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  • Quand la critique est un art

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    20882564_10214082966455045_8934503663127614844_n.jpgJean-Louis Kuffer nous présente cinquante ans de lectures et de rencontres littéraires. Un livre qui donne envie d’en acheter mille.

    Par Olivier Maulin.

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    On devrait, nous autres Français, davantage écouter nos amis suisses, ce qui nous éviterait cette forme de condescendance si typique de notre nation, dont nous n’avons bien ssûr le plus souvent pas conscience. Dans un article intitulé « Moi parler joli français », Jean-Louis Kuffer raconte comment Edmonde Charles-Roux, après avoir remis la bourse Goncourt au poète valaison Maurice Chappaz, en 1997, s’extasiait sur les onde de la radio romande : « Et vous savez que Chappâze écrit un très joli français !» Ce qui nous vaut une volée de bois vert sur le nombrilisme de l’édition parisienne de la part du grand critique suise, qui n’imagine pas une second un de ses confrères allemands s’étonner si candidement du «bel allemand» de l’Autrichien Peter Handke…

    Ecrivain et journaliste littéraire dans de nombreuses publications romandes, cofondateur d’une revue consacrée aux livres et aux idées, Le Passe-Muraille, Jean-Louis Kuffer est un authentique passionné de littérature. Il publie aujourd’hui une anthologie de textes sur le sujet écrits durant cinquante ans (1968-2018) où l’éclevtisme de ses goûts et sa curiosité sans limites ne le font pas sombrer dans l’« omnitolérance » qui est la manière la plus efficace de se débarasser du livre.

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    On ne s’étonnera pas de retrouver dans ce corpus de nombreux articles sur des écrivains suisses « écrivant joliment », à commencer par Ramuz, «l’auteur d’origine romande le plus important depuis Rousseau», dont la langue d’une beauté exceptionnelle, précisément, à mis du temps à s’imposer à Paris, hors Céline qui en perçut immédiatement le caractère poétique et novateur.

    C’est un fait : les Suisse sont de grands voyageurs, et c’est une riche idée d’avoir arraché Thierry Vernet à son statut d’éternel compagnon de Nicolas Bouvier, auteur culte des écrivains-voyageurs, lui qui apporte un « ajout radieux et profus » à l’œuvre magistrale de son camarade de voyage. Riche idée également de faire découvrir aux lecteurs français Lina Bögli, qui décida en 1892 d’accomplir un tour du monde en dix ans et qui en revint, «ponctuelle comme un coucou suisse », en se félicitant de la politesse partout rencontrée.

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    Un des jardins suspendus de Jean-Louis Kuffer (qui fut directeur de collection à L’Âge d’Homme) est la Russie, ce qui nous vaut des textes pénétrants sur Tchekhov, Bounine, Dostoïevski , Grossman ou Soljenitsyne; un autre est l’Amérique, et il est alors question de Thomas Wolfe, Flannery O’Connor, Philip Roth ou Cormac McCarthy, ce « visionnaire pascalien » au lyrisme sauvage, certainement le plus grand écrivain américain vivant.

    Quelques rencontres émaillent ce recueil. Notamment celle d’Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française et figure de Saint-Germain-des-Prés, dont l’œuvre étonnante pleine de vagabonds et de fainéants en rupture avec la société est celle d’un grand moraliste.

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    Aphone au moment de la rencontre à cause d’un cancer du larynx, l’écrivain de 87 ans voulait expliquer à Jean-Louis Kuffer sa défiance envers le pouvoir. Il prit un bout de papier, y griffonna cette simple question : « Pouvez-vous écouter un ministre sans rire ? ». Tout était dit.

    Olivier Maulin (Valeurs actuelles, le 24 janvier 2019)

    Jean-Louis Kuffer, Les Jardins suspendus. Pierre-Guillaume de Roux, 416p.

  • Produits d'entretien

    J.-F. Duval. Copyright Yvonne Bohler JPEG copie.jpeg
    Jean-François Duval fait parler

    ceux qui s'inquiètent de l'avenir.

     

    Passeur d’idées et d’expériences humaines, l’écrivain-reporter pratique l’entretien avec autant d’empathie que de compétence, jusqu’au plus pointu de la pensée contemporaine. Deux livres récents nous valent d’extraordinaires rencontres, qu’il s’agisse d’Elisabeth Kübler-Ross en sa retraite d’Arizona, ou de dix-huit personnalités qui ont des choses à dire dépassant la jactance des temps qui courent.

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    «L’avenir est notre affaire», nous rappelait Denis de Rougemont il y a plus de quarante ans de ça, dans un livre-testament militant pour une prise de conscience écologique non dogmatique, qui fit ricaner à gauche et soupirer à droite.

