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Mémoire vive

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(Lectures du monde, 2018)
 
EN CHANTIER. - Deux dents de moins ce midi. Comme j’étais un peu tendu à l’aller, j’ai trouvé au retour ma Jazz vidée de sa batterie, qui m’a obligé à faire appel au dépanneur du TCS. Dans l’intervalle, j’ai reçu un très aimable message d’Isabelle Roche qui achève, ces jours, la dernière correction des Jardins suspendus et se dit enthousiaste à la lecture de ma proposition de 4e de couverture. Se dit en outre épatée par le ton vif de la bio de quatre lignes que je lui ai également envoyée à sa demande. (Ce mercredi 17 octobre)
Les jardins suspendus (Prière d'insérer)
Si le Verbe se fit chair, il incarne notre mémoire commune et la lecture est alors un acte sacré au jardin suspendu, qui scelle la rencontre du Lecteur et de l’Auteur.
Le jardin suspendu est ce lieu où l’attention vive à toutes les manifestations du Verbe se réitère tous les jours - ici depuis cinq décennies. Une curiosité passionnée y relance l’aventure de lire qui relève de l’amour, ignorant dans sa superbe ce qui est jugé trivialement idéologique, banal ou bavard.
Les lectures et rencontres consignées ici sont tantôt marquées par l’Histoire (le fasciste Lucien Rebatet ou l’antifasciste Imre Kertesz, Amos Oz ou Doris Lessing, Alexandre Soljenitsyne ou Jonathan Littell) et tantôt par la tragi-comédie quotidienne (avec Anton Tchékhov ou Cormac McCarthy, Patricia Highsmith ou Georges Simenon, Alexandre Tisma ou William Trevor, Alice Munro ou Juan Carlos Onetti, Vassily Grossman ou C.F. Ramuz ), partout où le Verbe se fait chair.
La bibliothèque du lecteur, attenante aux jardins suspendus, est son corps projeté dans le temps hors du temps de la Poésie (le Suisse cosmopolite Charles-Albert Cingria y rayonne en génie byzantin, et l’Américaine Annie Dillard y module sa prose d’un réalisme mystique sans pareil), mais le frisson de la Littérature parcourt les échines les plus diverses, des conteurs (un Marcel Aymé ou un Dino Buzzati) aux flâneurs (un Henri Calet ou un Alexandre Vialatte) en passant par les passants profonds, (Guido Ceronetti et Dominique de Roux), les bardes de leurs tribus (Thomas Wolfe et Philip Roth), les enchanteurs ironiques (Vladimir Nabokov et Fabrice Pataut), les enfants perdus (Fleur Jaeggy et Robert Walser), les sourciers du langage (Yves Bonnefoy ou William Cliff), les contempteurs furieux (Thomas Bernhard ou Martin Amis), les sondeurs du tréfonds psychique (Amiel ou Antonio Lobo Antunes) et les visionnaires hallucinés (Céline et Witkacy), tous embarqués dans la même Arche.
POSTÉRITE. - Je me disais ce matin, en lisant le chapitre de Littératures consacré à Proust par Nabokov que si seulement, un jour, une jeune fille ou un jeune homme éprouvaient même le millième de la reconnaissance souriante que m’inspire cette lecture en s’attardant sur tel ou tel chapitre de mes Jardins suspendus, alors, alors, alors je pourrais me dire « là-haut » ou « là-bas », que mon séjour terrestre n’aura pas été tout à fait vain, etc.
NABOKOV. - J’ai (re)commencé ce matin de lire enfin sérieusement Feu pâle, en reprenant d’abord l’introduction magistrale de Mary Mc Carthy, au-dessus de tout ce qui se fait aujourd’hui en matière de critique, puis en annotant précisément l’Introduction de Charles Kinbote, parangon de l’universitaire agrippé aux basques d’un grand écrivain, et qu’on pourrait dire sorti de la cuisse de celui-ci, pour obtempérer ensuite à son injonction de lire d’abord ses notes et seulement après les vers de chaque partie, dans un aller-retour qui m’a semblé tout à fait conforme au projet de l’Auteur menant sa barque à sa sardonique façon.
Feu pâle est autant le poème du roman que le roman du poème et la meilleure façon, d’une ironie sardonique, de traiter la tragi-comédie humaine et de renouveler son expression prismatique. Je ne jouerai jamais aux échecs, mais je reste captivé par tous les aspects du jeu de manière en somme platonique, comme je consens à manger japonais sans baguettes.
Feu pâle est enfin le foyer, le noyau, le vortex ou peut-être même le trou noir de l’œuvre de Nabokov où tout se concentre et d’où tout rayonne et tourbillonne en incessant mouvement et son contraire, si l’on ose dire – et l’on ose…
Sublime sublimation aussi du petit tas de secrets fameux et tendre réfutation des aveux d’une feinte sincérité déjouée en toute mauvaise foi – délicatesse oblige et pudeur. Pour l’essentiel : cristal de la poésie et sa diffusion de charbon ardent, sarcasme du poète à doublure critique et va-et-vient amoureux entre tous les niveaux de langage et de pensée, etc.
NOTRE VIE. - Ma bonne amie un peu bluesy ce matin, qui trouve son visage bien gris et flétri par l’âge, sentant qu’elle a pris ces derniers temps un coup de vieux avec ses diverses opérations, mais je proteste en lui faisant valoir que nous formons un couple de beaux vieux et que nos esprits restent vifs malgré la déglingue de nos carcasses – j’en sais quelque chose moi qui vacille en marchant dans la rue comme si j’étais ivre (oreille interne), manque de plus en plus de souffle et n’entends plus que de travers à l’instar du professeur Tournesol, etc.
 
