire des voleurs de chevaux, nul besoin à la fin, si tu as vraiment fait le job, de dire qu’il est mal de chourer des canassons.  J’ai développé cette thématique dans le cinquième chapitre de mon dernier libelle, Nous sommes tous des zombies sympas, intitulé Nous sommes tous des délateurs éthiques, et comprenne qui voudra bien.

     

    GISANTS DU MATIN.Je constate une fois de plus ce matin, et je note mentalement, que les premiers instants de l’éveil, à peine dégagés de la scénographie magique des rêves, sont les plus poreusement ouverts aux associations d’images et d’idées fertiles, et j’en fais la remarque tout haut à Lady L. couchée à mes côtés et déjà en train de parcourir le monde au moyen de sa tablette à plus large écran que mon smartphone, éclatant soudain de rires à la vision du « meme » qui circule dans le monde entier, figurant un Bernie Sanders en mitaines devant le Cervin – mon Cervin dont j’ai entrepris la figuration picturale en 100 exemplaires. Or l’entendant prononcer ce néologisme étrange de « meme », je lui demande d’en vérifier l’origine de l’usage, ce qu’elle fait aussitôt au moyen de la même tablette que je la vois  manipuler avec une pointe d’envie, mais non : je dispose déjà d’un laptop Macpro de moyenne taille et d’un I-Mac à grand écran sur lequel je rédige tous les jours mon Cher Journal…

     

    FAUX DÉBAT. – Les prétendus débats relatifs à la « gestion de la pandémie » font rage, et l’incitation à une « vraie discussion » lancée sur Youtube par un certain Dr Louis Fouché plutôt sympa dans son rôle de « rassuriste », m’a intéressé hier soir  le temps d’une heure à l’écouter argumenter contre les mesures prises par le gouvernement français en la matière, et à me renseigner ensuite je me suis rendu compte, avec retard, que ce brillant parleur, soutenu par le Dr Raoult et prônant la liberté des médecins traitants et le droit des patients à choisir leur traitement – rappelant dans la foulée la prise de conscience des sidéens mal conseillés en d’autre temps – avait été déjà largement loué, comme un gourou, et conspué, comme un dissident, par les uns et les autres dans ce qui n’est pas un débat mais un dialogue de sourds sur les réseaux sociaux, dans les médias et dans la rue, où tout le monde a ses raisons et ne voit chez l’autre que des torts.

    Or le bon sens de Lady L., quand je lui ai parlé de mon intérêt pour le discours de ce Fouché moins sanguinaire que le mitrailleur de Lyon, lui fait a hausser les épaules en invoquant une typique « affaire française », et poursuivre le déchiffrement d’un plan de tricot compliqué en langue anglaise.  Sagesse de Gaïa, me suis-je dit en me rappelant que j’avais interdit à sa mère, de son vivant, de « philosopher » avant dix heures du matin dans notre maison commune de l’Impasse des philosophes bien nommée,  après que je lui eus filé les œuvres complètes de Sénèque…

     

    PAS LE TEMPS. – À propos d’une vie transhumaine ou des vains débats en des lieux inopportuns (la discussion sur Internet ou sur les plateaux de télé me semble décidément mal barrée), ma sage bonne amie en voie de perfectionner, en complicité avec sa fille aînée, sa pratique du  point de jacquard et ses multiples déclinaisons à la jacasserie mondiale, me dit qu’on n’a « pas le temps», et je surabonde au moment de me remettre au temps de la peinture et de persister à tenir mon Cher Journal comme le faisaient les dames de l’entourage de Léon Tolstoï (et le patriarche lui-même), ou le cher Amiel, ou l’irascible Paul Léautaud, mon souci étant de plus en plus de rendre compte de ce que nous vivons tous les jours à l’attention particulière de nos deux petits-fils, Anthony (quatre ans cette année) et Timothy (deux ans en juin) qui en feront ce qu’ils voudront. 

