(Shakespeare en traversée. Drames historiques)
33. La tragédie du roi Richard II (1595)
Après la frénétique et féroce conquête du pouvoir marquant la tragédie du diabolique Richard III, c’est à la chronique d’une destitution que se voue le Shakespeare trentenaire dans la première pièce de sa deuxième tétralogie historique.
Les neuf drames historiques sont traversés par une réflexion « en situation » sur les us et abus du pouvoir royal en Angleterre, entre la fin du Moyen Âge et le début de l’ère élisabéthaine, avec une suite de portraits de monarques plus ou moins détaillés et un tableau de groupe non moins gratiné des rivalités et autres prétentions héréditaires minant la haute noblesse anglaise.
Des la première scène de Richard II, le Roi est censé arbitrer le violent conflit opposant deux de ses plus éminents seigneurs, se traitant mutuellement de traîtres et s’impatientant de s’occire en duel. Or Richard préfère les bannir, enclenchant un processus de vengeance qui va se retourner contre lui quand il dépouillera l’un des deux exilés, son cousin Bolingbroke, de tous ses biens légitimes pour financer une guerre contre l’Irlande aussi ruineuse que son train de vie frivole déjà fort mal vu de ses sujets.
Comparé au machiavélique Richard III ou à un Henry VI confit en angélisme, Richard II est un personnage ambigu dont la nature profonde se révèle dans l’épreuve, préfigurant celle d’Hamlet. Une scène mythique le voit interroger sa destinée en scrutant son visage devant son miroir, en présence du futur nouveau Roi (Bolingbroke revenu d’exil) et de tous les pairs du royaume qui l’ont laissé tomber.
Méditation lucide et désenchantée sur la vanité de la royauté, non sans résonances plus largement métaphysiques impliquant la condition humaine, la pièce approfondit aussi la question du juste gouvernement par le truchement de diverses voix appelant à la mesure et à la sagesse, notamment en la personne du vieux Jean de Gaunt ici incarné par le vénérable John Gielguld octogénaire.
Quant à Richard II, il est campé par Derek Jacobi (qu’on retrouvera dans le rôle d’Hamlet) avec un mélange tout à fait approprié de fragilité presque féminine et de croissante puissance dramatique, jusqu’à paroxysme émotionnel des scènes finales.