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Pour tout dire (93)

 

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À propos de l'outrecuidance des nouveaux maîtres du monde. De l'impériale vanité fondée sur le vide. Comment le livre résiste à la fuite en avant. Du bon usage de Michel Houellebecq.

Les faits et gestes du nouveau Président américain et de son proche entourage sont intéressants et significatifs d’une nouvelle forme de muflerie, qu'il ne suffit pas de brocarder ou de tourner en dérision. De fait, l'outrecuidance qu'ils manifestent, de façon tout à fait originale en ce qui concerne le Président lui-même, accro comme un ado criseux à son smartphone et se servant de Twitter comme un Néron de cartoon, et l'extraordinaire culot des nouveaux bateleurs de la Maison-Blanche ne se distinguent guère, pourtant, de la goujaterie d'un Berlusconi ou de la forfanterie d'un Poutine. Au reste, cette outrecuidance est vieille comme le monde, mais sa particularité actuelle est d'apparaître sans masque en temps réel dans le monde entier, et de prétendre manipuler les données objectives à sa guise. À cet égard, l'arnaque relative aux "faits alternatifs", vieille comme toute idéologie et toute propagande faisant passer les désirs du Pouvoir pour la réalité, revêt des "habits neufs" avec la clique animant le Reality Show le plus sidérant du moment.
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D'aucuns prétendent, notamment dans une certaine gauche radicale, que Donald Trump ne diffère en rien de ses prédécesseurs, et plus particulièrement d'un Barack Obama angélisé à outrance. D'autres, diabolisant au contraire Obama, assimilent toute critique de Trump à de l'hystérie. En la matière, la logique binaire règne dans les médias et sur les réseaux sociaux, où tout le monde il est Charlie ou facho, point barre.
Mais est-il sensé de coller une petite moustache hitlérienne à Donald Trump ? Sûrement pas, dans la mesure où la situation des States et du monde actuel est un peu (!) différente de ce qu'elle était dans les années dites de la "montée de périls". De la même façon , parler de Trump comme d'un nouveau Néron semble non moins prématuré...
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Cela étant, le rejet de l'étranger, le mépris de tout ce qui pense autrement que soi, le mélange des genres éhonté et revendiqué comme tel, l'inculture érigée en qualité, la vulgarité machiste et l'hypocrisie “appropriée " ne sont pas moins inquiétants que tant de "vieux démons" réactionnaires ou révolutionnaires - et l'on remarque à ce propos que l'hyper-réac Steve Bannon se réclame à la fois de l'esthétique nazie d'une Leni Riefenstahl et de l'anti-parlementarisme d'un Lénine...
L'observation du feuilleton en train de se jouer à vue à la Maison-Blanche est également intéressante dans la mesure où cette "série" nous parle, aussi, de notre monde et de nous- mêmes. Nous sommes en effet partie prenante de cette réalité à la fois effrayante et riche de merveilles. Je ne parle pas d'une bonne posture politique, contre une mauvaise position, mais du TOUT DIRE de notre réalité dont l'idéologie et la politique, le simulacre de religion et la propagande consumériste ne sont que des aspects.

L'outrecuidance d'un Trump ou d'un Poutine nous cachent la Russie des gens et l'Amérique réelle, mais elle nous aide aussi à voir en face le "gros animal" de la société dont parlait Platon, aiguisant notre lucidité.
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Or que faire de la lucidité ? Je me posais la question ces derniers jours en lisant le remarquable Cahier de L’Herne consacré à Michel Houellebecq, lequel a senti, jusqu'à en désespérer, le côté perdu de l'homo novus occidental, à vrai dire mondialisé.
Houellebecq a senti, mieux que personne, que le ricanement des "élites" et la culture de la dérision, dont l'esprit Charlie est un des avatars, ne sont pas de bonnes réponses à la fuite en avant du monde continuant sa course au prétendu progrès et à la prétendue réussite. Dans un très bel hommage à son pair, Emmanuel Carrère, autre écrivain français rompant avec le ronron littéraire , dit clairement en quoi Houellebecq nous éclaire, dans son observation hyper-réaliste du Supermarché mondial, mais en quoi aussi sa désespérance lui masque les forces vives, agissantes et réagissantes, qui résistent au nivellement général et à la crétinisation des meutes.
Or j'en reviens à ce qu'écrivait Houellebecq il y a vingt ans de ça dans ses Approches du désarroi (in Interventions, Flammarion 1998) qui me semble un élément de réponse possible au décervelage via Twitter à quoi s'applique le nouveau Président des States, par delà la caricature et l'esprit de dérision, dans un appel à la lenteur qui sauvera nos âmes:
“Contrairement à la musique, contrairement à la peinture, contrairement aussi au cinéma, la littérature peut absorber et digérer des quantités illimitées de dérision et d’humour. Les dangers qui la menacent aujourd’hui n’ont rien avoir avec ceux qui ont menacé, parfois détruit les autres arts, ils tiennent beaucoup plus à l’accélération des perceptions et des sensations qui caractérise la logique de l’hypermarché. Un livre en effet ne peut être apprécié que lentement; il implique une réflexion (non surtout dans le sens d’efforts intellectuels, mais dans celui de retour en arrière); il n’y a pas de lecture sans arrêt, sans mouvement inverse, sans relecture. Chose impossible et absurde dans un monde où tout évolue, tout fluctue, où rien n’a de validité permanente: ni les règles, ni les choses, ni les êtres. De toutes ses forces (qui furent grandes), la littérature s’oppose à la notion d’actualité permanente, de perpétuel présent. Les livres appellent des lecteurs; mais ces lecteurs doivent avoir une existence individuelle et stable: ils ne peuvent être de purs consommateurs, de purs fantômes; ils doivent être aussi, en quelque manière, des sujets.
Minés par la hantise du politically correct, éberlués par un flot de pseudo-informations qui leur donnent l’illusion d’une modification permanente des catégories de l’existence (on ne peut peut plus penser ce qui était pensé il y a dix, cent ou mille ans), les Occidentaux contemporains ne parviennent plus à être des lecteurs; ils ne parviennent plus à satisfaire cette humble demande d’un livre posé devant eux: être simplement des êtres humains, pensant et ressentant par eux-mêmes.”
Bien entendu, ce dernier constat catastrophiste est exagéré, relevant de la propension de Michel Houellebecq à se poser en prophète délivrant Sa Vérité au monde. Cependant il y a souvent du vrai dans ses observations malgré sa façon de pratiquer la généralisation abusive ou le paradoxe provocant, non sans grain de sel...

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