  • Le Temps accordé

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    (Lectures du monde 2020-2022)
     
    DE QUOI RIRE. - Je me suis rappelé la neige de notre enfance après avoir lu, ce matin, le dernier texte de l’ami Quentin évoquant une garderie d’aujourd’hui dont les mioches sont devenus des « clients » jouant avec des « objets transitionnels » sous l’égide de la nouvelle pédagogie, mais Lady L. en sa compétence expérimentale me rappelle que ce vocabulaire remonte au moins aux années 50, du temps des Winnicot & Co, à quoi j’objecte qu’aujourd’hui ces termes font bel et bien « habits neufs » pour tout un chacun qui « psychologise » à tout-va, même si Quentin en remet une couche alors que nos petits-enfants ont encore droit, dans leur garderie montreusienne, à de candides monitrices moins appareillées en matière de langage technique…
    Cela étant, notre gâte-sauce a raison de pointer la jobardise, nouvelle ou pas, de la tendance actuelle des « sachants » à tout conceptualiser et cérébraliser, comme un certain Rabelais le faisait des pédants et des cagots il y a déjà bien des années; et le même rire rabelaisien me revient à l’observation de ce qui, par les temps qui courent, devrait plutôt nous faire désespérer. Surtout, j’apprécie qu’un garçon de 30 ans et des poussières s’exprime avec autant de vivacité alors que les « millenials » semblent se pelotonner dans leurs terriers en s’envoyant de petits messages vertigineusement vides via Tik Tok…
     
    CONSULTATION . - L’excellent Docteur H. , seul à ma consulte de fin de matinée, et prenant sur lui de me piquer le doigt pour le contrôle de mon TP, me répond qu’il « fait aller » quand je lui demande des nouvelles de sa santé, puis il me propose de m’inscrire par Internet sur la liste d’attente du vaccin, et je lui réponds que ça se fera en temps voulu en précisant que je ne suis pas du tout opposé à la chose comme d’aucuns qui en font un nouveau thème de fronde idéologique à la flan; mais je ne lui dis rien de mes nouvelles douleurs articulaires ou périphériques ( un putain d’orteil que je croyais cassé) de crainte qu’il n'ajoute un médoc aux douze de l’ordonnance que je l’ai prié de renouveler au titre de ma contribution au soutien de la Big Pharma helvétique. Sur quoi je regagne notre sweet home du bord du lac où je me reconnecte au site du Washington Post en quête des dernières nouvelles de la House - mais c'est encore trop tôt...
     
    MIDNIGHT. - Après mes divers travaux du jour, une longue sieste, la balade raccourcie avec Snoopy sur les quais enneigés et un film gentiment extravagant sur Netflix (Un casse à Central Park), j'ai suivi en live les délibérations de la House aboutissant à la mise en accusation du Président pour incitation à la violence, suivies de la vidéo bonnement surréaliste où ledit Président, comme si de rien n'était, les yeux au ciel et s'en prenant à la fois à la droite et à la gauche, proclame son horreur de la violence, absolument contraire à ses principes moraux, etc.
    On croit rêver mais pas du tout: avec Donald la réalité est irréelle et le rêve une preuve aux assises du désirable...
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    ANGES & FANTASMES. - Le rêve très détaillé que j’ai fait ce matin, après m’être réveillé à cinq heures et avoir pallié mon souffle au cœur avec un grand verre d’eau puis m’être rendormi, m’a ramené dans la mansarde parisienne de la rue du Bac où j’ai passé tant de nuits, qui m’évoquait aussi la soupente de la rue de la Félicité où j’ai créché durant mon séjour de 1974 aux Batignolles et ma chambre sous les toits de La Perle aux Canettes, avec un œil-de-bœuf donnant sur la chambre voisine dans laquelle deux personnages aux silhouettes blanches me semblaient en train de faire l’amour, sur quoi l’un d’eux surgissait, très gentil , puis deux autres, puis deux ou trois femmes dont l’une connaissait mon nom et me demanda si j’étais déjà allé en Ayatollie (elle avait dit Anatolie) alors que je demandais à l’ange couché à ma droite (nous étions vaguement couchés) s’il était plutôt Asie ou banlieues parisiennes, après quoi l’un des types genre Francais moyen déclarait que c’était le moment de partir pour leur virée au Touquet - me clignant de l’œil en ajoutant qu’ils étaient férus de la Côte d’Azur, ce qui fit réagir Lady L. toujours aussi attaché à l’exactitude géographique, quand je lui racontai ce rêve alors qu’elle prenait des nouvelles de Washington sur sa tablette - et je me suis interrogé alors sur ma propension croissante à voir des anges autour de moi, et pas que dans mes rêves... (Ce jeudi 14 janvier 2020)
     