    Le grand Européen, que Malraux avait dit l’un des hommes les plus intelligents de sa génération, développait une réflexion globale sur le pillage de la planète et sa pollution, la nécessité de redéfinir la notion de territoire, ou l’urgence de dépasser les vanités et les clôtures de l’Etat-nation, qui faisait alors figure, pour certains, d’élucubrations de vieux rêveur impatient de séduire les jeunes filles en fleur, alors qu’elle s’inscrivait dans un courant de pensée devenu, aujourd’hui, bonnement central et vital.

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    Or je n’ai cessé de me rappeler ma propre rencontre avec le vieux Maître, en 1977, qui m’avait dit qu’une Europe des technocrates ne réaliserait jamais ses espérances et son combat, en lisant le recueil d’entretiens rassemblés par Jean-François Duval, où le souci de «notre affaire» revient à chaque page, chez les personnalités interrogées les plus diverses, qu’il s’agisse de Brigitte Bardot ou du philosophe Paul Ricoeur dont Emmanuel Macron fut le disciple, du penseur slovène non conformiste Slavoj Zizek dialoguant avec Isabelle Huppert, ou de notables penseurs transatlantiques (de Jean Baudrillard à Fukuyama) et du sommital et pétulant Dalaï-Lama rencontré en son exil de Dharamsala, sans oublier Michel Houellebecq en caleçon dans sa cuisine, avant et après sa douche…

    soluciones-elisabeth-kubler-ross.jpgUne espèce de sainte au milieu des coyotes

    Les gens qui souffrent le plus sont parfois les plus rayonnants, et c’est une joie aussi rare, et presque scandaleuse à certains égards, qu’on perçoit en la présence d’Elisabeth Kübler-Ross, quasi grabataire après plusieurs accidents cérébraux qui n’ont pas entamé son mental ni son moral quand Jean-François Duval, en 1996, débarque chez elle. 

    Quoique mondialement connue, la septuagénaire raconte que son fils Kenneth l'a «kidnappée» après l’incendie criminel qui a détruit sa maison de Virginie où elle avait le tort (aux yeux du Ku-Klux-Klan en tout cas) d’accueillir des enfants sidéens, pour la mettre à l’abri dans ce coin perdu de l’Arizona.

    En 1996, Elisabeth, que ses amis indiens ont sacrée «femme au calumet» avant de lui offrir un totem à l’effigie de l’Aigle debout, vivait toute seule dans une maison toujours ouverte, avec une seule jeune aide de ménage mexicaine, et c’est couchée, très affaiblie, quasi paralysée mais terriblement vivante (elle refusait de prendre des médicaments pour garder tous ses esprits) que son visiteur la découvrit et, bientôt, se fit reprocher de ne pas fumer: «Vous n’avez pas honte! Vous n’avez pas vu la pancarte à l’entrée de ma maison: merci de bien vouloir fumer! J’aime les gens qui fument». Et d’évoquer ensuite les sept «merveilleux coyotes» rôdant autour de sa maison…

    Une cinglée que cette mystique qui se réjouit de mourir pour rejoindre ceux qu’elle est persuadée de retrouver de l’autre côté? Le gens raisonnables le penseront sûrement quand, sur la base de sa longue expérience, elle lance au mécréant Jean-François que les enfants mourants ont bien de la chance d’en finir et qu’elle a déjà plein d’anges autour d’elle. 

    Et l’on se rappelle alors que c’est en découvrant les papillons noirs dessinés sur les murs par les enfants juifs déportés au camp de Majdanek, en sa vingtaine déjà très sensible au sort des autres, qu’elle a décidé de se consacrer à l’accompagnement des mourants. À ses yeux, notre vie serait donc celle de chenilles enfermées dans leur corps, dont la mort les délivrerait…

    Au fil de deux rencontres restituées comme deux petites pièces de théâtre savoureuses, c’est pourtant le contraire d’une illuminée qui s’exprime sur la vie autant que sur la mort: les signes qu’elle a reçus de son mari défunt qui ne croyait absolument pas à «tout ça», ce qu’elle a appris des enfants et des mourants devant la souffrance, l’aide d’un «soigneur d’âme prénommé Joseph» qui l’a enjointe de ne plus se focaliser sur la mort, entre autres propos affectueux ou plus sévères sur la Suisse et ses compatriotes trop souvent étroits d’esprit ou attachés à leur seul petit confort, Jésus qu’elle trouve aussi «okay» que mère Teresa (juste un peu trop «complexée» à son goût), l’enfer que les humains se fabriquent sur terre et qu’il est stupide d’imaginer qu’un Dieu ait pu le concevoir, ou encore l’importance de savoir recevoir plus encore que de savoir donner…

    1006402-Paul_Ricœur.jpg«Reporter d’idées» et bien plus... 

