UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Mot de passe: courage

179275720_10226549863919690_3051653304007007829_n.jpg
 
Le Temps accordé, Lectures du monde 2021)
 
DIVAS. – Jeudi passé, dans la section des thérapies innovantes de l'étage des cancéreux, je lisais Massimilla Doni sur mon smartphone, via l’appli Kindle, à côté de ma douce en énorme gants bleus pleins de glace, les yeux mi-clos tandis que le poison « salvateur » filtrait en goutte-à-goutte...
J’étais donc à Venise pendant qu’elle fermait les yeux, j’aurais eu envie de lui lire la page d’un lyrisme délirant où Balzac compare la passion du prince Emilio aux folles cascades d’eau tombées des hauteurs du Gothard ou du Simplon (l’Auteur laisse le choix au lecteur…), mais rien ne devait déranger le silence du box de soins où reposait, tout à côté, une femme qui, couchée et de profil, m’avais paru jeune encore, pâle comme une fée, et qui, se levant ensuite, vieillit soudain de façon cruelle – et cruel était aussi ce contraste entre la splendeur vénitienne évoquée par le romancier et la réalité du Service d’oncologie; et voici que tout à l’heure, dans l’espace d’attente de celui-ci au sempiternel mobile, surgit une autre diva qui eût charmé le prince Emilio sous les traits d’une gracieuse patiente à longue robe de soie couverte des même fleurs multicolores que sur son turban cachant la probable nudité de sa tête, etc. (Ce jeudi 15 juillet 2021)
 
LA CHÈVRE. – Ce rêve du plus pur kitsch surréaliste que j’ai fait à la fin de cette nuit m’a intéressé par l’amalgame de ses images et leur relance non moins délirante, au lendemain des festivités non moins insolites d’hier soir sous nos fenêtres...
 
Le rêve : je marche sur le trottoir de gauche d’une rue ascendante, bientôt dépassé, sur le trottoir de droite, par Frédéric Maire qui me propose de le suivre au château, là-haut sur une falaise de calcaire ocre clair qui me rappelle celles du Mormont – le fameux Mormont qui a fait «parler de lui» récemment dans les médias en suite de l’action des zadistes opposés à l’exploitation de ses ressources par la firme bétonnière HOLCIM, et parvenu au château Frédéric me prie de l’aider à recoller la tête d’une chèvre de pierre au socle d’un monument célébrant la réconciliation socialo-communiste ; or cela tombe bien car j’ai gardé sur moi, de mes pioches de la veille dans le galetas où nous avons rangé les affaires et les livres de Philip Seelen après sa mort subite, un tube de colle UHU Max Repare Extreme, dont l’effet siccatif est immédiat; sur quoi Frédéric me remercie de sa voix que j’ai toujours appréciée, soit de près sur la terrasse du restau Da Luigi, à Locarno, soit de loin quand il se pointait, minuscule silhouette en chemise blanche à manches courtes, sur la scène de la Piazza Grande où nous avons bien des souvenirs communs, mais aucun qui se rapportât à une chèvre ou au socialisme à visages divers ; enfin je définirai cette voix par l’adjectif juvénile.
Oui, et la voix juvénile de Frédéric, l’actuel directeur de la Cinémathèque suisse, va de pair avec son regard d’une fraîcheur presque enfantine de cinéphile resté capable d’enthousiasme que je me rappelle même en rêve, mais pourquoi cette chèvre ?
 
DÉCALAGE. – À propos d’enthousiasme, il en a manqué à la petite foule de jeunes gens en tenues multicolores de coureurs réunis hier soir sur la place du marché au bas de laquelle Freddie Mercury n’en finit pas de jeter un bras de bronze au ciel, et qu’un animateur vociférant incitait à répéter We are the world en même temps qu’un orchestre aussi sommaire que bruyant assenait les trois coups répétitifs de la scie fameuse ; mais ça avait beau s’appeler Freddie’s Night, préludant conjointement au départ du Mountain Cross de toute la jolie bande convoquée au Tour des Alpes: celle-ci ne songeait qu’à sautiller sur place et multiplier les exercices préparatoires de stretching tandis que, souriant avec certaine mélancolie, Lady L. et moi passions sans trop nous attarder, elle avec son déambulateur et moi avec mes douleurs articulaires, chacun se rappelant peut-être ces années non moins festives où nous étions de semblables gazelles des pierriers…
 