    MESSAGERS. - La fonction traditionnelle des Anges est celle de messagers, mais la question que je me suis posée ce matin, toujours en présence de Lady L. encore couchée dans notre grand lit à cadre de palissandre qu'elle à acquis chez Benoît Lange (!) le fameux marchand de meubles ethnos, était de savoir qui nous envoie les messages de ces rêves, l’explication freudienne étant loin de me suffire - les trois pauvres pages consacrées à l’interprétation des songes dans le dernier numéro de L’Obs me semblant d’une platitude atterrante. Comme si les psys étaient plus avisés en la matière qu’un Proust ou qu’un Fellini !
     
    DE LA RÉALITE. - Taxer quelqu’un d’angélisme est censé vous poser en adulte responsable qui a le sens des réalités, mais les messages angéliques de plus en plus réalistes, par le détail, que je reçois depuis quelques décennies m’aident à mieux voir ce qui dans la réalité procède d’une présence qui rayonne, et je ne parle pas que des petit enfants et des vieilles saintes: je parle de l’ange des brasseries évoqué dans mon rêve de cette nuit.
    De fait à un moment donné, le plus émouvant dans mon souvenir, l’un des mecs mal rasés de mon rêve citait soudain cette phase de Cingria, tirée du Canal exutoire: « Un archange est là, perdu dans une brasserie », et je prononçai ce dernier mot de brasserie en même temps que lui et nous échangions alors un sourire de connivence rare...
     
    NO PASARAN. - Je devrais avoir la mine sombre et soucieuse, ce matin, l’air gravement «concerné» en me rappelant le reportage «alarmant» que Lady L. m’a recommandé de voir hier soir sur ARTE, consacré à l’infiltration du jeune étudiant suédois Patrik Hermansson dans les mouvements d’extrême-droite anglais et américains ; je devrais m’indigner, et cela a été ma première réaction à la découverte de ces affreux idéologues en cravates et culottes courtes et des hordes d’imbéciles hargneux tout pareils à ceux qui viennent de déferler sur le Capitole, mais à ce mouvement panique de colère a succédé un autre sentiment plus en phase avec ce que je crois la réalité tant anglaise qu’américaine , européenne et suisse, qui fait que « ça »ne passera pas, ou pas comme ça… (Ce vendredi 15 janvier)
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    KATYN ET LES JUIFS.- Bien entendu, je sais que « ça » existe et je le savais avant de voir ce reportage. Je ne suis pas vraiment étonné d’entendre tel fasciste anglais vociférer dans une rue de Londres que le Goulag et le massacre de Katyn est imputable aux Juifs, ni de voir un de ses comparses gesticulant proposer qu’on réunisse les migrants dans le tunnel sous la Manche et qu’on y foute le feu, ou encore que tel idéologue américain recommande le bombardement nucléaire du Pakistan et prédise une monnaie unique à l’effigie d’Adolf Hitler.
    Je sursaute évidemment d’horreur comme le jeune Patrik à Charlottesville quand se défoule la meute raciste et judéocide, mais je sais aussi, au même moment, que tout ne va pas dans le même sens, et je me rappelle alors Le complot contre l’Amérique de Philip Roth, dans lequel il est montré que, même au temps où le nazisme séduisait certains Américains et certains Anglais (dont un certain monarque), « ça » n’a pas vraiment passé.
    En entendant Jez Turner, leader surexcité du London Forum parler de Katyn comme d’un crime juif, je me suis rappelé que notre ami Czapski a passé cinquante ans de sa vie à rétablir la vérité selon laquelle ses camarades polonais n’ont pas été massacrés par les Allemands mais par les Soviétiques, comme je me rappelle les théories conspirationnistes antisémites fondées sur le Protocole des sages de Sion - inventé comme chacun sait par la police du tsar pour accuser les Juifs d’un complot mondial - quand je découvre les thèses de Q-Anon & Co…
    Cependant, tout convaincu que je sois du danger réel que représente l’Alt-right américaine, je crois que « ça » ne passera pas, ou pas comme ça, mais peut-être « ça » va-t-il évoluer et ne sera pas moins grave sous de nouvelles formes ?
     