    Journaliste et écrivain, Jean-François Duval a accompli, des années durant, un travail qui relevait en partie du «reportage d’idées», au sens où l’entendait un Jean-Claude Guillebaud, grand reporter revenu de divers fronts de l’actualité avant de développer son «enquête sur le désarroi contemporain» dans la magistrale série d’essais nourris que furent La Trahison des lumières (1995) ou Commencement d’un monde (2008), en passant par La Tyrannie du plaisir.

    Plus modestement, mais avec autant de curiosité non alignée – qui l’a fait dialoguer par exemple avec un Charles Bukowski, en connaisseur avéré de l’underground culturel américain - que de solide formation, Jean-François Duval a multiplié, des années durant, les reportages et les entretiens de haute tenue qu’une inappréciable petite dame, à Zurich, du nom de Charlotte Hug, accueillait dans les pages de Construire, l’hebdomadaire «du capital à but social»… 

    Bien plus qu’un banal recueil d’interviews recyclées, ce nouveau livre intitulé Demain, quel Occident? fait double office de substantiel rappel «pour mémoire», en donnant la parole à quelques voix prophétiques (un Jean Baudrillard, par exemple, qui pressentait avec vingt ans d’avance le besoin compulsif des individus de se prouver qu’ils existent à grand renfort de selfies et autres shows auto-promotionnels sur les réseaux sociaux), mais aussi en multipliant les observations en prise directe sur notre présent et l’avenir que nous réserve un monde en mutation de plus en plus rapide. 

    Cinéma d’époque et zooms sur l’avenir 

    En rupture complète avec les médias cannibales qui consomment de la vedette et ne s’intéressent qu’au «buzz» de l’opinion, les entretiens réunis ici sont soumis à la double exigence du respect humain et de l’approche bien préparée. Brigitte Bardot n’est pas abordée ici comme un sex symbol décati fondu en écolo réac (je singe le langage des médias vampires), mais comme une personne de bon sens qui formule des jugements aussi respectables que ceux d’un Cioran, et bien plus affûtés que ceux  d’un Michel Houellebecq, dont la rencontre est bonnement drolatique dans le style Deschiens – en fait c’est surtout sa femme qui parle… 

    Blague à part, si ce livre est une véritable mine de réflexion, ou plus exactement d’amorces de réflexion et de pistes qu’il nous incombe, lecteurs, de suivre, c’est que Duval, ferré en philo et en connaissances tous azimuts mais ne donnant jamais dans aucun jargon, s’est préparé sérieusement à chaque rencontre. 

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     Tout le monde parle aujourd’hui de transhumanisme, mais c’est en 2002 déjà que le reporter se pointe à Boston chez Ray Kurzweil, et c’est dès 1996 qu’il avait interrogé Francis Fukuyma! Le nom de Paul Ricoeur est souvent réapparu dans les médias depuis l’accession à la présidence française de son disciple, mais c’est dès 1986 que Jean-François Duval avait enregistré ce grand maître de la pensée contemporaine jugeant que «nous sommes le dos au mur» et constatant, comme les Américains Daniel C. Dennett ou Stanley Cavell, ou comme le Dalaï Lama visité à Dharamsala, que le moment est venu pour l’humanité de considérer un peu plus sérieusement que l’avenir est «son affaire», etc. 

    1524834788_duval2.jpg1524834746_duval1.jpgJean-François Duval. Demain, quel Occident ? Entretiens. Social Info, 251p.

    Social Info, 251p.

    Elisabeth Kübler-Ross va mourir et danse avec les loups. SocialInfo, 97p.

  • Delteil le bienheureux

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    Faut-il canoniser Joseph Delteil 3.pngSurvivant mieux qu’un immortel académique, le chantre par excellence de la vie belle, « bonhomme inouï », nous revient par le truchement d’une très substantielle livraison de la revue « Instinct nomade », pilotée par le timonier Bernard Deson. C’est l’occasion de refaire le parcours d’un auteur adulé en sa jeunesse, oublié quelque temps, puis ressuscité au titre de «saint laïc», en attendant la caution fort heureusement improbable du Vatican… 

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    Figure éminemment originale de la littérature française du XXe siècle, Joseph Delteil (1894-1978), quoique massivement méconnu du grand public actuel, pourrait être dit un grand écrivain mineur - remarquable à la fois par son style et son mode de vie de véritable personnage,pittoresque à souhait -, au même titre qu’un Paul Léautaud ou un Albert Cossery. Comme ces deux derniers à la ville, Delteil figurait, au milieu de ses vignes du Languedoc, une manière d’individualiste à tout crin  féru d’amitiés vraies, anarchiste en apparence mais ancré au plus profond de la civilisation paysanne traditionnelle, dont il situait le paradis perdu au paléolithique. Son opposition farouche à une société fondée sur le profit et l’aveugle  fuite en avant au nom d’un hypothétique progrès, ses positions incessamment réaffirmées contre la guerre, la violence et la déshumanisation, avaient fait de lui, dans les années 60, une sorte de  précurseur de mai 68, un peu à l’image du « philosophe dans les bois » américain Henry David Thoreau, sans qu’il devienne pour autant un «auteur culte» de la jeunesse, et ce malgré ce qu’il y avait chez lui de l’hédoniste, à l’instar de son ami Henry Miller, ou de l’utopiste à pieds nus propre à séduire les hippies.

