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Mémoire vive

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(Lectures du monde, 2019)
 
DE LA PARESSE. – Le caractère sporadique, voire velléitaire, de ma lecture de Simone Weil traduit mon inaltérable paresse, non pas tant intellectuelle que spirituelle : ah mais elle m’embête à la fin, celle-là ! me serai-je répété vingt et cent fois, comme à la lecture de Thérèse d’Avila ou de Jean de La Croix, ces champions de la pureté, alors que je me sentais, toujours et encore, tellement impur – donc bon en réalité pour un retour futur selon le critère de SW qui estime que c’est dans la pesanteur la pire qu’on peut trouver un rai de lumière, etc.
 
PINGOUIN. - Ciel tout limpide et bleu rosé ce matin, avant la formation du stratus. Lady L. se prépare à un bain nordique pour le nouveau millésime, et j’essaie de joindre Alfred Berchtold, mon cher vieux Pingouin - surnom que lui ont collé ses camarades de la communale de Montmartre-, pour lui souhaiter bonne année ; ensuite longue conversation téléphonique avec mon cher vieil homme en sa prison cinq étoiles, selon son expression, qui se dit un peu embêté par une de ses jambes, laquelle regimbe et l’oblige à se déplacer en déambulateur ou avec des personnes de bonne volonté - mais il reste d’une totale vivacité et me dit que la lecture régulière de mes poèmes de La maison dans l’arbre lui fait du bien. (Ce mardi 1er janvier 2019)
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PREMIER ÉCHO. - Le premier jour de l’année a été marqué, hier, par la parution, dans le magazine mensuel Service littéraire, du premier papier «sur papier », précisément, consacré aux Jardins suspendus, signé Jean-François Duval et aussi concis qu’élogieux. J’ai été touché, en outre, par le message très amical que m’ont adressé Alain Dugrand et Michel Lambert à propos de mon livre, le premier me promettant d’inscrire celui-ci dans la liste des candidats au prix Bouvier, qu’il préside, et le second me recommandant de l’envoyer au jury du prix Renaudot de l’essai - mais oui, c'est ça, cher ami... (Ce mercredi 2 janvier)
 
SAGESSE DE RAMUZ. - Revenir sans cesse à ce qui distingue le vivant de l’idéologique, en se rappelant ce que Ramuz disait à ses amis, à savoir que l’idéologie est le domaine du vague et du flou, alors que les sentiments et la vérité littéraire ressortissent à la surexactitude poétique. Ce qui fait sourire quand on constate les prétentions « scientifiques » des lettreux qui planchent aujourd’hui sur son œuvre.
À ce même propos de l’idéologie, trier aussi ce qu’il faut retenir de Rozanov et ce qu’on en peut contester, voire « oublier »…
 
ALLER-RETOUR. - Il y a des années que nous n’avons plus fait ce voyage ensemble, après tant de routes et de lieux parcourus ces dernières années à travers la France et des Flandres au Portugal, en outre ce ne sera qu’un saut pour récupérer une vingtaine d’exemplaires de mon livre alors que nous avons promis à Aliocha d’assister vendredi soir à la première de son opérette à la Grange, mais je me réjouis de présenter ce soir ma bonne amie à Pierre-Guillaume dont je suis sûr qu’il l’aimera. (Dans le TGV Lyria, à destination de Paris, avec L., ce 9 janvier)
 
NOUVEAU PROJET. - Je vais jeter en vrac, ces prochains jours, toutes les idées utiles à mon pamphlet, d’ores et déjà intitulé Nous sommes tous des génies sympas. À commencer par le sommaire : 1) Nous sommes tous des Chinois connectés. 2) Nous sommes tous des auteurs cultes. 3) Nous sommes tous des caniches de Jeff Koons. 4) Nous sommes tous des intermittents de l’humanitaire 5) Nous sommes tous des délateurs éthiques. 6) Nous sommes tous des poètes numériques. 7) Nous sommes tous des génies sympas.
Plus je vais, ces derniers temps, et plus s’impose à mes yeux la nécessité d’un surcroît de concentration solitaire, à l’écart des agitations de la meute. Mon pamphlet, que je me garderai d’intituler ainsi – je vais parler plutôt de « libelle », sera le réceptacle d’une réflexion non convenue et que j’aimerais, par conséquent, pure de toute identification idéologique de quelque bord que ce soit. (Ce vendredi 11 janvier)
 