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    LE COURAGE DE L’OPTIMISME. – Contre la gauche perdante et la droite arrogante, le nouveau catastrophisme relancé par la pandémie et l’aveuglement consentant, Rutger Bregman plaide pour ce qu’il y a de fondamentalement bon dans la créature humaine et défend des « utopies réalistes » dont la redistibution des richesses est l’un des points forts, au dam des frileux, et tel sera le thème de ma 120e chronique sur le « média indocile » de Bon Pour La Tête.
    Dès que j’ai commencé de lire Humanité, une histoire optimiste, le ton et plus encore le formidable matériau documentaire accumulé et analysée par ce Batave hors norme et hors partis m’a botté, me rappelant le réalisme joyeux de notre chère Katia, et la lecture, ensuite d’Utopies réalistes, consacré notamment au succès des applications du revenu de base universel, m’a surpris et séduit bien plus que les scies actuelles sur le retour des « vieux démons » et autre « montée des périls ». Dans la foulée, j'ai offert ces livres à nos filles pour Noël après que Lady L. s'en est régalée elle aussi...
    Non, ce n’est pas se leurrer ou s’illusionner que de parier sur la générosité plus que sur le cynisme ou le sempiternel égoïsme des nantis, même si l’on sait l’infinie ingéniosité de notre espèce à creuser sa tombe et préférer trop souvent le pire au meilleur, etc.
     
    TRUMP ET BALZAC. – Lorsque Bernard Pivot, recevant Michel Butor pour la somme critique que celui-ci a consacré à Balzac, lui demanda à quoi tenait son intérêt pour le grand buveur de café, le cher prof-écrivain répondit juste : parce que c’est intéressant, mon cher, Balzac est intéressant ; et c’est pourquoi je m’intéresse, aussi au personnage balzacien que figure à mes yeux Donald Trump, supposé le personnage le plus puissant du monde et disposant, sur son bureau, d’un dispositif lui permettant de commander cinquante Cocas Zéro par jour, voire plus quand il est énervé. L’un de ses biographes lui donne 16 ans d’âge comportemental, un psychiatre voit plutôt en lui un enfant demeuré, lui-même se considère comme le Président le plus intelligent de l’Histoire et sa spécialité est de considérer ce qu’il dit sur le moment comme la seule réalité tangible dans l’espace et le temps, alors qu’il prend ses décisions en fonction de ce que lui a inspiré son dernier interlocuteur, comme la résolution du bombarder la Syrie lui a été dictée, un quart d’heure après avoir envisagé le contraire, par sa fille Ivanka lui montrant en larmoyant des images d’enfants martyrs, etc.
    Trump lui-même, en tant que personne venue au monde le 14 juin 1946 (le même jour que Che Guevara, Boy George et moi), natif donc du signe des Gémeaux, est probablement un sujet d’observation passionnant pour les psychologues et les psychiatres, mais c’est de façon plus naïve (faussement naïve cela va sans dire) que je m’intéresse à cet individu aussi génial à sa façon qu’imbécile à beaucoup d’égards, comme m’intéressent plus sereinement un Léonard de Vinci ou un Albert Einstein, génies avérés et lumineux, etc.
     