    D’un autre point de vue, l’homme vivant au quotidien comme une espèce de bienheureux avéré avec sa chère vieille moitié américaine, dans leur mas des environs de Montpellier, d’aucuns le déclarèrent «saint laïc », et voici que, dès son introduction au très substantiel numéro que sa revue Instinct nomadeconsacre cette année à Delteil, Bernard Deson n’hésite pas à en appeler  à un procès en canonisation vaticane style santo subitopost mortem, non sans un grain de sel de joviale ironie…

    De sainte Jeanne à Jésus-le-retour 

    Mais après tout pourquoi pas ? Le paroissien n’était certes pas du genre béni-oui-oui, qui déclarait volontiers « je suis chrétien, voyez mes ailes, je suis païen, voyez mon cul », et pourtant un véritable esprit évangélique traverse toute son œuvre, autant que sa vie a été marquée - comme celle de François d’Assise auquel il consacra une biographie à sa façon, - par une période joyeusement dissolue, dans le Paris des années folles, suivie d’une longue retraite de vigneron-poète dont le meilleur autoportrait en mouvement se déploie, en langue infiniment savoureuse, dans son dernier livre qu’on pourrait fort bien conseiller comme sa meilleur introduction, intitulé La Deltheillerie et faisant office à la fois de mémoires et de vibrant et très vivant credo, où d’emblée il nous le rappelle : « Je dis souvent : je, , mais c’est le pluriel, c’est le je de l’homme »…

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    « Monté » à Paris au début des années 1920 avec ses rudes sabots de fils de bûcheron du Sud-Ouest, Delteil connut la célébrité au cap de sa trentaine, après trois premiers livres concélébrés par Aragon et André Breton, avec une évocation biographique de Jeanne d’Arc jugée triviale ou au contraire trop chrétienne par les uns (Breton, rejetant son disciple surréaliste d’un temps, parla de « vaste saloperie ») alors qu’un Paul Claudel, catholique et poète de génie, y flairait le fumet d’un futur « grand écrivain »…

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    Bref, la petite péquenote, béatifiée en 1920, valut à Delteil le prix Femina et d’abondantes rentrées d’argent qu’il claqua en émule de Don Juan, et, plus durablement, inspira La Passion de Sainte Jeanne  au cinéaste danois Carl Dreyer (avec un certain Antonin Artaud et un non moins certain Antonin Artaud dans sa distribution), chef-d’œuvre du muet dont chacune et chacun pourra vérifier tout à l’heure (sur Youtube ou via Vimeo, avec l’ajout d’un Lamentate d’Arvo Pärt) qu’il n’a pas pris une ride… 

    Or en quoi la Jeanne de Delteil et Dreyer rompait-elle avec l’imagerie plus ou moins conventionnelle voire sulpicienne de la tradition ? En cela qu’elle y apparaissait en son humble chair vibrante de paysanne aussi charnellement présente qu’inspirée en son regard tout pur (le visage fascinant de Renée Falconelli, tondue par le réalisateur, y contribuait notablement), proche en cela d’un Jésus II à venir 20 ans plus tard sous les traits d’un échappé d’asile de fous entraînant, plus fou que le Christ de Pasolini ultérieur, douze apôtres non moins extravagants aux noms (ou surnoms) de Parsifal, Socrate et Salomon, Savonarole ou Don Quichotte, notamment) qui fausseront compagnie à leur Maître, lui préférant les pécheresses d’un Établissement spécialisé, laissant Jésus II  gagner Rome par «tous les chemins», où règne un «vieux pape tout papu», entre autres péripéties abracadabrantes fleurant leur iconoclasme potache… 

     

    Toute une époque en peinturlure

    Joseph Delteil raconte de façon tordante, dans La Deltheillerie,les séance collectives d’écriture automatique présidées, rue Fontaine, par le pape du surréalisme André Breton, qu’il traita plus tard de dictateur des lettres. Quant au charmant René Crevel, lui aussi de la fameuse bande, il dénonça le « francisme ordurier et la bondieuserie fanfaronne » de sa Jeanne d’Arcà succès, en un temps où le rejet des « valeurs chrétiennes » ou de la « civilisation française »  faisait figure de dogme chez les jeunes auteurs de l’époque, lesquels s’écharpaient les uns les autres avec une vigueur inimaginable aujourd’hui. Delteil lui-même n’avait-il pas « pissé » sur la tombe d’Anatole France à l’union de ses compères surréalistes ? Et ne compare-t-il pas son Cholérabiscornu à un « nouvel Hernani » ?

