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  • Un ange passe

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    À propos de L’Alphabet des anges de Xochitl Borel, prix du roman des Romands et de Lettres-Frontières.


    1. En commençant par le début
    En préambule à ce premier livre singulier d’une jeune romancière à l’insolite prénom à consonance précolombienne, l’écrivain Blaise Hofmann, qu’on sait proche de la nature et des bêtes, évoque une « ode à la vie instinctive » à lire comme un poème en prose à valeur de « fable végétale », et l’exergue de Xochitl Borel en rajoute en proclamant que « les animaux c’est l’oral , les plantes c’est l’écrit ».
    Est-ce dire qu’on va se la jouer New Age, retour à la racine et culte de Gaïa ? Non : c’est autre chose. D’ailleurs « vous qui entrez, pourrait-on dire par manière de parodie, laissez là toute référence ».
    Et pourtant il y a bien de ça dans L’Alphabet des anges : c’est bien de retour à l’élémentaire ressenti et au plus simple, au plus spontané de l’éclosion des mots et du sens, du poids des mots et de leur aura qu’il s’agit dans ce livre de tous les débuts.


    2. Attention : chute d’anges


    Au commencement était la déchirure, et cela peut s’entendre de diverses façons. On tombe du ciel par une faille de celui-ci, après une première saison au paradis où des fluides, des fleurs et de lointaines voix nous berçaient comme dans un jardin suspendu, et tout à coup patatras : la terre est plus basse qu’on aurait cru et d’en bas le ciel aussi a l’air malade, on se sent déchu de quelque chose sans trop savoir de quoi, en tout cas ça fait mal, on constate qu’un père hier si sûr est aussi « noir » aujourd’hui de maladie, on n’en saura pas plus mais cela semble faire partie de « la vie », ainsi qu’on le dit: « C’est la vie », et que dire de plus ?
    Et d’autres expressions toutes faites seront à disposition quand, en dépit de son sentiment, de l’idée qu’on pourrait « le garder », on conviendra qu’il est plus raisonnable de le faire « passer », sans trop préciser de quoi il s’agit.
    Mais vous avez deviné, n’est-ce pas ? Vous avez compris que cette naissance annoncée n’est pas « adéquate » en ces circonstances, et qu’en conséquence il va s’agir, ainsi que l’édicte le père qui-a-les-pieds-sur-terre en dépit de sa maladie, de « faire le nécessaire »…


    3. Le sens et son double


    On reconnaît un véritable écrivain, ou ce qu’on appelle un poète, à son rapport particulier avec les mots. De même qu’un romancier aime les phrases, un poète aime aller au fond des mots, si l’on peut dire, pour mieux faire le tour des choses.
    Or un autre personnage entretient, avec les mots, un rapport d’une égale densité, et c’est l’enfant découvrant les choses à travers les mots, ceux qui font mal et ceux qui consolent, ceux qui ne veulent encore rien dire, avant même que l’enfant ne paraisse puisque des mots décident déjà de son sort en affirmant qu’on va le faire passer et que pour cela l’on recourra à la faiseuse d’anges, et l’on resterait alors sans voix si le roman n’avait une autre histoire à raconter.


    4. À la case réel.


    Une difficulté, pour un romancier qui serait à la fois un poète, tient à la conciliation des éléments narratifs se rapportant à la réalité triviale, sans jugement de valeur portée sur celle-ci, avec un langage plutôt imagé et symbolique qu’on pourrait dire poétique, sans que l’écrivain ne « poétise » pour autant. Il est évident qu’il y a de le poésie dans le réel même, et parfois le plus ordinaire, mais comment l’exprimer sans emphase ni préciosité ?
    De cet équilibre difficile à tenir, L’Alphabet des anges se joue d’une façon à la fois ingénue et naturelle, en combinant un ancrage très précis dans le réel d’une situation dénuée de poésie – l’avortement ne porte guère au lyrisme, n’est-ce pas – que prolongent cependant des images suggestives (la polysémie des aiguilles) ou des échos émotionnels relevant de l’affectivité.
    « Au niveau du réel », comme on dit, le récit, même elliptique, reste tout à fait linéaire et intelligible, mais tout un non-dit s’exprime alors, précisément, par des cristallisations verbales relevant de la poésie dégagée de l’anecdote et nous communiquant des sentiments qui nous associent à ce que vivent les personnages du roman.