GRAPHOMANIE. - Marcel Proust avait pourtant été clair, comme Amiel l’a été en demandant à ses proches de détruire son Journal intime, et Kafka qui supplia son ami Max Brod de brûler ses manuscrits : « Je tiens absolument à ce qu’il ne soit conservé et a fortiori publié aucune correspondance de moi ».
Mais les écrivains proposent et leurs infidèles ou trop fidèles survivants disposent, comme le prouvent les 21 volumes contenant les quelque 5000 lettres écrites par le grabataire graphomane dont nous apprenons, dès le 2 janvier 1919, qu’il est peu bien sous l’effet d’une laryngite aiguë assortie de fièvre de cheval, ne sort plus, n’ouvre plus ses lettres et néglige de corriger les épreuves d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, à la fureur de son éditeur alors que lui-même est catastrophé par la composition de son roman en si petits caractères que personne, gémit-il sous sa pelisse, ne lira ce nouveau livre alors que le premier, Du côté de chez Swann, publié à compte d’auteur chez Grasset, n’a été reconnu que par quelques-uns, éreinté par d’autres, ignoré du « grand public ».
Il en ira tout autrement en fin d’année quand, à l’instigation des grands auteurs-lecteurs que sont un Léon Daudet et un Rosny aîné, le prix Goncourt sera décerné à son livre, lui valant plus de 800 lettres de félicitationsen trois jours et la reconnaissance soudaine, la gloire tardive alors qu’il décline physiquement plus que jamais, la fureur de ceux qui le trouvent trop vieux et trop riche pour cet honneur, la jalousie de ses pairs, l’intérêt et l’estime croissante des lecteurs, etc.
 
WELLNESS & Co. - Nous sommes arrivés cet après-midi à Dinard, où nous passerons dix jours en mode thalasso, avec un peu de cryothérapie pour le genou de Lady L. Pour ma part, je vais tâcher de me concentrer sur mes deux travaux principaux, à savoir mon essai sur Czapski et mon libelle, qui me démange à vrai dire tant je constate un peu partout de signes de ce qui cloche dans notre drôle de monde. Pour autant, je me garderai une fois de plus de donner dans le catastrophisme en tâchant de rester fidèle à mon instinct et à mon bon sens. (Ce vendredi 18 janvier)
 
UN OISEAU. – Ciel gris et bas sur l’océan vert. Fringante apparition d’un goéland nous scrutant, de l’autre côté de l’immense baie de la salle où nous prenons le petit-dèje, planté sur une patte et fusillant de son oeil de perle noire ces curistes encapuchonnés de blanc - splendide créature bientôt envolée et se laissant porter, toutes ailes déployées , à la crête ou dans les creux des vigoureuses vagues de vent .
 
QUEL GRAND ÉCRIVAIN ? - Je reverrai complètement, ces prochains temps, non pas à la baisse mais en nuance, ce que je pense juste de dire de la grandeur relative des écrivains. Et par exemple ceci : qu’il ne me semble pas y avoir, actuellement, en France pas plus qu’en francophonie, un seul écrivain qu’on puisse dire grand comme Proust ou Céline sont grands, Victor Hugo ou Chateaubriand, Stendhal ou Balzac. Pas un !
Il y a de bons écrivains, des auteurs tout à fait originaux, voire même géniaux à leur façon, comme un Charles-Albert Cingria était génial à sa façon : un Pascal Quignard, à sa façon. Un Michel Houellebecq sans doute, à la sienne. Un Richard Millet, dans Ma vie parmi les ombres, un Fabrice Pataut à la sienne, etc.
En Suisse un Maurice Chappaz, un Jacques Chessex, un Georges Haldas, chacun à la sienne. Et Catherine Colomb ou Monique Saint-Hélier, Alice Rivaz ou Janine Massard, toujours en Suisse. Mais après ?
 
Quand la critique est un art
Par Olivier Maulin
 
Jean-Louis Kuffer nous présente cinquante ans de lectures et de rencontres littéraires. Un livre qui donne envie d’en acheter mille.
On devrait, nous autres Français, davantage écouter nos amis suisses, ce qui nous éviterait cette forme de condescendance si typique de notre nation, dont nous n’avons bien ssûr le plus souvent pas conscience.
Dans un article intitulé « Moi parler joli français », Jean-Louis Kuffer raconte comment Edmonde Charles-Roux, après avoir remis la bourse Goncourt au poète valaison Maurice Chappaz, en 1997, s’extasiait sur les onde de la radio romande : « Et vous savez que Chappâze écrit un très joli français !» Ce qui nous vaut une volée de bois vert sur le nombrilisme de l’édition parisienne de la part du grand critique suise, qui n’imagine pas une second un de ses confrères allemands s’étonner si candidement du «bel allemand» de l’Autrichien Peter Handke…
Ecrivain et journaliste littéraire dans de nombreuses publications romandes, cofondateur d’une revue consacrée aux livres et aux idées, Le Passe-Muraille, Jean-Louis Kuffer est un authentique passionné de littérature. Il publie aujourd’hui une anthologie de textes sur le sujet écrits durant cinquante ans (1968-2018) où l’éclectisme de ses goûts et sa curiosité sans limites ne le font pas sombrer dans l’« omnitolérance » qui est la manière la plus efficace de se débarrasser du livre.
On ne s’étonnera pas de retrouver dans ce corpus de nombreux articles sur des écrivains suisses « écrivant joliment », à commencer par Ramuz, «l’auteur d’origine romande le plus important depuis Rousseau», dont la langue d’une beauté exceptionnelle, précisément, à mis du temps à s’imposer à Paris, hors Céline qui en perçut immédiatement le caractère poétique et novateur. C’est un fait : les Suisse sont de grands voyageurs, et c’est une riche idée d’avoir arraché Thierry Vernet à son statut d’éternel compagnon de Nicolas Bouvier, auteur culte des écrivains-voyageurs, lui qui apporte un « ajout radieux et profus » à l’œuvre magistrale de son camarade de voyage.
Riche idée également de faire découvrir aux lecteurs français Lina Bögli, qui décida en 1892 d’accomplir un tour du monde en dix ans et qui en revint, ponctuelle comme un coucou suisse », en se félicitant de la politesse partout rencontrée. Un des jardins suspendus de Jean-Louis Kuffer (qui fut directeur d e collection à L’Âge d’Homme) est la Russie, ce qui nous vaut des textes pénétrants sur Gontcharov, Tchekhov, Dostoïevski , Grossman ou Soljenitsyne ; un autre est l’Amérique, et il est alors question de Thomas Wolfe, Flannery O’Connor, Philip Roth ou Cormac McCarthy, ce « visionnaire pascalien » au lyrisme sauvage, certainement le plus grand écrivain américain vivant. Quelques rencontres émaillent ce recueil. Notamment celle d’Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française et figure de Saint-Germain-des-Prés, dont l’œuvre étonnante pleine de vagabonds et de fainéants en rupture avec la société est celle d’un grand moraliste. Aphone au moment de la rencontre à cause d’uncancer du larynx, l’écrivain de 87 ans voulait expliquer à Kuffer sa défiance envers le pouvoir. Il prit un bout de papier, y griffonna cette simple question : « Pouvez-vous écouter un ministre sans rire ? ». Tout était dit. (Valeurs actuelles).
 