    Ce qui est sûr, c’est que toute une époque revit dans le chapitre de ses mémoires qu’il a intitulé La révolution à Paris, avant que la maladie et les vanités de la vie parisienne ne le fassent se replier dans un «désert» aux allures de grand jardin : « J’ai fui. Ce que j’ai fui c’est ce côté officiel de la littérature, ce côté foire, bazar, bagarre » (…) « J’ai refusé de monter sur les planches, de me donner en spectacle, d’être un « personnage »…    

    L’amour et les copains d’abord…

    Cela étant, il y a bien un « personnage » chez Delteil, et certains lui ont d’ailleurs reproché d’en rajouter à cet égard ; et c’est vrai que La Deltheillerie regorge de détails sur lui-même – jusqu’à ses vêtements au naturel faussement débraillé -   qu’on pourrait trouver complaisants. Ce à quoi il répond, dans un entretien référentiel avec Jacques Molénat, datant de 1969 et repris dans Instinct nomade : «La complaisance, je n’ai jamais su ce que c’était. C’est l’un des deux ou trois défauts qu’on m’a toujours reprochés. Personnellement, je ne vois pas ce qu’on veut dire par là. » (…) Je voudrais me regarder simplement de façon à me voir exactement tel que je me suis (…) « Est-ce de la complaisance. J’appelle cela l’amour de la vérité ».

    Et de fait, et bien plus largement, l’amour, à tous les sens du mot, traverse l’a vie et l’œuvre de Delteil, et son souci de la vérité et du mot juste pour la dire. Son premier roman reconnu s’intitulait ainsi Sur le fleuve amour,et le « faune » d’une certaine légende érotisée a partagé le plus claire de sa vie auprès d’une seule femme, qui précise aussi ceci, dans le même entretien, en matière d’érotisme au goût du jour : « Voilà un mot trèsgalvaudé. Si on appelle érotisme le fait, par exemple, d’allerdans monjardin, de me promener, de regarder les fleurs, de cintenpler une rose dans toutes ses faces, dans toutes ses nuances, d’attendre que le soleil l’éclaire detelle directionplutôt que de telle autre pour en jour pleinement, mieuxque personne et mieux que jamais, alors naturellement je suisérotique, cela va sans dire(…)Mais on appelle quelque fois érotisme une espèce de vice qui consisterait é détruire cette fleur, à n’en garder que… le pistil  et à détruire tout le reste »…

     Ainsi parlait le septuagénaire, qui n’en était pas moins un vert-galant de langage et pas que.

    Or il faut le lire dans le texte, parfois émaillé de rabelaisiennes obscénités, ou l’entendre parler de son ami Henry Miller, ou lire dans La Delteheillerieles admirables pages qu’il consacre à sa mère ou au jour sacré de la mise à mort du cochon, à son père l’homme des bois ou à l’amitié qu’il ne conçoit pas sans amour, pour vérifier le caractère englobant et pour ainsi dire sacré, religieux hors des dogmes, grave et joyeux, à la fois panthéiste – il est l’auteur d’une fameuse Cuisine paléolithique dont les recettes sont autant de poèmes savoureux – et profondément bon qui invoque aussi volontiers le Livre des morts(« Je n’ai causé de souffrance à personne ») que la satisfaction de faire et de se faire du bien (« le tout non par humanité, sentimentalité ou charité mais encore une fois pour mon plaisir ») et s’exclame enfin comme ça. « Ah ! la vie simple, amusante, naïve, sublime, que je mène au beau milieu de ce monde absurde, tragique et fou ! »…

     

    « Faut-il canoniser Joseph Delteil ? ». Instinct nomade, la revue du métissage culturel.No3, printemps-été 2019, 256p.

    Joseph Delteil. La Deltheillerie. Grasset, Les Cahiers rouges, 250p. 1996.

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  • Jean-Marc Lovay à sa source



    Amorce psychédélique d’une oeuvre, à découvrir à titre anthume...

    Lorsque nous avons appris que l’ Epître aux Martiens de Jean-Marc Lovay allait paraître, plus de trente ans après que ce texte eut obtenu le Prix Nicole 1969, en même temps que Pour mourir en février d’Anne-Lise Grobéty, nous étions loin de nous douter de ce que serait cette exhumation.

    L’histoire du tapuscrit perdu de ce premier roman d’un tout jeune auteur (Lovay, né en 1948, avait 19 ans lorsqu’il le composa !) dont ne parut qu’un extrait, dans la revue Ecriture, n’a jamais fait l’objet d’aucune déploration publique qui pût faire croire à une irrémédiable perte. Trente-six ans après avoir écrit ce texte en marge de son travail de nuit à la rédaction de la Feuille d’Avis du Valais, l’auteur lui-même rappelle, en préface à cette édition, qu’il avait d’autres chats à fouetter en 1968, du côté de l’Afghanistan, qu’à établir des archives qui le poursuivraient “comme des chiens de papiers” dans ses voyages.