    5. Quand la vie s’accroche


    L’Alphabet des anges est le roman de la vie plus forte que la mort, dont une plante vivace est le symbole végétal fixé par le prénom d’Aneth, l’enfant-ange arraché au néant.
    Une question triviale salue ce miracle incarné : « Pardon, mais c’est à vous ça ? », qui introduit à la fois le personnage dont on pourrait craindre qu’il ne comprenne rien à « ça », malgré sa qualité de spécialiste de la psychologie enfantine, et la sauvageonne Aneth qui, contre toute attente, va nouer avec lui une relation complice et le révéler pour ainsi dire à lui-même, comme il en va d’ailleurs de tous les personnages du roman, qui déjouent le constat posé par une autre question : « Est-il possible que l’on soit à ce point tous des inconnus ? »
    Tout à fait pénétrante, alors, et combien généreuse, est l’observation de la romancière montrant non pas l’opposition irréductible, qui serait dogmatique, entre la « science » du psychologue et la vie instinctive, et parfois « géniale», de la petite Aneth, mais la possible rencontre de deux individus qui se frottent l’un à l’autre, parfois avec des étincelles, et s’apprivoisent, comme Soledad et Anne s’apprivoisent en « personnes adultes », se confient l’une à l’autre et se vivifient mutuellement.


    6. Le chant du monde


    Il y a le poids du monde et son contraire : le chant du monde.
    Du côté de la nécessité, tout pèse, et le premier roman de Xochitl Borel n’en fait pas l’économie, évoquant diverses situations confinant à la tragédie intime, dont un inceste sordide dévoilé de manière inattendue. Mais là encore la vie semble à tout coup plus forte, et la beauté du monde, invisible à certains yeux plombés par l’insensibilité, peut se percevoir encore par une enfant frappée de cécité, comme on le découvre à la fin du roman.
    À fines touches et pour chaque personnage, Xochitl Borel trouve les mots justes, révélateurs, parfois effrayants de prosaïsme (« une bonne chose de faite », dira-t-on après l’avortement), ou joueurs et folâtres dans la bouche facétieuse de l’enfant.
    Le chant du monde pourrait n’être qu’un embellissement artificiel relevant du maquillage « positif ». mais la vraie poésie trouve de la beauté partout, ou de la drôlerie, du comique ou de l’émotion, et « tout ça » fonde le sentiment que cet Alphabet des anges dit vrai.


    7. Du noyau et de la papatte.


    La qualité d’un écrivain se distingue à mes yeux, et quelle que soit la dimension et l’amplitude de son talent, par deux composantes que je dirai, d’une part, son noyau – on pourrait dire son âme -, et d’autre part sa patte, son style, son ton unique, le « petite musique » dont parlait Céline ou ce qu’on pourrait dire familièrement la papatte.
    Xochitl Borel me semble de ceux qui, dans sa génération, plutôt rares à vrai dire en nos contrées, ont à la fois l’un et l’autre : le noyau et la papatte.
    Son premier roman est un vrai premier livre, avec ses qualités d’originalité et de sérieux, de fraîcheur et de gravité, d’empathie et d’utopie au meilleur sens du terme, mais aussi sa naïveté, sa fragilité et ses limites.
    Le très bon accueil que L’Alphabet des anges a reçu du public, et notamment des jeunes lecteurs de ce pays qui l’ont plébiscité à l’enseigne du Roman des Romands, n’a rien d’artificiel ou de complaisant, ni moins encore d’étonnant, dans la mesure où son approche de situations délicates ou difficiles (en deux mots : l’avortement et le handicap) relève d’une honnêteté foncière rompant autant avec le langage des spécialistes qu’avec les bons sentiments convenus.
    Comme sa protagoniste Soledad, Xochitl Borel en appelle plus à l’instinct qu’au discours assuré, à la sensibilité intuitive plus qu’au savoir dogmatique. De surcroît il y a de la beauté dans le monde qu’elle montre, de la noblesse dans ses personnages, de l’humour et de la gaieté dans sa façon de dire « tout ça », nous faisant pressentir et espérer d’autres merveilles…


    Xochitl Borel. L’Alphabet des anges. Editions de L’Aire, collection Alcantara, 130p. 2014.

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  • La Fée Valse

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    Entrée de jeu

     

    Ce ne serait pas un recueil de fantasmes éculés mais une féerie.

