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  • Un roman virtuel

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    Dans Le viol de l'ange, toute la hideur et la détresse d'un monde décervelé, qui fuse vers l'abîme. Et puis, comme d'un excès du Mal : ces gestes oubliés qui s'esquissent, cette rédemption qui s'amorce.

     

    Une lecture de Jil Silberstein, en novembre1997.

     

    C’était des temps terribles et ordinaires. Des temps où rien ne pouvait plus surprendre les créatures peuplant la terre. Les assassins prétendaient-ils que leurs victimes s'entretuaient afin de faire passer l'agneau pour une hyène? On finissait par avaler ce genre d'énormité à tout bout de champ répercuté sur World Info. Il n'en pouvait aller autrement dans un contexte où tout vous sautait à la gorge... exacerbant, avec la lassitude à l'endroit d'une terre farcie d'horreurs et de mensonges, avec le sentiment de votre insignifiance, une folle avidité à jouir.

    Où Virtualité et sa cohorte d'illusions, éperonnant les âmes déboussolées, mettaient k.-o. ces concepts désuets qu'étaient mesure, réalité... pour la plus grande satisfaction des promoteurs de rêves planifiés et autres forcenés du dieu Pouvoir. 

     

    Dès lors, ce 12 juillet 1995, que les Serbes du général Mladic s'emparent de l'enclave musulmane de Srebrenica pour y commettre leurs atrocités: comment ce fait divers aurait-il suffi à perturber les habitants d'un grand ensemble suburbain d'Europe occidentale; à les tirer de leur enfer quotidien (esseulement et agonie) ou de leurs petits vices les isolant les uns des autres: hygiène maniaque, obsession de la superforme, voyeurisme, culte de l'excellence, érotomanie forcenée (cassette X à l'appui), consommation de tabloïds à sensation ou de feuilletons télévisés, opium distillé par d'habiles hommes d'affaires travestis en gourous — pour ne rien dire du shoot au sexe virtuel et autres perspectives interactives ouvertes par le réseau des réseaux ? 

     «Tout deviendra possible, avait expliqué le Physicien (...) tu refais le monde à ton idée, toi qui regrettes d'avoir eu une mère conne et pas de père, tu te rebidouilles un programme à la carte! Et t'imagines la thérapie pour les tarés du genre sériai killer ! Les mecs, ils ont tout à disposition: ils peuvent se défouler tant qu'ils veulent. Tous les complexes que ça explose et les fantasmes pas possibles! Imagine le pire dégueulasse! Il voudrait bouffer des fœtus? Il a qu'à louer le programme! Tu vois l'hygiène sociale à long terme? Après ça, le snuff-movie c'est bon débarras! Et c'est qu'un début, parce qu'ensuite tu passes aux dommages, et là c'est carrément l'Avenir...» 

    Dans les alvéoles de béton, on tâtonnait, endurait, s'abusait,ricanait, hurlait, tentait de s'offrir une tendresse que nul ne donnait. 

    C'était Rudolf qui «se faisait baiser par la ville entière mais n'était aimé que de son chien» et se consumait du sida. C'était Martial, paraplégique teigneux et insomniaque scrutant chaque fenêtre et s'épuisant à dialoguer avec ce Dieu fait Grand. Salopard. C'était Muriel et c'était Jo, champions d'une existence jouissive mais qui ne parvenaient jamais à se rejoindre — même au coursde leurs méga-baises. 

     

    C'était Pascal, le journaliste qui trompait dans l'alcoolses frustrations professionnelles et l'obsédante vision de sa mère démente.C'était la vieille et bonne Madame Léonce murmurant ses rapports quotidiens àfeu son compagnon. C'était Joaquim, cherchant refuge chez les sectateurs de la Nouvelle Lumière. C'était Cleo, désespérée et suicidaire, dont le petit Ariel venait de disparaître, alimentant les pires craintes. C'était tant d'autres détresses... 

     

    Qu'était-ce pourtant que la Cité des Hespérides, sinon un concentré de dérives identiques àcelles qu'enduraient, dans les maisons avoisinantes, ou à Paris, ou à SanFrancisco, tant d'esseulés qui s'efforçaient de tenir bon ou de se fuir en explorant n'importe quelle brèche?

