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  • Les miroirs d'Effi Briest

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    Du vieillissement (ou non) des "modernes". A propos d'Orson Welles et de R.W. Fassbinder 
    A quoi cela tient-il que certaines œuvres de jadis ou naguère nous semblent comme faites ce matin, et que d’autres plus récentes, qui se voulaient plus novatrices, se ressentent tant de leur époque qu’elles paraissent plus vieilles que les autres ? C’est la question qu’une fois de plus je me posais en regardant ces jours La splendeur des Amberson d’Orson Welles, qui date de 1942, et ensuite Effi Briest de Rainer Werner Fassbinder, tourné en 1974.
    Dans l’œuvre prolifique et passionnante, non moins qu’inégale de Fassbinder, qu’un nouveau coffret réunissant 18 de ses meilleurs films permet de (re)découvrir chez soi, Effi Briest est un bijou qui n’est pas loin de l’esthétique splendide de Welles, avec un effet de distanciation (le fameux V-Effekt de Maître Brecht) qui en signale la « modernité ».

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    Relisant le roman éponyme de Theodor Fontane (autre merveille à (re) découvrir), Fassbinder use (et abuse) de jeux de miroirs et d’artifices de toute sorte pour donner à cette histoire de femme-enfant toute pure en apparence (Hanna Schygulla, d’une beauté luminescente à consistance de Sèvres) prise au piège d’un mariage hyper-bourgeois et d’un milieu hyper-conventionnel, sa touche de classicisme formel, quelque part entre Monet et le Visconti de Senso, mais en plus figé et cérébral, comme dédouané ou dédoublé par l’esprit critique.
    Rien de cela dans La splendeur des Amberson, qui « assume » absolument son faste formel et n’en a pas pris une ride pour autant. Paradoxalement en revanche, et malgré sa beauté et sa poésie aiguë, Effi Briest se ressent de son maniérisme et d’un soupçon de pédantisme qui procèdent finalement de cette tare d’une certaine esthétique « moderniste », fondée sur la conviction que l’artiste doit rappeler qu’il n’est pas dupe. On l’a vu mille fois dans les mises en scène théâtrales de la même époque, où il fallait absolument se montrer plus intelligent que l’auteur, mais on en revient aujourd’hui. Tant mieux n’est-ce pas ? D’aucuns en tirent prétexte pour taxer de réactionnaire ce retour à l’intelligence d’understatement, qui se fond dans la forme, alors que cette réaction salutaire passe les modes et les doctrines…

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  • Maria l'absolutiste

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    À propos du Mariage de Maria Braun de Rainer Werner Fassbinder.

    Ce n'est qu'avec ce 33e long métrage que Rainer Werner Fassbinder, en 1978, aura enfin obtenu la reconnaissance la plus large, et c'est avec un intérêt et une émotion intacts qu'on revoit, trente-cinq ans plus tard, ce premier élément de la Trilogie allemande, marqué par le retour d'Hanna Schygulla dans le premier rôle, quatre ans après Effi Briest. En supplément au DVD, le témoignage de la comédienne sur son personnage et, plus précisément, sur le dénouement explosif du film, éclaire d'ailleurs celui-ci puisque, au départ, RWF avait prévu le suicide de la protagoniste, conformément à son absolutisme psychologique.

    Fassbinder26.jpgMaria Braun incarne en effet un amour absolu qui ne se souille jamais en dépit des apparences, pas plus que le soleil se salit à traverser les lieux les plus sordides. Elle couche avec un soldat noir alors qu'elle ne cesse de penser à son mari qu'on lui a dit mort sur le front russe, elle couche ensuite avec l'homme d'affaires qui l'a engagée alors que son mari a pris sur lui la responsabilité de la mort du soldat noir qu'elle a assommé à son retour et qu'il croupit en prison; elle vit cet amour absolu hors de toute contrainte morale ou circonstancielle, sur fond de ruines, au début du film, et de reconstruction à la fin du film. On pourrait la croire cynique sans voir cette dimension d'un amour à la fois implacable et invivable - en tout cas selon Fassbinder, dont Hanna Schygulla s'est efforcée d'adoucir la vision - d'où la fin moins désespérée du film qui hésite entre la conclusion accidentelle et le suicide involontaire.

    Ainsi que le souligne également Hanny Schygulla, le film n'a pas été conçu explicitement par RWF comme une métaphore de l'histoire allemande de l'immédiat après-guerre, même si c'est bien par celle-ci qu'il a trouvé son considérable impact, lequel dépend aussi de tout un arrière-plan social et psychologique d'après le désastre (la bande son retentit du début à la fin d'une espèce de récurrent bruit de mitraille) sans compter l'ensemble des personnages gravitant autour de Maria Braun, non moins précisément dessinés. Au demeurant, c'est bien la destinée de Maria, jamais abattue en apparence, brave et libre, courageuse et non moins amoureuse, mais incapable finalement de se couler dans un moule bourgeois, qui donne son relief tragique à ce film restituant admirablement la tonalité d'une époque.
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  • Fassbinder aux extrêmes

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    À propos de L'Amour est plus froid que la mort, et de Querelle


    Il est intéressent et révélateur, avec trente ans de recul et les commodités du DVD, de regarder d'affilée le premier et le dernier des films de Rainer Werner Fassbinder.
    Ce qui frappe immédiatement, à la comparaison de ces deux oeuvres apparemment si dissemblables, voire opposées par leur esthétique, est ce qui les apparente au contraire par leur rigueur de conception, quant à la forme, et plus encore par la pensée qui en fonde le sens et par le style qui en scelle l'originalité personnelle.