SURPRISE. - Très bonne nouvelle aujourd’hui : que la cheffe de la rubrique culturelle du Temps, Lisbeth Koutchoumoff, m’annonce qu’elle va parler des Jardins suspendus et me commande un pleine page sur un écrivain qui me serait une façon de mentor, et tout de suite j’ai pensé à Tchekhov. On verra ce que cela donne, mais le ton de la dame est pour le moins engageant, et cela dément en somme toutes les horreurs que j’ai proférées récemment encore sur Le Temps...
 
ANTON PAVLOVITCH. - Tchekhov nous rappelle tranquillement, un siècle après sa mort, ce qui compte vraiment et ce qui ne compte pas, non pour être parfait mais pour vivre dignement. Je me le rappelle aussi en pensant à mes parents et aux parents de mes parents, des deux côtés, puis en remontant une lignée de gens simples et honnêtes, tenus droits par leur éducation chrétienne, un peu raides du côté des Lucernois, voire lourdement moralisateur en ce qui concerne mon Grossvater adventiste, ou plus olé olé du côté de la famille de mon grand-père où certain chalet de Crissier fleurait la débauche à ce que raconte mon père dans le cahier jaune qu’il a rédigé pour moi à la fin de sa vie. Mais peu importent vices ou vertus : il y avait la une communauté respectueuse de certains principes évangéliques, qui nous été dûment transmis, et tout le reste est «hommerie»…
 
BONUS. - Très content ce matin de découvrir, par mon agent de renseignement René Z., le très beau papier consacré aux Jardins suspendus par Lisbeth Koutchoumoff dans Le Temps. Après celui de Michel Audétat, c’est le mieux que je pouvais attendre des marmottes moites de ce pays, sauf si Bulliard se sort les pouces du cul, pour reprendre l’expression de notre voisin laitier.
En tout cas, je ne m’attendais pas du tout à la magnifique lecture de Lisbeth K. qui parle même de «livre merveilleux» et, surtout, le décrit avec précision et pertinence, sous ses multiples aspects. Avec le remarquable papier d’Olivier Maulin, voici la preuve que la critique sérieuse est encore possible dans le marasme actuel - mais si rare… (Ce samedi 16 mars)
 
L’AUTRE CAMUS. - Lu ces jours pas mal de pages du journal de Renaud Camus, dans Les Nuits de l’âme, qui m’ont laissé froid. Pas mon truc. Le type fait très littérateur, à la fois guindé et un peu encanaillé, entre les salons parisiens ou provinciaux et les backrooms et autres saunas homos. Cela n’échappe pas au bavardage. Peu de notations vraiment intéressantes à mes yeux. Le type qui se vexe parce que son amant américain prolonge ses téléphones sans souci d’économie, ou ne remarque pas les Miro entassés dans son château ; et le détail de ses baises à New York ou ailleurs, m’intéressent aussi peu que celles d’un Matzneff en Thaïlande ou ailleurs. Cette exposition de choses que naguère on gardait pour ses papiers secrets (les Pages égarées de Jouhandeau) m’ennuie à la fin. On lèche les velus et les barbus, on encule ou on se fait enculer, on aligne les observations hard, et après ? On se soucie du succès de son dernier écrit ? On se désole de ce que tel critique n’ait pas applaudi. On en déduit une vraie décadence française voire européenne ou mondiale, puis on reprend contact avec Mélanie de France-Culture, etc.
Tout ce monde m’ennuie, comme toujours les gens de lettres...

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