    La parution, en 1970, de La tentation de l’Orient, son dialogue épistolaire “on the road” avec Maurice Chappaz, et celle des Régions céréalières chez Gallimard, en 1976, avec l’adoubement de Louis-René des Forêts, Pascal Quignard et Jean Grosjean, allaient ensuite éclipser le souvenir de la fantomatique Epitre, dont un pré-tapuscrit fut cependant retrouvé en avril 2000 par Maurice Chappaz dans son galetas de l’Abbaye du Châble, avant que Lovay lui-même ne tombe, en automne 2001, sur une première version originale et une copie définitive du livre “dans une cave entre un vieil aspirateur et un pied de sapin de Noël”. Et de souligner dans la foulée, avec sa malice très particulière, qu’il repousse “une complaisante propension à trop humblement estimer naïf un premier livre de jeunesse” dont le lecteur découvre, aussi bien, la remarquable cohérence du délire apparent.

    Il y a certes, dans Epitre aux Martiens, une forte marque d’époque, qui l’apparente à toute une contre-culture dont les figures référentielles (mais non explicites) pourraient être le conteur crépusculaire Buzzati et le routard Kerouac, le Burroughs visionnaire du Festin nu et divers auteurs de science fiction contre-utopique tels Ray Bradbury ou Philip K. Dick, entre autres.

    L’histoire de Julot, le protagoniste résolu à “tout quitter” pour accéder, après avoir franchi une muraille, à la “sombre nouveauté” d’un pays dominé par la Production auquel il s’efforce de s’intégrer avant de basculer dans une sédition aussi ambiguë que son adhésion, relance apparemment les thèmes et les stéréotypes formels de toute une littérature devenue redondante et même conventionnelle aujourd’hui, notamment par la bande dessinée. Or, l’ Epître aux Martiens échappe à ce qui est devenu conformisme par une sorte d’écart originel.

    Il est beaucoup question, dans ce livre d’avant mai 68, de “révolution”. Hélas (ou tant mieux ?) Jean-Marc Lovay n’a jamais été un révolutionnaire bien sérieux. Son Julot nous évoque plutôt le Moravagine de Cendrars ou les individualistes “allumés” de Zamiatine, pour ne pas citer le futur “suicidé de la société” qu’incarne le poète Maïakovski, jamais adapté à la mécanique sociale. Le regard de Lovay sur la société des années 60 est évidemment d’un môme occidental, mais une espèce de vieux fonds terrien et sauvage le rapproche du Cendrars de Moravagine et de L’Homme foudroyé autant que du Farinet de Ramuz ou de son mentor Chappaz, enfin de cette Suisse sauvage qu’on retrouve, au milieu des allées peignées, chez le génial Louis Soutter ou chez le plus inquiétant Adolf Wölffli.

    Ainsi que le relevait Charles Méla, professeur de littérature médiévale à l’Université de Genève, dans un texte d’hommage pertinemment intitulé Jean-Marc Lovay ou la création hallucinée, “l’écriture de Jean-Marc Lovay fait exister un univers mental hanté par la folie, un monde de machinations fantastiques et d’agressions obsédantes dont l’exploitation est conduite avec rigueur, humour et dans une coéhrence angoissante”.

    On n’entre pas dans le labyrinthe de Jean-Marc Lovay comme dans un moulin. Pour notre part, nous y aurons mis des années. Or l’Epître aux Martiens en est une porte possible…,

    Jean-Marc Lovay. Epître aux Martiens. Editions Zoé, 125p.

  • Avatars du JE

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    1200px-Henri-Frederic_Amiel_1852.jpgEntre le chef-d’oeuvre involontaire d’un Amiel se déployant sur plus de 16'000 pages, et les épanchements d’une Anna Todd et autres ados candidats à la célébrité basculant, via le numérique, du diarisme à la diarrhée verbale, le genre oscille entre littérature de haut vol et jactance tournant à vide, jusqu’aux tweets «journaliers» du pire mufle actuel…

    Elles ou ils l’ont tous appelé «cher journal» en leur adolescence soucieuse de secrètes confidences, et c’est en somme l’enfance de l’art d’écrire, au même titre que le poème, mais aussi, et le plus souvent, le degré zéro de la littérature que le genre du journal intime. La manifestation initiale la plus immédiate, à côté des premiers billets doux, de l’expression humaine, si l’on excepte la main enduite de sang d’auroch plaquée sur les parois de la grotte originelle et signifiant plus ou moins «je marque donc je suis», ou «je tue donc j’existe», etc. 