    Dans ce climat d'affolante déréliction, qu'attendre? Un événement, pourtant, ferait irruption — si abject que, pénétrant au plus intime des âmes gangrenées,il conduirait à une rédemption. Structure polyphonique Sur cette trame, Jean-Louis Kuffer bâtit une fable d'une rare densité émotionnelle. 

     Un livre qui, par la profusion des destinées qui s'y croisent, par la complexité de sa structure polyphonique, par le travail sur la langue, par le lyrisme, la générosité et la pénétration psychologique ne ressemble à rien de connu en Suisse romande. 

    Les références qui s'imposent?  S. I. Witkiewicz, pour l'ampleur de la fresque sociale, l'affolement apocalyptique et le débridement de tous les sens. Thomas Wolfe, pour l'immense nostalgie d'une fraternité perdue avec l'Eden que nous quittâmes «nus et solitaires». Wim Wenders, pour l'éperdue miséricorde des Ailes du désir. Tomaso Landolfi, pour la magie et la tendresse de ses simultanés au cœur du village humain. Antonio Lobo Antunes, pour l'entrecroisement des trajectoires où se mesurent, comme en un ultime jeu d'où dépendrait le sort des hommes, ténèbres et lumière. 

     Quant à la construction labyrinthique du récit où se confrontent le romancier, les personnages, le voyeur mémorialiste, le pédophile pétri d'ésotérisme, l'auteur des hypertextes et «celui qui écrit ces lignes», elle constitue une investigation d'une stimulante complexité sur la virtualité ouverte par l'art du roman et les réalités qui le nourrissent. 

    Dans une petite entité culturelle comme la Suisse romande où, légitimement, chacun peut craindre complaisance, exagérations, renvois d'ascenseur ou règlements de comptes à l'endroit des auteurs du cru, Le viol de l'ange ne souffre que d'un handicap pour susciter l'enthousiasme qu'il mérite: ne pas nous venir des Etats-Unis ou d'une autre contrée où nulle méfiance ne ternirait son impact...

    Jean-Louis Kuffer, Le viol de l'ange. Bernard Campiche éditeur, 1997.

     

    (Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 19 novembre 1997).

     

  • À l'ami perdu

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    Pour E.

     

    Je ne sais pas qui m'écrivait


    cette nuit d'un hiver passé


    où tout se taisait sous la neige;


    qui m'a pris cette main


    pour écrire sur ce papier bleu,


    à l'encre bleue aussi,


    ces tendres mots de l'amitié


    que parfois on se doit.

     

    Et je lisais ces mêmes mots,


    lorsque le Mal t'a pris.


    (1993-2016)

     

    MC. Escher, Drawing hands, 1948.

  • La maison dans l'arbre

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    Nouvelles de l’étranger

      

    Les poèmes nous viennent

    comme des visiteurs,

    aussitôt reconnus ;

    et notre porte ne saurait se fermer

    à ces messagers de nos propres lointains.

     

                                                           (En forêt, 1986)

  • Coulant de source

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    Ma première liberté prise
    à l'insu de tous,
    même de l'unique camarade de ruisseau du moment,
    relie toujours
    une source jamais vue
    et le lac où tous plongeaient,
    corps adorables
    de l'idéale fantasmagorie
    à jamais sans âge.

    Mais déjà j'étais l'enfant trop conscient,
    l'adolescent des rêveries en lisière,
    le compagnon errant des rivages.
    Déjà!

    Cela fait maintenant
    le temps d'une vie.
    Au ciel de l'instant en suspens
    passe l’ange Mélancolie.

     

    (Cracovie, mars 2016)

  • Respirer

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    On peut faire un livre avec ça,
    on peut faire un poème
    avec n'importe quoi.
    Faut juste avoir l'inspiration.
     
     
    Les forêts donnant sur la mer,
    ou les arêtes entre deux eaux,
    les grands cahiers bleus d'écoliers,
    les toits plats où l'on va fumer
    ou les bardeaux anciens
    de bois rincé par la pluie
    aux parapets des cieux:
    un Russe cuité l'a peint
    comme un chaos de quilles
    en sarabandes de maisons -
    telle étant l'inspiration.
     