UNE DETTE. - Reprenant la lecture, parallèle, de L’œil et d’À travers la tourmente de Maria Czapska, j’ai le sentiment de me retrouver sur un sol ferme qui sera celui-là même de mon travail à venir en vue de l’établissement du catalogue de l’exposition de 2020 au musée de Pully et, peut-être, à la Maison de l’écrit.
J’ai conscience d’avoir une dette importante envers Czapski, que je vais « payer » à ma façon et, je crois, pour mon profit personnel - une dette qui rapporte…
Dès que j’ai repris la lecture de L’œil, que je vais maintenant annoter de A à Z, j’ai senti que ce retour à Czapski serait pour moi une nouvelle modulation d’un constant retour au sérieux que je m’impose depuis plus de cinquante ans contre ma dispersion personnelle et ma paresse.
Ce travail s’inscrira donc tout naturellement dans le continuum des autres exercices en cours, à savoir la mise au point de mes Lectures du monde 2014-2018 à paraître sous le titre de Mémoire vive, si possible en 2019, du roman en cours d’élaboration sous le titre Les Tours d’illusion, entre autres carnets, listes et poèmes.
RETOURS. - On me dira que c’est par hasard, mis pas du tout. Je suis couché, je tends le bras et je prends un livre qu’il y a là sur un tas et je lis : Saba. Le Canzoniere d’Umberto Saba. Toute la vie et la voix d’un poète dans un livre qu’il y avait là et qui m’attendait ; et revenant à Saba au moment où je reviens à Czapski revient, non pas à l’éternel retour mais au retour à un reflet passager de ce qu’on dit l’éternité, par la poésie et par l’art, et ce soir je fais cette petite copie d ce qu’on dit une nature morte, et si vive, de Czapski - aller vers l’Objet et retour…
RETROUVAILLES. - J’ai été très touché ce matin, avant le dentiste, par le message de Richard Dubugnon, fils aîné de Gemma devenu un musicien assez fameux, qui me dit qu’il a lu Le Cœur vert et L’Ambassade du papillon avec émotion et qu’il aimerait bien me revoir.
Après deux ou trois échanges, nous sommes convenus de nous retrouver lors de ma prochaine escale à Paris, le 27 novembre - au Rostand, comme il me l’a proposé, ce qui m’a fait sourire vu que c’est dans cet établissement que se passe l’une des nouvelles de Fabrice Pataut ; et c’est en ce même lieu, le surlendemain, que je rencontrerai Fabrice en 3D…
 
PANOPTICON. - La vision multiple et simultanée requiert elle aussi une nouvelle forme d’attention à sélection intégrée qui devrait inventer à mesure ses propres formes au lieu de reclasser les nouvelles données dans le déjà vu, de quoi nous ouvrir le regard à tout ce qu’on voyait jusque-là sans le voir, à l’instar de ceux qui n’y ont jamais rien vu qu’encadré sur le mur du salon, signé et coté sur le Marché.
 