    Eros y jouerait volontiers, au sens le plus large et comme dans un rêve où la chair est tellement plus réelle - comme dans un poème dont le verbe exulterait. En outre, s'agissant bel et bien de ce qu'on appelle La Chose, il y aurait le rire qu'elle appelle et par la surprise jouissive de son irruption, et par son incongruité.

    Quelle chose en effet plus étonnante et plus saugrenue pour le tout jeune garçon que de bander pour la première fois ! Donc ce rire serait joyeusement interloqué, pouffant comme chez la toute jeune fille au premier poil, touffu comme une motte ou un buisson, jailli comme un lézard de son muret ou comme un nichon de son balconnet, clair comme le mot clair.

    Car ce serait avant tout une affaire de mots que ce livre de baise au sens très large, je dirais: rabelaisien, mais sans rien de la gauloiserie égrillarde trop souvent liée à ce qualificatif. Rabelais est trop immensément vivant et aimant en son verbe pour être réduit à ce queutard soulevant rioules et ricanements dans les cafés et les dortoirs. Rabelais est le premier saint poète de la langue française, qui ne bandera plus d'aussi pure façon jusqu'à Céline, le terrible Ferdine. Et Sade là-dedans ? Non: il y a trop de Dieu catholique chez Sade, trop méchant de surcroît à mon goût.

    J'ai bien écrit: à mon goût, et j'entends qu'on souffre ici que je me tienne à mon goût, bon ou mauvais, lequel se retrouve au reste dans toute la Nature, qui jouit et se rit de tout.

    Serait-ce alors un livre seulement hédoniste que La Fée Valse ? Certes pas, et moins encore au sens actuel d'un banal bonheur balnéaire. Je voudrais ainsi ce livre joyeux et grave, allègre et pensif, tendre et mélancolique, sérieux et ludique au sens du jeu le plus varié - et quoi de plus sérieux et grave que le jeu de l'enfant ?

    L'érotisme de l'enfance est plein de mystère échappant aux sales pattes de l'adulte. La pureté de l'enfant échappe encore à toute mauvaise conscience, dans le vert paradis de la chair innocente que retrouve la mère-grand des contes quand elle parle de source.

    La Fée Valse découlerait de la même recherche d'une pureté sans âge dégagée des corsets de la morale, sans obsession ni provocation criseuse, lâchée dans ses cabrioles matinales et vivant ensuite au gré des journées, de la jeune baise aux vieux baisers, sans cesser de rire ni de sourire à la bonne vie.

    (Ce texte constitue le préambule de La Fée Valse, recueil onirico-érotico-satirico-poétique paru le 24 février 2017. Vernissage le 31 mars au Café littéraire de Vevey)

  • Human touch

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    …Quel accord viendra d’être né ? se demandait je ne sais quel nuancier de bar entre deux blues, qu’arrive-t-il après la musique et les yeux perdus dans la fumée ? qui nous attend sur le seuil noctambule où le spleen se dilue dans le noir miroir du Steinway - delta de nos mains sur l’ivoire et le sang pulse et le riff déchire, mais après ? quand tout se tait ? quel accord plus parfait de s’être brisé sur le clavier nous restera ? qui nous précédait...

     

    Image: Philip Seelen.

  • Pour tout dire (94)

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    À propos de la grossière attaque de Donald Trump contre les médias et ce qu'elle révèle. Ce que dit Noam Chomsky de la propagande médiatique des States dans La Fabrication du consentement et avec quelle hideuse satisfaction la liquidation de L'Hebdo a été accueillie par d'aucuns en nos contrées...


    La première question , et combien légitime, qu'on a pu se poser en assistant au tir de barrage hystérique voire délirant, du nouvel Ubu de La Maison-Blanche, contre les médias américains, visait la santé mentale de ce gesticulant fantoche à gestuelle de télévangéliste moralisant, dont l'effet de sidération à "fait le tour du monde", comme on dit.

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    Or ce monologue haineux, visant les prétendus mensonges des médias, a été salué publiquement comme une salubre manifestation de vérité vraie par un personnage peu connu du public européen mais archi-célèbre aux States, du nom de Rush Limbaugh, animateur vedette de radio et de télé qui fut le roquet “pensant" préféré de Ronald Reagan et figure la pointe la plus venimeuse de la "pensée " ultra-conservatrice du parti républicain.226px-Rush-limbaugh.jpg


    Au premier regard, il pourrait sembler paradoxal que cet homme de médias richissime, idéologue d'extrême-droite au même titre que le médiacrate milliardaire Steve Bannon, salue le contempteur suprême des médias supposés aux ordres du grand capital contre le vrai peuple. Ce n'est plus l'hôpital qui se moque de la charité: c'est le marchand d'armes monté en chaire au nom du Seigneur des armées pour faire le procès de la guerre !