     
    On respire, on aspire
    et le chant monte ou pas
    de la chair en joie
    ou de l'esprit scabreux;
    de ce qu’on appelle l'âme,
    du sexe levé du frère âne;
    de la femme océane aux yeux
    d’écumante braise -
    au poème, oh merveilleux
    tout sera décelé dans l’aise
    de la nuit inspirée.
     
    (A La Désirade,ce 23 mai 2017.)

  • En cette ville la nuit

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    "Pourquoi nos désirs ? Pourquoi nos pensées dans la nuit ?
    Pourquoi la présence de certains hommes, de certaines femmes à mes côtés
    fait-elle se dilater le soleil dans mon sang ?"
     
    (Walt Whitman)
     
     
    Depuis la nuit du sang
    le remords de n'être pas dieu
    me retient en ville ou je tue
    le temps.
     
    Aussi je me fais une fête
    d'ancien cueilleur d'amulettes
    de conspuer avec l'enfant
    tatoué de sangs mélangés
    la fierté des battants
    qu'enivre l'élan de l'épieu.
     
    Votre ville est si fière
    de son utilité
    pure de toute futilité
    qu'elle en devient plus dure
    en nos cœurs assiégés
    que l'obsidienne des couteaux.
     
    Vous êtes les tenants
    de l'activité verticale;
    aux axes effilés
    vous cumulez l'effet
    et les reflets des angles
    exsangues et calculés
    dans les bureaux glacés;
    vous êtes les adroits,
    et ni le choix des armes
    ni les états d'âme
    n'échappent à vos menées
    et autres visions programmées.
     
    Votre empire est sans pitié
    et la misère empile à vos pieds
    les hardes de la horde exclue,
    mais les affaires sont les affaires.
     
    La ville-monde au demeurant
    nous exalte et nous épate,
    oxymore de splendeur;
    Caïn le rebelle au grand air s'éclate,
    et le tendre Abel en sa lenteur
    mène sa peur où ça lui chante.
     
    (San Francisco, ce 23 avril 2017)

  • Nocturne

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    Le piano dans la nuit


    écoute cette voix


    qui ne parle qu'à lui.


    Celle qu'on ne voit pas


    se tait les yeux fermés.


    On ne sait pas ce qu'elle fait là.

     

    Les grands arbres muets


    abritent sous d'autres cieux


    les splendeurs de l'ivoire.


    On ne saura jamais


    d'où vient le chant du soir.

  • La baraka

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    Aux innocents massacrés

     

     

    J'étais innocent présumé,


    ou peut-être pas, va savoir ?


    J'étais un enfant de trois ans,


    j'étais Un vieil Anglais


    familier de la promenade;


    nous, nous étions juste belles,


    juste faites pour le bonheur,


    et faut-il se méfier aussi


    des jeunes filles en fleur ?


    Et quelle peur auraient-ils eu


    ce soir au bar des retraités


    amateurs de karaoké ?


    Nous, nous ne faisions que passer.


    Ces trois-là étaient Japonais.


    Pas mal de gens, aussi,


    qui s'étaient dit CHARLIE


    en janvier de l'autre année,


    l'avaient oublié par la suite


    en se pointant au Bataclan...

     

    Mais à présent on se sentait


    tellement protégés:


    le ciel virant de l'orangé


    à l'indigo sur les palmiers;


    nous regardions la mer


    aux reflets étoilés;


    dans ses bras tu t'étais sentie


    délivrée des emmerdements;


    un autre maudissait la vie


    sans savoir pourquoi ni comment;


    plusieurs millions plantés


    devant l'écran de leur télé


    étaient à regarder comment


    le monde va ou ne va pas -


    on ne sait pas, ça dépendra


    peut-être de la baraka ?

     

     

    Voila ce que ce soir peut-être


    ou peut-être pas, va savoir


    ils se disaient tous dans le noir


    et comme flottant hors du temps:


    ah mais quel beau feu d'artifice


    ce serait ce soir à Nice...


    Lorsque a surgi le camion blanc.