    RIEN QU’UN FANTASME ? – L’extraordinaire plasticité des opinions de Donald Trump, autant que de ses postures et comportements, décisions et revirements, me semble du plus haut intérêt en cela que son oscillation chaotique entre tout et n’importe quoi renvoie à la réalité actuelle – dont elle procède évidemment – et, plus précisément, à la situation mondiale soumise à toutes les incertitudes de la pandémie. Trump est à la fois un symptôme sur pattes et une métaphore, un solipsisme narcissique et une marque transnationale, un colosse fragile et le fils drillé d’un despote familial devenu lui-même autocrate tribal, mais il est aussi, et peut-être surtout, ce que les autres en ont fait, à savoir un fantasme à la saveur suavement insipide de marshmallow et à la consistance de baudruche pleine de vide : le rêve américain en sa dimension élémentaire de paradis kitsch pour Barbies à la Kardashian, sous garde armée. Mais encore ? Suffit-il de dire que Trump est un fasciste à l’américaine, ou que c’est une réincarnation du Père Ubu ? Je n’en crois rien, pas plus que le virus ne se réduit à un mal qu’un vaccin suffirait à guérir…
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    UN ROMAN DE SIMENON. – La trajectoire sociale de Trump relève-t-telle plutôt de la comédie humaine à la Balzac ou du roman russe à la Simenon ? Je me pose la question en me rappelant que Czapski voyait plus, dans les romans de Simenon, de la complexité obscure à la manière des romanciers russes que de celle du génie balzacien, supposée moins « métaphysique ». Autant se demander ce qu’en feraient deux grands romanciers aux « natures » opposées, tel le «diurne » Tolstoï et Dostoïevski le « nocturne », à moins qu’on ne se rappelle le roman de Simenon le plus russe et le plus balzacien à la fois, à savoir Le Bourgmestre de Furnes, saga d’un parvenu social dont on découvre finalement la secrète blessure… Or je me demande quel grand romancier actuel (si tant est qu’il y en ait un seul ?) serait capable de faire de la story de Donald Trump un roman qui ne s’en tienne pas aux clichés du personnage connu et de ses œuvres ?
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    RÉVÉLATIONS DE MIDI. – Je me disais tout à l’heure, midi approchant, qu’il y a un peu plus d’un an que je sortais de l’hosto après un accident cardiaque qui m’a permis d’apprécier les bienfaits de la médecine et l’excellence de nos soignants, quelques semaines avant les premières rumeurs liées à un certain virus, suivies par les péripéties mondiales se soldant aujourd’hui par 2 millions de morts et la prédiction, après qu’un certain président américain eut parlé d’une espèce de petite grippe à soigner à l’eau de javel, de 500.000 nouveaux morts aux seuls USA d’ici à la fin février, mais quoi de sûr en ce temps de fake news ?
    Quoi de sûr ? Juste ceci : deux petits garçons qui ont moins de quatre ans à eux deux et couratant déjà comme des fous autour de nous, deux lutins dont la seule présence de lapins endiablés me rappelle l’image des billes de mercure se répandant n’importe où et n’importe comment, dont l’infinitésimale musique se répand dans les sphères au ravissement du maître de l’univers clignant de l’œil en chacun de nous…

  • Le Temps accordé

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    (Lectures du monde, 2022)
     
    OMNIA I – Ceci relevé dans les deux cahiers éponymes de Barbey d’Aurevilly :
    « La voix est la fleur de la beauté, dit Zénon ».
     
    « Les enfants nous consolent de tous les chagrins, en attendant les épouvantables qu’ils ne manqueront pas de vous donner ».
     
    « Le plus grand penseur serait la Mort si elle pouvait juger la vie ».
     
    « Quand on a des opinions courantes, je laisse courir »...
     
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    DESPENTES DANS LE BAIN. – À poil (au propre) dans notre bain nordique avec vue sur le val en berceau et les eaux bleu pâle à coulures turquoises du plus grand lac d’Europe, les crêtes de haute Savoie et le ciel épuré de ses traces de longs-courriers, je me suis immergé (au figuré) dans les eaux plus troubles du dernier roman de Virginie Despentes dont on claironne que ce sera l’événement de la rentrée littéraire française, et j’y allais avec le préjugé le plus négatif qui fût, me rappelant diverses insanités verbales de la pipole punkoïde (notamment sa déclaration de sympathie aux frères Kouachi) et mon essai de lecture du premier tome de Vernon Subutex, dont l’ostentation « balèze » du ton et la muflerie de la « provoc » m’avaient épuisé à mi-parcours malgré la « papatte » évidente de la meuf (pour user de son volapük tribal), tout cela m’était resté sur l’estomac sans parler des postures publiques du personnage médiatique dont l’accointance socio-sexuelle avec le « philosophe » multigenre Paul Preciado achevèrent de me faire conclure à la créature d’époque incarnant à peu près tout ce que j’abomine, et pourtant…
     