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    La question du mensonge des médias dépasse évidemment l'opposition binaire des contempteurs et des laudateurs de Trump, ancrée qu'elle est dans une guerre idéologique dont la propagande directe, emballée dans le chatoyant discours indirect de la publicité, est l'une des meilleures armes de ce qu'on appelle la persuasion clandestine.
    Il n'est pas besoin de lire Machiavel pour se convaincre que le mensonge est constitutif de toute gouvernance, et l'on laissera donc la morale au vestiaire.


    C'est ce que fait, sans cynisme aucun, un Noam Chomsky dans son essai consacré à La fabrication du consentement, où il pointe le mensonge des médias américains dominants, au XXe siècle et jusqu'à ce matin, dans leur effort de servir la propagande politique et économique des States déclarés maîtres du monde, et plus "légitimement " que jamais après l'effondrement du communisme, dépositaires de la seule vraie foi démocratique en face du nouveau Satan islamiste, etc.
    Donald Trump dit tout haut ce que les Républicains pensent tout bas, avec la même hypocrisie moralisante qui fait la partie adverse fermer les yeux sur les mensonges des démocrates, les drones d'Obama et le chaos entretenu par la politique étrangère des States dans le monde entier et sous tous les Présidents alternés, du Vietnam à l’Irak et du Nicaragua à la Syrie.

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    Alors quoi, tous pourris et vive l'altermondialisme et la permaculture ? Si seulement! Enfin je pourrais retourner à mon jardin de Candide et cultiver mes simples, mais justement ce serait trop simple, donc j'essaie de rester à l'écoute et attentif à toutes les voix.


    images-9.jpegCelle d’un grand dissident à la Chomsky, naturellement taxé de "complotisme ", ou plus près de nous celle de mon ami Jean le fou, alias Ziegler, présumé "traître à la patrie" aux yeux de nos moralistes de droite, m'intéressent en cela qu'elles rompent avec le discours dominant de l'Empire, comme les voix même parfois contradictoires des dissidents soviétiques (Soljenitsyne si différent d'un Zinoviev...) rompaient avec le mensonge d'Etat du Kremlin, évidemment perpétué de nos jours par le tsar ploutocrate Poutine.


    Le TOUT DIRE de la politique implique le mensonge, et l'une des fonction de l'écrivain, plus encore du poète, est de démêler le vrai du faux "en situation" comme s'y emploie un Shakespeare sans qu'on puisse dire jamais de quel clan politique ou religieux il est le propagandiste, tant il est vrai que son verbe n'est jamais asservi à aucun pouvoir humain ou divin de manière univoque.

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    Reste enfin que l'image du gueulard lustré de la Maison- Blanche est révélateur d'autre chose, que nous avons pu observer près de chez nous à l'annonce de la disparition de L'Hebdo, à savoir: la basse satisfaction de ceux que tout début de débat dérange et que la stupidité du milliardaire de la Maison-Blanche, somme toute, conforte en leur bunker sécurisé.

    Noam Chomsky. La Fabrication du consentement. Agone.
    Noam Chiomsky. De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis. Agone, 2017.

    Jean Ziegler. Chemins d’espérance. Seuil, 2016.