IMPATIENCE. - Mon livre tardant à venir, je vais le chercher, muni d’une valise vide, chez mon cher éditeur. Or je me réjouis autant de recevoir Les Jardins suspendus qu’il y a quarante-cinq ans, lorsque, avec Dimitri et Richard Aeschlimann, nous sommes allés chercher mon premier opuscule à Pontarlier ! (Dans le TGV Lyria à destination de Paris, ce vendredi 16 novembre)
 
DE LA COPIE. - L’exercice de la copie, auquel je me livre avec les toiles de Czapksi à la gouache dans mes carnets, pourrait sembler vain ou stérile, alors que j’en vois, au contraire, l’aspect fertile en cela qu’il me force à mieux regarder.
Regarder pour mieux recevoir et garder. Le peintre a lui-même bien regardé, et il garde en ajoutant sa propre touche qui procède d’un autre regard intérieur. Prends garde ! nous dit-il à sa façon.
Le peintre a pris la peine d’ouvrir les yeux et a fait métier, non de voyeur mais plutôt de voyant, qui ajoute à ce qu’il reçoit quelque chose qu’il donne. Le voyeur ne donne rien : il prend, il consomme sans rien abouler. Tandis que le voyant, l’Artiste, rend la monnaie et plus encore avec sa pièce neuve.
Le peintre a pris le temps de regarder tantôt la nature et tantôt les maîtres anciens, pour apprendre à mieux voir la nature à la lumière des maîtres anciens et mieux revenir aux maitres anciens après s’être attardé devant la nature son carnet à la main.
 
LA CHOSE. - C’est avec une grande émotion que j’ai découvert hier, au 41 de la rue de Richelieu, l’Objet pour lequel j’aurai parcouru plus de 1000 bornes en deux jours, premier de mes livres à paraître à Paris et conjuguant visiblement le bonheur de l’Auteur et de l’Editeur. (Ce samedi 17 novembre)
 
VITA NOVA. - Sophie a passé le cap de se trente-six ans ce matin, mais ce n’est que dans quelques heures que nous pourrons lui souhaiter bon anniversaire puisqu’elle a, à San Diego, sept heures de retard sur nous.
Il y a trente-six ans de ça, donc le 23 novembre 1982, ma vie a changé, et dans ce changement qui fut aussi celui de ma bonne amie, notre premier enfant, puis notre second enfant trois ans plus tard ont joué un rôle à caractère pour ainsi dire religieux, au sens d’une vraie révélation de la réalité en tant que telle sous le signe de nouveaux liens (religio : ce qui relie, etc.) et sous une nouvelle lumière. La première lumière de ma nouvelle vie avait pour prénom Lucienne, je n’invente rien : c’est la vérité. (Ce 23 novembre)
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EXIGENCE DE L’ART. - L’Artiste n’est jamais content, et c’est sa force. L’Artiste n’aime pas ses manques. L’Artiste se reproche d’être toujours au-dessous de son aspiration, et c’est cela qui le sauve, ou disons que cela le tient debout en rage d’éveil et soutient son effort de ne pas se contenter- ce qui serait mortel.
Je me souviens que Czapski me reprochait, en souriant, de me délecter, et je savais qu’il avait raison, mais je sentais qu’il parlait aussi pour lui, même avec cinquante ans d’efforts de plus que le petit crevé que j’étais, même avec son œuvre détruite par la guerre et celle qui était sortie des ruines de la guerre ; je savais qu’il doutait tous les jours et se reprochait tous les jours de n’en point faire assez. Cependant pas une fois il ne m’opposa son expérience, se reprochant en revanche son manque d’attention à l’actualité – lui qui vivait le présent comme personne ! Lui qui opposait, au monde saturé de couleurs mensongères, la vérité de ce pré turquoise que je suis incapable de retrouver avec sa candide luminosité, ou de ce ciel aux bleus laiteux diluant les roses cloués par l’œil jaune au-dessus de tous les verts, etc.
 