SANTO STUPENDO. – Au hasard d’une recherche documentaire sur la Toile, je tombe sur trois pages, dans la version numérique du Magazine de la Migros surtout dévolu à la gastro de base et au développement personnel de la ménagère helvétique moyenne, consacrées à un ado italien du nom de Carlo Acutis, notable adepte de foot et des Pokémon, béatifié post mortem en octobre 2020 après avoir diffusé la Bonne Parole sur Internet, qui affirmait notamment que l’euchariste est «une autoroute vers le ciel », et dont l’élévation au rang de saint patron d’Internet reste dépendant d’un second miracle à venir.
De fait, si Carlo, mort à quinze ans de leucémie en 2006, a été béatifié par Sa Sainteté Francesco, c’est grâce à ce premier miracle qu’a été la guérison d’un jeune Brésilien malade du pancréas et dont les proches ont adressé une prière spéciale à l’âme de Carlo.
Sur quoi je me dis que nous allons proposer, à quelque âme pieuse de notre connaissance, de procéder à la même oraison spéciale afin, d’une pierre deux coups, de délivrer ma bonne amie de sa Bête affreuse et, le miracle advenant, de hisser le beato Carlo au statut de sainteté qu'il mérite...
 
QUESTION DE FIERTÉ. – J’ai manqué de tact aujourd’hui en proposant une nouvelle fois à Lady L., au moment de descendre sur les quais pour notre balade du soir, de se coiffer d’un foulard, mais j’aurais dû me rappeler que, déjà, elle avait exclu le port d’un postiche après la perte annoncée de ses cheveux, et mon insistance maladroite l’a blessée, mais moi aussi ça me blesse, merde, de la voir ainsi, de la savoir en prise à cette salope de Bête et de ne pouvoir rien faire - ceci dit je lui donne raison, c’est ça, on s’en fout des gens, tu es belle comme ça, t’as raison d’être fière de ta tête, sacrée caboche, d’ailleurs moi aussi j’ai l’air d’un oiseau déplumé et de toute façon qui nous remarque dans les vestiges du soir, etc. (Ce dimanche 25 juillet).
 
DORÉNAVANT. - Reprenant la lecture d’un petit recueil de morceaux choisis tirés des Essais de Montaigne, je tombe sur ce fragment amorcé par le mot dorénavant, qui se rapporte au vieillissement du corps et à l’altération de ses facultés, lui qui se voit « engagé dans les avenues de la vieillesse », et plus précisément: « ce que je serai dorénavant, ce ne sera plus qu’un demi-être, ce ne sera plus moi. Je m’échappe tous les jours , et me dérobe à moi »
Et forcément cela me rappelle ce que me disait Lady L. l’autre jour rapport à son propre corps, comme quoi celui-ci lui devient étranger, tout comme l’exprimait aussi notre cher Thierry dans ses carnets, lui que j’ai vu si cruellement atteint dans son intégrité physique et continuer malgré tout, jusque sur son lit de mourant, à rendre grâces à la beauté du monde. Ainsi : «Quand son corps devient infréquentable, il convient de le servir poliment, juste ce qu’il demande, et de penser à autre chose, avec enthousiasme ».
 
Et cela enfin : « « Ajouter ne serait-ce que sur 10cm2 un peu de beauté au monde, ce qui diminuera d’autant et probablement bien plus de sa laideur ».
 
CE JEUDI. – Le jeudi étant jour de chimio, donc aux abonnés absents entre treize heures et dix-huit au pire, et l’escort dog Snoooy ayant été confié aux Américains, Lady L. étant trop fatiguée pour cette trotte qu’elle a fait sans moi cent fois et parfois jusqu’à Villeneuve et retour, je me suis dit que ce serait bien de me plier au conseil de l’angiologue Noyau soucieux de l’état de mes artères et de leurs stents : une heure par jour si vous voulez éviter que ça ne se bouche, et pas d’arrêt en chemin sinon ça repart comme à zéro.
 
Donc je m’y lance, mais pas d’arrêt mon œil vu que j’emporte mon nouveau carnet noir. Et c’est qu’il y en a à noter à dix heures du matin, sur Le quai aux fleurs bien nommé et ponctué de mises en garde (MOLLO) visant les rouleurs de toute espèce zigzaguant plus ou moins souplement entre les marcheurs: la vie déferle, tiens voilà une très jeune fille poussant un landau King size avec des quadruplés, et voici les patrouilles de Suisses allemands au pas décidé, les premières baigneuses en bikinis sur les rochers secs, les bancs encore mouillés sous les arbres, les fleurs et les feuilles tropicales à foison, les jeunes Japonaises et les jeunes Latinos, les Russes qui n’ont pas lu Nabokov et les Nippones qui ont lu Murakami et se font un selfie avec le gay de bronze de la place du Marché clamant à n’en plus finir que we are ze world, - tout ça qu’il faudrait noter alors qu’on passe justement sous les fenêtres de l’ancienne mansarde à balcons modern style de Freddie The Queen… (Ce jeudi 29 juillet)
 
