À propos d’un atroce incendie criminel, en terre vaudoise, qui a coûté la vie à vingt-quatre chevaux et poneys. Un drame possiblement révélateur de divers aspects de la folie ordinaire…
Chroniques de La Désirade (32)
Ce qui vient de se passer à côté de chez nous, dans la Broye chère à Jacques Chessex, à savoir l'incendie criminel dans les flammes duquel vingt-quatre chevaux et poneys ont trouvé une mort affreuse, pourrait ne relever que du fait divers, et c'est comme ça qu'il a été traité jusque-là par les journaux locaux, alors qu'il me semble extraordinairement révélateur.
Mais extraordinaire en quoi ?
La mort de vingt-quatre équidés brûlés vifs dans leurs paddocks ? Certes de quoi révolter et accabler de tristesse toute personne sensible, faire enrager les propriétaires et sangloter les enfants soudain privés de leurs poneys aux noms adorables ; mais enfin ce n'étaient que des bêtes, rétorqueront les gens qui ont les pieds sut terre, et ça se remplace, et les assurances assureront comme on dit ! Quoi d’extraordinaire là-dedans ?
Et quoi de plus ordinaire, aussi, que la lettre de lecteur de ce citoyen Lambda, dans le quotidien 24 Heures, qui s'indigne justement de ces actes « abjects » et pointe aussitôt les probables coupables: ces gens qui glandent (sic) autour de nous, ces jaloux de nos jolies maisons et de leurs gazons, ces envieux des riches - pas besoin de les nommer mais on a compris : tous les chemins mènent aux Roms et compagnie, tas de basanés et autres migrants fainéants !
Et la lettre de cet indigné qui parle au nom de ceux qui ont travaillé toute leur vie à la sueur de leur front et bénéficie lui-même, probablement, d'une retraite bien méritée - cette lettre de délateur très ordinaire passe dans le courrier des lecteurs de 24 Heures mieux qu'à la poste ! Bien sûr on n'est pas au pays du petit Gregory, mais la rumeur n'a pas de frontières…
Cependant l'extraordinaire est aussi ailleurs, puisque dans le même quotidien publiant la lettre du citoyen Lambda paraît une interview d'un jeune homme bien sous tous rapports, un beau gaillard de chez nous, pompier volontaire et palefrenier à l’Institut équestre national d’Avenches, qui aime donc les chevaux autant qu’il sait ce qu’est le feu, même qu'il a bondi sur les lieux de l'incendie quand il en a été averti, dit-il crânement ; même qu'il a participé au sauvetage au péril de sa vie et qu'il se sent « vide » après tout ça, mais il fallait qu'il le dise, il fallait qu’il crie haut et fort que « celui qui a fait ça n’a pas de cœur » !
Or le plus extraordinaire, on l'aura deviné, et qui n'étonnera pas forcément notre citoyen Lambda jamais en mal de boucs émissaires ( ce sera sûrement un drogué ou peut-être un pédé, en tout cas un fêlé qui regarde trop de séries télé!), c'est que notre vaillant sauveteur et le suspect arrêté ne font qu'un, dont nous ne pouvons communiquer le nom en l'état de l'enquête vu qu’il y a encore doute faute de preuves, mais toute la lumière sera faite, etc.
En attendant voyons l'aspect le plus ordinaire de cette folie soudain déchaînée, au moment d'apprendre, par le patron de l’institut équestre sinistré, que le (supposé) jeune pompier incendiaire, qu’il ne connaissait d’ailleurs même pas personnellement, ne cherchait probablement que la reconnaissance de ses employés et son estime.
Et qui pourrait lui jeter la pierre ? N’avons-nous pas tous besoin de reconnaissance ? Est-il tellement extraordinaire, au temps de la Star Ac et d’Andres Breivik, de tous les quarts d’heure de célébrité fantasmés et des bombardements humanitaires, qu’un sapeur pompier ami des chevaux se précipite à la rescousse de ceux-ci en apprenant qu’un incendie les menace, après qu’il aurait lui-même bouté le feu ? Quoi de plus ordinaire que la folie schizophrène d’un pompier pyromane ?
Mais si, par extraordinaire, ce jeune homme n’y était pour rien ? Si la rumeur qui en a fait le Suspect No 1 n’avait fait qu’inventer un autre bouc émissaire ?