    Pourtant, contre toute attente, et ce dès les vingt premières pages de ce Cher connard , je me suis surpris à m’intéresser illico au dialogue « épistolaire » d’un Oscar, jeune auteur à succès versant immédiatement dans l’agressivité débile, à laquelle, du tac au tac, répondait aussitôt sa destinataire, « icône » de sa jeunesse devenu star du cinéma français et, passée la cinquantaine, lui apparaissant désormais comme un «crapaud», ce qui lui valait précisément le fameux «cher connard», lequel enchaînait en se réjouissant de la réponse en somme « cherchée » et s’excusant, retirant son post, etc.
     
    Quoi d’intéressant là-dedans ? D’abord l’hystérie ordinaire de la chose, et ensuite la « papatte » de la romancière, la découpe immédiate des personnages, et la modulation mimétique de leurs langues respectives, entre « mec relou » et « meuf chelou », etc. Et bien plus, à mes yeux en tout cas : le contenu latent de tout ça et sa projection bel et bien littéraire : le paradoxe des mails bientôt « fleuves », car la relation d’abord impossible d’apparence se développe à sursauts et peu à peu en sympathie barbelée; la diffusion publique de cette matière privée - puisque l’échange se fait « à vue » comme les « dialogues » sur Facebook, Snapchat ou Tiktok, Twitter et consorts – et le brassage « en sutuation » de divers thèmes, sociaux ou professionnels, existentiels ou culturels, qui s’enchevêtrent avec l’intrusion soudaine d’une tierce correspondnte au prénom de Zoé, qui va déclencher d’autres effets en cascades – et le roman se construit bel et bien dans cette « déconstruction » de relations entre deux célébrités paumées qui s’écorchent et se rapprochent en se dévoilant, par delà les divers préjugés qu’on pourrait relever chez chacun d’eux et que l’échange dévoile et démonte plus ou moins.
    L’on me dira que c’est du déjà vu, mais est-ce bien sûr ? Tu as 5000 « amis » sur Facebook et te rappelle ce que te disait Vladimir Volkoff à propos de sa difficuté, dans son « college » de Macon (Georgia) d’expliquer à ses étudiants la différence qu’il y a entre l’amitié et la connection sociale. Il leur demandait, en 1987, combien ils avaient d’amis, et elles ou ils répondaient : à peu près deux cents, voire trois cents. Alors lui d’essayer de montrer, par la littérature, ce qu’est une vraie relation amicale, comme mon amie la Professorella, Anne Marie Jaton, s’efforçait de le faire avec ses étudiants de l’université de Pise, etc.
    L’amitié, et la tendresse que suppose celle-ci, les nuances de l’affectivité en butte aux malentendus « de genre », les stéréotypes récurrents de la féminité et de la mâlitude, les conséquences prévisibles ou non de l’exposition de l’intime à la meute des « followers », le micmac lié à la représentation fantasmatique de l’écrivain qui cartonne ou de la star adulée, tout ça se trouve ressaisi dans Cher connard, la « papatte » en plus, à l’évidence plus rythmée et musicale que celles d’un Philippe Djian, Aurélien Bellanger ou Eddy Bellegueule en eaux voisines.
    Bref, Virginie Despentes, par delà son bluff d’apparence, m’a réellement étonné dans le premier tiers de son roman, en attendant la suite… (Ce dimanche 11 septembre)
     