     

    Le lundi 14 juin 1852, dans le dix-septième cahier de son Journal intime, le prof genevois Henri-Frédéric Amiel, âgé de 31 ans, note ceci à dix heures et demie du soir après s’être demandé à quoi s’est évaporée sa journée: «La journée froide, pluvieuse, inhospitalière a été lugubrement orageuse, et les arbres de la terrasse se froissent encore effarés, avec un bruit triste comme la bise de Novembre. La campagne fait le bruit d’une cataracte, sans que je puisse distinguer si c’est le vent de pluie ou la pluie et le vent qui rendent ces son mélancoliques. Le ciel est sombre et bas, la nuit ténébreuse, les catalpas gémissent, la pluie bat mes carreaux; tout cela glace, racornit. On se sent l’âme frileuse. Je songe aux pauvres marins. – Puis les paupières me cuisent et mes yeux s’appesantissent; j’ai eu un éblouissement pendant le souper: il faut songer à la retraite; ma tête est lourde. Je me suis retiré trop tard depuis plusieurs nuits. Mon chien soupire à mes pieds; la maison est déjà muette comme une tombe, et cependant il est de bonne heure. Je sens du reste que c’est de la laideur subjective; si j’étais frais, élastique et gaillard, je trouverais un charme à ce qui me paraît si désagréable maintenant. Ainsi, allons dormir». 

     

    Pauvre pompon! À peine plus de trente ans et parlant d’aller se coucher comme d’une «retraite». Tu parles d’une Bérézina en pantoufles! Et «ça» va remplir 16'847 pages jusqu’à la «retraite» définitive, le 11 mai 1881. Cependant qu’on n’aille pas se figurer que ce ton cafardeux est celui des douze volumes de plus de 1000 pages chacun de cet extraordinaire document que représente le journal intime d’Amiel. Car celui-ci ne parle pas que de ses états d’âme, comme on le lui a trop souvent reproché: tous les jours il raconte aussi son entourage proche et lointain, sa famille et les femmes qui pourraient vivifier sa solitude et qu’il n’en finira pas de ne pas choisir pour compagnes pour trente-six mille raisons, ses amis et ses collègues dont il tire le portrait, le tout-Genève de l’époque, mais aussi les bains en plein air et les immenses balades qui le conduisent autour du Salève ou sur les hauts de Montreux, et ses séjours à Paris ou Berlin, enfin son Grand Oeuvre poétique ou philosophique auquel il rêvasse en fignolant de petits poèmes ou en composant des chansons patriotiques (Roulez tambours, c’est lui !) sans se rendre compte que son nom restera dans les annales littéraires mondiales grâce à ce fichu journal qui passionnera des gens aussi différents que Tolstoï ou Gide, Sartre ou Anaïs Nin, entre autres. 

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    Dans sa préface à une anthologie des écrits d’Amiel intitulée Du journal intime, Roland Jaccard écrit ceci qui touche en outre à l’intérêt «psychanalytique» de cet immense corpus: «Si le journal d’Amiel revêt une telle importance à mes yeux, ce n’est pas uniquement pour ses qualités littéraires, mais aussi parce qu’il nous fait entendre pour la première fois dans l’histoire de l’humanité l’écho mille fois amplifié des vibrations les plus ténues d’une âme. Tempête sous un crâne ou tempête dans une tasse de thé? Toujours est-il qu’Amiel inaugure dans le champ littéraire, psychologique, un genre aussi révolutionnaire que Freud avec son auto-analyse. Il y a un avant Amiel et un après Amiel, comme il y a un avant Freud et un après Freud». 

    L’innocence perdue du «cher journal» 

    Ce qu’il faut relever, alors, qui distingue le Journal intime d’Amiel des journaux d’écrivains de son temps (de Stendhal à Dostoïevski, notamment), c’est qu’il est écrit sans intention prochaine de publication, en toute innocence. Par rapport à la vie privée, aux relations sociales ou à la sexualité, Amiel vit dans une société où, calvinisme oblige, la réserve, le secret, la discrétion ou la pudeur restent de mise. 

    Puceau jusqu’à 39 ans («J’ai eu pour la première fois une bonne fortune, et franchement, à côté de ce que l’imagination se figure ou se promet, c’est peu de chose», note-t-il le 6 octobre 1860), il se confie certes, en la matière, à son cher journal, détaillant volontiers ses moindres maux physiques et se contentant d’une croix dans la marge quand une fois de plus il a cédé à l’abominable (!) vice solitaire, mais il semble impensable que de telles pages apparaissent sous les yeux de ses amis pions ou pasteurs, sans parler de ses frangines ou de ses amies aux bas souvent bleus… 

    Or cette transparence privée, si l’on ose dire, fait précisément le prix du journal d’Amiel, qui pousse évidemment plus loin l’auto-examen ou le tableau du monde que dans les milliers de journaux intimes de la même époque (on sait que, dans la tribu du seul Tolstoï, toutes et tous se confiaient tous les jours à leur «cher journal»), et avant la progressive levée des secrets et le glissement dans un prétendu tout-dire non dénué d'ambiguïtés ou d’équivoques, tandis que la notion d’intimité se volatilisait et que «vrais» et «faux» journaux brouillaient toutes les pistes. 