    (Ce matin du 15 juillet 2016)

  • Revenant à la mer

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    "Si je crois encore à la mer / alors j'ai espoir en la terre"
     
    (Ingeborg Bachmann)
     
     
    Au retour de la mer
    je la reconnais à l'instant,
    la patiente, insensée
    amante de mille saillants
    en lenteurs retombées
    aux long couchers ardents.
     
    L'impassible égérie,
    et soudain la verte furie;
    la muette rêveuse,
    et tout à coup la volubile
    aux délires de salive -
    la cavale très indocile
    donnant des quatre fers
    dans le tumulte des années.
     
    Nous étions si glorieux,
    petit nageurs écervelés,
    et nous voici rendus au vent
    sans âge de la terre,
    avec elle tout apaisés...
     
    (Cap d’Agde, ce 10 septembre 2017)

  • Ceux qui caftent

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    Celui qui rèvèle au journal Le Temps que lui aussi a été attouché mentalement par le présentateur vedette de la télé et qu’il en a conçu un vrai trauma / Celle qui a entendu dire que la prétendue épouse légitime du présentateur vedette non plus n’était pas clean au plan des fantasmes / Ceux qui se réjouissent de voir un Nom cloué au pilori du journal Le Temps dont chaque rédactrice et rédacteur a signé la charte de discrétion interne devant le notaire issu du quartier genevois des Tranchées de tradition calviniste et bancaire sûre / Celui qui a enquêté sur le prétendu prêtre supposé avoir eu des pensées impures en confessionnal et qui aurait eu l’intention de passer à l’acte avec le fils de la journaliste du Temps dont les préférences sexuelles restent protégées par la charte de discrétion de la rubrique Monde / Celle qui s’est fait mal voir de la rédaction de 24 heures au motif qu’elle a déposé plainte en justice contre le fameux chorégraphe dont le journal a flouté le nom – mais où va-t-on si la justice s’en mêle sans l’aval des rédactions ? / Ceux qui font assaut de vertu sous le masque de la justice médiatique sûre de ses sources protégées par le secret / Celle qui relaie les plaintes anonymes diffusées sur la Hotline du tabloïd numérique 20 Minutes en relation directe avec les réseaux sociaux et de possibles justiciers en 3 D / Ceux qui en appellent à de nouveaux tribunaux populaires virtuels qui devraient s’inspirer de la rectitude morale des Frères musulmans et autres télévangélistes aux aguets dans les collines de Hollywood /
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    Celui qui ne supporte pas les jeunes désoeuvrés du quartier des Blaireaux contre lesquels il envisage de lever une milice secondée par des chiens civils et quelques journalistes en mal de copie en ces temps viraux / Celle qui affirme qu’elle ne demande qu’à croire que tout ce qu’on dit sur le présentateur vedette de Radio-couloir est faux sauf à preuve du contraire vérifiée dans le journal Le Temps / Ceux qui estiment que Darius Pincebien le fameux présentateur de la météo à la télé doit se dénoncer lui-même sinon 24 Heures finira le job amorcé par Le Temps et 20 Minutes / Celui qui précise toujours que Michel Foucault avait la préférence sexuelle qu’on sait mais que ça n’enlève rien à son mérite académique au contraire / Celle qui téléphone à Madame Schneck pour se plaindre de ce qu’un peu d’huile de vidange de Monsieur Schirm a coulé sur l’allée du lotissement privé Les Campanules / Ceux qui ont entendu dire par la concierge bosniaque que les Croates du troisième auraient laissé le chien Bogumil dans leur trois-pièces avec des biscuits secs et de l’eau pendant les quinze jours qu’ils sont en Dalmatie / Celui qui compte les visiteurs que reçoit la nouvelle locataire de l’entresol qui a l’air de se prendre pour Arielle Dombasle avec ses longs ongles peints en violet foncé / Celle qui rapporte ponctuellement les faux bruits que le fondé de pouvoir Ledru lui révèle pour tester une fois de plus sa discrétion dans l’Entreprise / Ceux qui estiment qu’un Bon Chrétien se doit de révéler les manquements graves aux Dix Commandements des paroissiens censés honorer la communauté des Sœurs et Frères, et qu’il a le plein accord de l’imam Abdul en ce qui concerne les déviants de toutes tendances y compris littéraires et musicales, etc.