    OMNIA II. – Cela encore de Barbey d’Aurevilly :
    « Heine dit de Cervantès : « Je l’aime jusqu’aux larmes ».
    Il appelle Mme de Staël la grand-mère des poitrinaires ».
    « Pleurer à creuser le caillou, - expression de Marguerite de Valois ».
    « Un chef de parti n’est jamais après tout qu’un bon caporal ».
    « La mort, c’est le baiser de Dieu (Kabbale) ».
    « Dans toutes les grades œuvres, il n’y a pas à proprement parler de personnages secondaires ». Chaque figure est, à sa place, personnage principal ».
    « Se faire le propriétaire des dons de Dieu ».
    « Épicuriens armés contre la vie. La vie, c’est l’ennemi. Car c’est la douleur ».
    Noté en 1855 : « La littérature actuelle, c’est la trompette du rabâchage ».
    « L’homme a le don d’avilir la Nature en la touchant et de la rendre presque aussi ridicule que lui ! »
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    NOTRE DEMI-SIÈCLE. – Le compte y est : il y aura cinquante ans, cette année, que le Marquis et moi nous sommes rencontrés à L’Âge d’Homme, juste après mon accident de moto, donc moi et mes béquilles les samedis soirs à la maison sous les arbres, avec Dimitri et Geneviève, et ensuite un peu partout, à Paris et à Florence, nous revoyant seuls les deux de semaines en quinzaines et ne cessant d’échanger des centaines de lettres à travers les années, autant de liasses manuscrites ou dactylographiées à la diable désormais déposées aux Archives littéraires de la BN et prêtes à livrer à la postérité leur contenu sans le moindre intérêt puisqu’elles sont toutes limitées à la prolongation amicale plus ou moins chiffrée de nos conversations à n’en plus finir sur la littérature et la déchance du monde actuel qu’il voit du haut de sa tour d’ivoire de contemporain de Pascal et de Racine, ou de Proust et Léon Bloy, ou de Ronald Firbank et Ivy Compton-Burnett, lui très dandy d’Ancien Régime et moi plus rocker anarchisant, bref deux amis pratiquant ce que René Girard appelle la médiation externe, à savoir la juste distance pudique entre intimités jamais diffondues, lui attaché à ses femmes (deux veuves de bouchers) comme un vieil enfant à ses mères et amantes, moi plus flottant entre les corps et les cœurs avant la rencontre de Lady L., ne parlant presque jamais de nos livres et beaucoup des films, des musiques, de nos goûts partagés ou non et de nos dégoûts stimulant nos tempéraments cousins de polémistes, chacun à sa guise et façon, etc.
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    Cher Gérard et sacré Sylvoisal – son pseudo littéraire contractant les mots Lys et Valois – dont je suis aujourd’hui l’un des seuls à savoir qu’il est l’un de nos meilleurs prosateurs, poète anachronique et merveilleux essayiste littéraire, auteur récent d’une vingtaine de livres tous publiés à compte d’auteur sauf un essai sur Chesterton, formidable traducteur de Cowper Powys et de maints autres auteurs anglais, de Gore Vidal et de Chesterton, à la puissance de travail stupéfiante chez un rentier apparemment tout oisif à squelette d’oiseau, à cela s’ajoutant la gentillesse la plus exquise de la personne et la fantaisie poétique la plus débridée de l’écrivain dont témoigne, notamment, son inénarrable Forêt silencieuse faite d’une seule phrase de 300 pages…
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    Or lisant Cher connard de Virginie Despentes, qui relance à sa façon dépravée la tradition épistolaire française, je souris en me disant que celle-ci, par le truchement de ce qu’on appelle la littérature, résiste malgré tout aux atteintes du temps et aux variations de langue, de la Sévigné à Céline, ou de Jules Renard à ce pur produit de la « dissociété » actuelle que figure l’auteure de Baise-moi ou de King Kong théorie…
    Quant à faire lire Cher connard à mon ami le Marquis : je n’y réussirai pas plus qu’à lui faire user enfin d’un ordi ou d’un smartphone, en revanche nous nous amuserons volontiers à évoquer les personnages d’Oscar et de Rebecca dont je lui détaillerais les gestes et pensées comme il me racontera ses lectures récentes des romans oubliés de Pierre Benoît ou que j'évoquerai les nouvelles d’Edith Wharton que je suis en train de lire parallèlement…