     Une expérience révélatrice par l’absurde… 

     Mais comment alors distinguer le «vrai» journal du «faux»? 

    On le peut en lisant attentivement le dernier numéro de la revue Les Moments littéraires rassemblant, sous le titre décoratif de Feuilles d’automne, les extraits de journaux plus ou moins intimes de vingt-quatre écrivains français plus ou moins connus (de Pierre Bergounioux à Annie Ernaux, ou de Colette Fellous à Charles Juliet, etc.) tous rédigés entre le 23 et le 29 octobre 2017. 

    L’initiative de Gilbert Moreau, directeur de la revue, est intéressante surtout au second degré, dans la mesure où sa «commande», relevant de l’artifice, aboutit à une collection de pages de journaux plus ou moins faites pour l’occasion, où le caractère proprement intime de ces pages se module ou se limite en fonction de la publication annoncée – et ce n’est pas tel détail relatif au dernier orgasme de Dominique Noguez qui va lester la démarche de celui-ci de plus de «vérité»…

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    Particulièrement honnête, le traducteur René de Ceccaty (qui vient de signer une très belle nouvelle version de L’Enfer de Dante), précise d’emblée que les pages qu’il livre ici ne sont pas «arrachées» du journal intime qu’il tient depuis vingt-quatre ans, que la seule idée d’une publication détournerait de sa vocation magique d’«automédication». Or, tenant compte de ce caractère fabriqué du recueil, l’on verra mieux combien le genre du journal, sans l’élan de la fiction ou les métamorphoses de la poésie – ou sans le drame personnel d’un Barbellion dans son Journal d’un homme déçu – peut dévoiler la platitude, les vanités papelardes, les poses ou les manières d’écrivains se regardant écrire, ou comment le furet de la littérature vivante, jouant d’humour ou de pointes originales, se faufile entre les lignes et nous réjouit dans la lignée de l’inépuisable Journal de Jules Renard. L’intimité avilie et le dernier flirt d’Amiel À voir le succès mondial des séries de carnets manufacturés, marqués Moleskine ou Paperblanks, pour ne citer que les plus connus, la pratique du «cher journal» ne semble pas encore en voie d’extinction, qu’il soit intime ou «extime», mais un nouveau phénomène est apparu depuis quelques années avec l’extension exponentielle de l’Internet et des réseaux sociaux, et c’est le journal personnel «en ligne» qui fait de chacune et chacun, sous forme directe ou vaguement romancée, un écrivain potentiellement aussi «vendeur» que l’inénarrable Anna Todd. 

    Du diarisme à la diarrhée

     

    interview-anna-todd-son-nouveau-livre-landon-ses-projets-et-harry-styles-elle-nous-dit-tout.jpgDe fait c’est bel et bien, à la base, le journal intime d’une pécore américaine impatiente de se «faire» le bad boy de son collège, que représente After, premier des sex-sellers en six volumes que la donzelle a commencé d’écrire sur son smartphone. Or l’exemple de cette «réussite absolue» a fait florès au point que le diarisme ordinaire se fait désormais diarrhée numérique dépassant les milliers de pages du pauvre Amiel, tandis que le pire mufle de nos jours rédige ses «journaliers» à coups de tweets… Mais c’est avec celui-ci que cette chronique intimiste aimerait conclure dans le cercle magique de la fiction, en annonçant une nouvelle bonne pour la tête et le cœur, à savoir la parution, en septembre prochain, d’un petit livre délectable, intitulé «Les derniers jours» d’Henri-Frédéric Amiel et signé Roland Jaccard, où notre ami chroniqueur, déjà connu pour ses propres tranches de journaux intimes (Un jeune homme triste, Journal d’un homme perdu, Flirt en hiver, Journal d’un oisif, etc.) se met dans la peau d’Amiel pour évoquer, non sans fine mélancolie et avec l’acuité sensible et l’écriture incisive d’un Benjamin Constant, ses amours intensément pusillanimes pour une certaine Louise suivie d’une certaine Marie... 

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     «Elle ne pouvait pas se passer de moi et à cette seule idée l’envie me prenait de fuir», soupire l’Amiel de ce bijou romanesque en écho à tant de pages du Journal intime, et l’on sourit en vertu de la «loi de l’ironie» qui colorait ses journées d’adorable raseur…