    Fassbinder48.jpgL'amour est plus froid que la mort est typiquement, par son ton et sa forme, au noir-blanc quasi janséniste, un film sinon d'école (on sait que RWF n'en a suivie aucune), en tout cas de cinéphiles, marqué notamment par les cadrages, les ambiances et certain humour godardien.
    Cela étant, le synopsis roule déjà sur les relations triangulaires du désir mimétique, omniprésent dans l'oeuvre à venir de Fassbinder. Malfrat de petite envergure, Franz (RWF lui-même) refuse de se soumettre aux règles du syndicat du crime et se trouve, par celui-ci, acoquiné à un certain Bruno (Uli Lommel) pour divers mauvais coups auxquels participe plus ou moins Joanna (Hanna Schygulla), au fil d'une action stylisée à outrance, parodique et soumise à la fameuse distanciation brechtienne ou V-Effekt. Jawohl !
    Or tout ça, qui fait encore très années 60 intellos, n'en est pas moins marqué par la patte de Fassbinder autant que par la présence physique de sa bande issue de l'Antitheater, réunissant Ingrid Caven et Peer Raben, Irm Hermann et Kurt Raab, notamment. La dédicace à Claude Chabrol, Eric Rohmer et Jean-Marie Straub fait aussi date...
    Fassbinder43.jpg Féerie fantasmatique

    Treize ans seulement séparent le premier et le dernier film de RWF, qui en a tourné plus de quarante dans l'intervalle !
    Marqué par un scandale très médiatisé à sa sortie à la Mostra de Venise, en 1982, peu après la mort de Fassbinder, Querelle fut hautement loué par le Président du jury, Marcel Carné, que ses jurés ne suivirent pas. Aux yeux de certains, le film est LE chef-d'oeuvre de Fassbinder, ou son film-testament.
    Pour ma part, j'abonde plutôt dans le sens d'Olivier Assayas, qui reconnaît l'exceptionnelle densité plastique de ce film, sans voir en lui un "testament", en cela qu'il annonce plutôt un renouveau du réalisateur plus qu'il ne marque une conclusion. À ce propos, certains ont voulu voir là le "chant du cygne" d'un artiste fini et suicidaire. Or Franco Nero, qui incarne dans le film le lieutenant Seblon, s'inscrit en faux contre cette vision des choses, rappelant que RWF avait trois grands projets en cours (dont un film sur Rosa Luxembourg) auxquels il devait être lui-même associé.

    Fassbinder37.jpgFantasmagorie sexuelle absolue, Querelle est probablement l'une des plus étonnantes adaptations d'une oeuvre littéraire au cinéma, à la fois très fidèle dans l'esprit et la lettre, parfois citée mot pour mot, et complètement libre dans son invention formelle et ses accentuations thématiques.
    Le roman-poème de Jean Genet, Querelle de Brest , a été écrit en prison et ressortit entièrement aux fantasmes érotiques du génial taulard érigeant, en dogmes inversés, les "valeurs" de l'érotisme homosexuel, de la trahison et du meurtre. Telle étant la façon, pour un enfant perdu de naissance, de "retourner" la situation que lui avait imposée la société.
    Dans la langue la plus somptueuse (Genet est sans conteste un des grands stylistes du XXe siècle),le roman tisse les relations, autour du bordel de La Feria, de tout un monde interlope dont la seule figure féminine est la mère maquerelle Lysiane, en couple avec Robert le dur, frère de Querelle. Le roman parodie le (mauvais) genre illustré par Carco et consorts, émaillé de dialogues canailles à souhait. Fassbinder, dans ce film de commande qui devait d'abord être tourné par Werner Schroeter, reste donc près de l'écrit, auquel il ajoute une imagerie à la fois kitsch (genre Pierre et Gilles à la puissance mille) et magnifique.
    Jean Genet parle explicitement, dans Querelle de Brest, de la "monstruosité des amours masculines", et l'on ne s'étonnera pas que le film de Fassbinder, fidèle à cette vision conséquente, ait scandalisé jusqu'aux membres de la communauté gay, notamment aux Etats-Unis où le sida commençait ses ravages. De fait, rien n'est plus éloigné de la "normalisation" que l'éthique de rupture rebelle d'un Genet (autant que d'un Pasolini), et nulle acclimatation non plus de l'amour "différent" ne se formule dans le film de Fassbinder dont les seules figures attachantes sont incarnées par Madame Lysiane (une Jeanne Moreau assez merveilleuse), le lieutenant amoureux (Franco Nero) et le jeune Gil (le lumineux Laurent Malet), tous trois tenus à l'écart des mecs narcissiques s'enfilant sans amour comme le serpent se mord la queue.

    Grande chose, assurément, du point de vue de la mise en scène autant que par sa vision extrémiste (et courageuse) de la phallocratie homosexuelle, Querelle n'est pas pour autant, à mes yeux en tout cas, ce qu'on pourrait dire LE chef-d'oeuvre de Fassbinder, et l'expression idiote de film-culte n'en rend pas mieux compte. À vrai dire, toute l'oeuvre de Rainer Werner Fassbinder est à prendre dans son ensemble et sa progression de work in progress, formidablement poreuse en son époque...
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