GOMBROWICZ. - Comment ai-je pu passer à côté de Ferdydurke ? Voilà ce que je me demande en me rappelant mon peu de goût pour les jeux littéraires et la fiction, à quoi m’ont ramené les écrits de Fabrice Pataut. J’ai joué ainsi Witkiewicz contre Gombrowicz, comme si celui-ci n’était pas assez sérieux, alors que la lecture de Ferdydurke m’a ramené illico à ce que je considère comme le sérieux de la littérature par excellence, qui me tend un miroir combien révélateur. Dès les premières pages du roman, les variations sur le double et le jugement d’autrui me ramènent à tout ce qu’on vit aujourd’hui sur les réseaux sociaux avec le déferlement océanique d’opinions, le tout et le n'importe quoi des temps qui courent…
 
POUR NOËL. - Assez content de trouver, ce matin, ce petit texte du magazine Causeur, signé Thomas Morales invitant pour «Noël» à la lecture des Jardins suspendus:
 
« Au pays des écrivains, 1968-2018.
La littérature a besoin de passeurs aussi discrets que déterminés. Les grands livres ne se claironnent pas dans le poste en prime time et ne s’affichent pas non plus sur les murs des villes endormies en 4 X 3. Il leur faut des enlumineurs patients dont le triptyque : vivre, lire et écrire résume les existences saines, débarrassées des oripeaux du succès. Ces hommes-là ont donné leur sang et leur sueur à la propagation d’œuvres majeures, à l’émancipation des lecteurs perdus et aussi à décloisonner les genres. Jean-Louis Kuffer, des hauteurs du lac Léman, rouage essentiel des éditions l’Âge d’Homme, figure de l’Helvétie, fait partie de ces derniers grands seigneurs de la critique qui pratiquent leur art sans oukases et ornières. Une leçon de maintien dans un monde chancelant. Le Suisse a compilé des lectures et des rencontres au cours d’un demi-siècle passé dans Les jardins suspendus aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Il nous ouvre sa bibliothèque et on en prend plein les yeux (Vialatte, Céline, Marcel Aymé, Nabokov, Amiel, Jules Renard, etc..). Quant à ses entretiens, entre autres, avec Rebatet, Doris Lessing ou Patricia Highsmith, ils nous éclairent sur l’acte d’écrire».
 
LE PETIT CLAN. -Bonne fête de Noël en famille, avec le petit, ses parents et son grand-oncle. En fin d’après-midi, je me suis déguisé en père Noël, que nous appelions plutôt le Bon Enfant en nos enfances. Le petit n’a pas semblé réaliser vraiment qui était ce personnage, surtout intéressé par les cadeaux sortis de son sac. Julie, à son troisième mois, est un peu fatiguée, le petit trio est redescendu ce soir en plaine – Gary travaillant demain à son nouveau job -, et pour ma part je me sens plein de reconnaissance, d’abord à l’endroit de ma bonne amie qui a tout fait pour que la petite fête soit belle, etc. (Ce 25 décembre)
 
RECYCLAGE. - À un moment donné les voisins du quartier des Oiseaux avaient cessé de se parler d’une fenêtre ou d’un jardin à l’autre, les femmes avaient renoncé depuis longtemps à chanter aux fenêtres, alors que les pelouses étaient désormais traitées aux produits infanticides, mais de nouvelles relations propices à l’échange et au débat à tous les niveaux s’étaient rétablies via les réseaux sociaux de sorte que Madame du Perron, dont la nouvelle villa sécurisée jouxtait l’ancienne demeure des Reynier revendue à la cheffe de projet d’une start up en vue, avait enfin pu commencer de partager avec sa voisine sur la question du recyclage des déchets urbains...
 
BONUS. - Dernier jour d’une année qui fut pour moi, et en crescendo, une année de grâce à divers égards : d’abord pour ma rencontre de nouveaux amis, dont le magnifique Pierre-Guillaume , et ensuite par la publication des Jardins suspendus, grâce précisément à celui-ci, auquel m’a ramené Roland Jaccard.
La parution des Jardins suspendus, premier de mes livres à paraître à Paris, marquera de ce fait, et pas seulement, un tournant et une ouverture dans la suite et fin de mon travail d’écrivain, autant que notre vie qui se redéploie avec de nouveaux enfants, dans le petit cercle familial qui est le cœur de notre cœur. (Ce 31 décembre)

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