LE TOP.- Le top, que je me dis ce matin encore pieuté alors qu’il est passé 9 heures et que les ouvriers d’à côté font du bruit depuis un bout de temps - on ne parle pas du pigeon de la cour qui roule les r à n’en plus pouvoir au milieu des autres bêtas - le top ce serait de dire exactement les choses comme elles sont, mais ce ne serait pas l’écrire vu qu’à l’écrit tu ne dirais pas le top, quoique...
Tu vois bien que tu hésites: quoique. Entre ce qu’on dit et ce qu’on écrit, ce qu’on pense et ce qu’on exprime, le magma de ces Chinoises d’hier soir sur YouTube au pied de la scène géante où Dimash entortillait ses vocalises et ce que devait se dire le même Dimash dans je ne sais quel lieu retiré du Kazakhstan quand il en avait sa claque de tout ça, comme le petit André après son premier jour d’école dans la cité hostile avec les petits crevés de la sale Bande et la prof Olga Schanz dont les rondeurs lui mettent « le piquet », dans le récit d’enfance de Joseph Incardona que tu es allé pécher à la FNAC après avoir lu La soustraction des possibles : « Je voyais la maîtresse gesticuler au-dessus des têtes qui se baissaient tandis que tout le monde écrivait. Faudrait que je m’accroche si je ne voulais pas redoubler une autre année. J’ai regardé par la vitre. Les traces blanches des réacteurs d’avions marquaient le ciel, les lignes finissaient par se dissiper avant de disparaître complètement. D’après mon ancien professeur, M. Diamanti, les premiers hominidés sont apparus il y a environ sept millions d’années. Et moi, combien d’années de vie m’attendaient ? Qu’est-ce que je faisais ici ? Quel était le sens du profond ennui que je ressentais en ce moment, cette lassitude qui me faisait sentir me absolument inutile sur Terre».
Dire tout ça, écrire tout ça comme c’est, oui ce serait le top du job, et ce n’est pas un scoop de ce matin puisque je me le disais déjà hier en marchant le long du quai aux Fleurs, enfin hier et tous les jours...
 
QUANT AUX GENS. – Vu les circonstances vous vous dites, évidemment, que les gens en font trop, ou pas assez, et vous vous dites qu’il faut se mettre à leur place, les pauvres, et vous n’y pensez plus, tout contents cependant que l’un ou l’autre se manifeste, et c’est toujours une gaieté d’entendre la voix de Mylène (prénom connu de la rédaction) ou de Jocelyne la facétieuse - le fait étant que les bonnes femmes sont les plus aptes à la compassion à ces moments-là, sinon que les signaux de Denis ou de Bernard prouvent qu’il y a des exceptions à la règle générale, etc.
 
BALISES. – Et pour celles et ceux (plus moyen aujourd’hui de dire celles sans ajouter ceux…) qui insistent sur le réseau social en vous souhaitant un prompt rétablissement (et que ça saute ! ont-t-il l’air de sous-entendre) non sans réclamer des détails, comme si vous les aviez rencontrés autrement que sur la Toile, vous en avez peut-être froissés en balisant, comme on dit, vu que l’état de ton souffle au cœur n’est pas une confidence à ébruiter, et que son taux de globules blancs ou sa tolérance à la cortisone ne les regardent pas plus que vous n’avez envie d’en savoir plus sur le lupus de leur mère ou le zona de leur fils bègue, etc.
 
« GARDE ÇA POUR TOI ! ». – Je n’ai pas besoin qu’L. me le recommande : cela va pour ainsi dire de soi, et disons que ça se précise et s’accentue avec l’expérience et la sensibilité de l’âge vu que ça m’est arrivé, plus souvent qu’on mon tour, de chiffonner certains (j’entends : certaines et certains) dans mes carnets publiés sans user d’initiales (je trouve ça un peu hypocrite, quand l’écrivain G.H. dégomme son pair sous les initiales de N.B.) ou en jouant de clefs et de périphrases, mais je souscris de plus en plus à la discrétion, malgré l’évidente indiscrétion que suppose toute publication, et donc je ne parlerai pas du dernier rapport de l’oncologue grec S.P. ni du personnage en question, de ce qui nous est tombé dessus en avril dernier par décret fatal et avec un raffinement dans la cruauté intéressant la Recherche jusqu’à Singapour, ni de ce que j’observe et note au fil de toutes nos conversations avec nos amies Josyane (prénom fictif) et Héloïse, qui en «savent un bout» en tant que pros de la soignance palliative.
 
Cela étant, je ne crois pas être indélicat en précisant qu’un début de sympathie personnelle est née entre nous et le jeune spécialiste barbu/masqué aux yeux et aux rondeurs de grand ourson, auquel j’ai appris l’autre jour que son prénom de Sotiros n’était porté que par 2555 personnes «au monde», selon Wikipedia, ce qui l’a fait rire en ajoutant que sa région seule en comptait déjà une floppée, etc.

Les commentaires sont fermés.