  • Ceux qui signent leurs déchets

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    Celui qui recycle ses déchets pour en faire des poèmes / Celle qui se lance dans la permaculture de niche / Ceux qui mettent de l'eau de côté au cas où / Celui qu'on dit écocentrique / Celle qui se spécialise dans l'ortieculture de centre gauche / Ceux qui carburent au carbone 14 / Celui qui estime qu'en Suisse le nucléaire n'a rien à voir / Celle qui estime que l'avenir de demain sera pour plus tard / Ceux qui rêvent d'un tiers monde meilleur / Celui qui dénonce l'effet de serre des fonds vautours / Celle qui dort avec son vélo pour montrer l'exemple / Ceux qui se douchent à l'eau de pluie acide / Celui que refroidit la seule idée du réchauffement climatique / Celle qui enlève le haut pour chauffer le bas / Ceux qui peignent la girafe en vert / Celui qui trouve un émir du Qatar dans ses déchets carnés / Celle qui prône la déforestation pour que les Indiens voient la mer / Ceux qui investissent dans la transparence / Celui qui te demande ce que tu as à cacher à tes 3999 amis FB / Celle qui compte ses pas sur la route du Bonheur / Ceux qui exigent de savoir comment les élus le font / Celui qui considère que la vie privée relève de la gestion citoyenne / Celle qui milite pour la monétisation des données personnelles / Ceux qui modélisent le chaos des rêves non citoyens pour les traiter selon les nouveaux codes / Celui qui n'engage plus que des opérateurs ouverts / Celle dont la confession publique sent le renfermé mais ça se soigne lui dit Ruquier le transparent / Ceux qu'on voit se gratter pendant les réus filmées sur le Réseau / Celui qui envoie un message négatif aux violeurs de Boko Haram et gagne aussitôt 7 rangs dans son évaluation matinale des Bonnes Personnes / Celle qui envoie des emoticônes aux sourcils froncés aux violeurs de tous pays et qu'ils se le tiennent pour dit / Ceux qui transforment les déchets en statistiques imprimées sur papier recyclable en compost / Celui qui oublie d'éteindre sa webcam alors qu'une pensée inappropriée lui vient à son corps plus ou moins défendant / Celle qui rêve d'une île de déchets flottants au milieu d'un océan de spiritualité recyclée / Ceux qui revoient le taux de conversion à la hausse vu que les déchets sont aussi soumis aux lois du marché en attendant la sortie du nucléaire jouxtant l'entrée des intermittents du Business-Show, etc.

  • La gueule de Cendrars

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    Le regard de Doisneau
    La figure de Blaise Cendrars relève de la légende voire du mythe, pour ne pas dire du folklore littéraire (l’écrivain-bourlingueur, n’est-ce pas), au point que souvent ledit cliché risque d’occulter l’œuvre, rééditée chez Denoël dans une formule qui peut se discuter (l’appareil critique en est vraiment élémentaire) mais au moins accessible dans les grandes largeurs. Or le temps pourrait bien être venu de faire retour à Cendrars, à la fois au poète et au rhapsode en prose, à l’inventeur de formes et au mystificateur mystique reconstruisant le monde au fil d’un voyage essentiellement imaginaire et verbal, mais à partir d’un substrat d’expériences et de rencontres, de choses vues et vécues, d’objets trimballés ou contemplés qui donnent une épaisseur particulière à sa transposition poétique. Revenir à la Prose du Transsibérien ou aux Pâques à New York, à Moravagine ou à L’homme foudroyé, à Dan Yack ou au Lotissement du ciel : voyage fabuleux en perspective, avec un écrivain qui fut à la fois un grand vivant et un érudit lettré, un être simple et complexe dont la gueule seule nous raconte des tas d’histoires…
    La gueule de Cendrars, les mains du manchot (la droite se devine comme un bout d'aile invisible…), sa façon de se tenir, les gens avec lesquels il fraie, Cendrars fumant sa clope derrière un cactus, à sa table, à côté du bois pour l’hiver, avec un groupe de gamins gitans, dans une rue d’Aix-en-Provence, au soleil, dans la pénombre de la pauvre cuisine où il écrit dans une doublure de manteau à l’air de vieux sac : telles sont les images du poète que le jeune Doisneau, qui n’avait pas encore de nom, a fixées lors d’une première rencontre en Provence qui allait se prolonger, en 1949, avec un livre évoquant La banlieue de Paris, initialement paru à lausanne à l’enseigne de la Guilde du Livre.
    C’est une bien belle idée que de réunir ces photos de Doisneau, entre autres documents (lettres manuscrites, coupures de presse, chronologies des deux compères, planches des « contacts » originaux) dans ce superbe album, avec un commentaire liminaire de la fille du poète, Miriam Cendrars, qui « raconte » la rencontre de Cendrars et Doisneau (en octobre 1945) et détaille ce que chaque photo « raconte » elle aussi. Dans une évocation complémentaire de Doisneau la malice, Jérôme Camilly cite son ami photographe lui parlant de Cendrars : « Il avait un tel poids humain qu’il pouvait s’adresser à n’importe qui ». Cela même que disait aussi Henry Miller, juste avant de rappeler que chez Cendrars ce poids humain allait de pair avec la légèreté et le souffle de l’ange, Cendrars supervivant et poète…
    Doisneau rencontre Cendrars. Buchet-Chastel, 119p.
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