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Pour tout dire (28)

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À propos des éclats au niveau du couple et autres formes de cinéma. Amos Oz à l'Hyper U et La nuit des conteurs selon Peter Handke. Avec un salamalec à Jacques Chessex, via Lambert Schlechter, et un clin d’œil à l’Origine du monde…


Je me suis presque emporté contre Lady L., hier en milieu de journée à l'Hyper U de la région d'Agde, mais c'était du cinéma. Je lui ai fait un phone d'impatience alors qu'elle me faisait attendre depuis plus de 30 heures (mes minutes dans les grandes surfaces se multiplient en heures), mais en même temps je souriais sous cape et je n'étais plus du tout énervé quand elle m'a rejoint une dizaine d'heures plus tard avec son chariot rempli de bonnes choses dont trois sortes de Cantal.

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Le cinéma aux séquences explosives que raconte Karl Ove Knausgaard dans les pages d'Un homme amoureux consacrées à la période précédant l'arrivée de la petite Vanja, premier enfant du couple, dépend surtout des soudains éclats de Linda que tout inquiète-exaspère-angoisse, à commencer par le retard de livraison d'un landau ou par le manque de réaction de Karl Ove et de sa mère après un bref saignement qu'elle croit déjà mortel pour l'enfant ! Lady L. et moi, depuis trente-quatre ans, évitons ce genre de cinéma, après quelques éclats qui ne se sont répétés que sept fois durant trois décennies. Pour sa part, loin de se donner le beau rôle, Karl Ove décrit magnifiquement les états d'alerte fragile vécus par Linda à ce moment-là : « Un amour infini et une inquiétude infinie qui se battaient sans cesse pour la première place ».
Tout cela peut paraître d'une banalité complète, et pourtant non: jamais on n'a raconté ça comme ça, à ma connaissance, même si la littérature et le cinéma, notamment suédois, sont pleins de chuchotements criseux et d'éclats. À un moment donné de la même période, lors d'une soirée entre amis tournant au concours de sincérité autocritique où chacune et chacun se déclare la ou le pire des ratés, le prénommé Geir, ami et confident de Karl Ove, raille ce qu'écrit celui-ci en ces termes tout à fait exagérés - mais c'est le jeu: « Il a fait carrière en racontant à quel point il est nul. Des histoire plus tragiques les une que les autres. Rien que de la honte et du repentir du début à la fin ». Et tout le monde de rire...
J'ai aussi ri sous cape, hier, en voyant l'effet produit sur Lady L. par mon phone d'impatience, tant elle est toujours soucieuse de bien faire, et j'ai souri dès que, assis dans une espèce de coque en plastique blanc qu'il y avait là, j'ai commencé de lire le dernier roman d'Amos Oz que je venais d'acheter, intitulé Judas et s'ouvrant sur le portrait assez tordant d'un étudiant socialiste hyperactif et gauche au possible, à Jérusalem à la fin des années 50, qui renonce soudain à poursuivre un travail de maîtrise consacré à la place du rabbi-prophète Jésus dans la société et la tradition juives, etc.

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Retrouver Amos Oz, que j'apprécie autant pour ses livres que pour l'aura de sa personne (je l'ai rencontré deux fois et j'ai aimé sa façon amicale et très scrupuleuse, genre instituteur de kibboutz du début des années 50, de répondre à mes questions dont il appréciait visiblement lui-même qu'elles fussent soigneusement préparées) et le retrouver dans le même hall d'entrée de l'Hyper U où se tenait, pendant des années le champion cycliste Raymond Poulidor au stand de vente de ses mémoires, m'a finalement fait me réjouir des heures d'attente durant lesquelles j'ai craint que Lady L. ait peut-être été victime d'un coup de sang ou d'un coup de froid, d’un enlèvement ou d’un soudain coup de foudre avec quelque beau magasinier, etc.

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Amos Oz a le sens du comique autant que du tragique, de même que son confrère norvégien plus jeune que lui de deux générations. Dans ses romans, que ce soit par le recours à la poésie dans Seule la mer, ou par la chronique plus vaste du genre de sa mémorable Histoire d’amour et de ténèbres, Amos Oz excelle autant dans le TOUT DIRE intimiste que dans ses modulations historiques, sociales ou politiques, avec une attention vive aux détails en matière de mœurs ou d'idiosyncrasie, et ces composantes se retrouvent, entre fjords et discussions très arrosées d'aquavit, dans Un homme amoureux de Knausgaard dont là scène chorale des amis soudain pris au jeu des aveux réciproques est rapprochée par l'un d'eux de l'homérique Nuit des conteurs de Peter Handke où tout le monde se déboutonne, etc.

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L'intérêt du TOUT DIRE, en littérature, se distingue évidemment du déballage foutraque par le choix ultra-précis (fut-il ultra-instinctif) et l’agencement des thèmes et des figures, des séquences et de leur théâtralisation dialoguée, laquelle est admirablement maîtrisée par Knausgaard.


De la même façon, les fugues savamment tressées des Inévitables bifurcations de Lambert Schlechter , qui pourraient sembler d'un loufoque coq-à-l'âne à un lecteur peu attentif ou rétif au baroquisme byzantino-chinoisant de notre lutin germano-latin, découlent-elles d'une quête poétique et musicale organiquement rigoureuse, si l'on peut dire.

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Et voilà qu'hier soir je tombe, pur hasard de plus (!) ou coïncidence, comme celles qui nourrissent le journal intime de mon ami cinéaste Richard Dindo, précisément intitulé Journal des coïncidences et comptant plus de 10.000 pages rédigées en français, voilà donc que je tombe, à la page 113 des Inévitables bifurcations de l’ami Lambert, sur le nom de Jacques Chessex auquel l'autre soir j'écrivais une lettre occulte destinée à être lue le 25 septembre prochain à 300 mètres de sa tombe, en présence de Pierre Béguin, dernier lauréat du prix littéraire Édouard-Rod fondé par Maître Jacques en 1996 et dont je fus le premier bénéficiaire pour mon recueil de récits intitulé Par les temps qui courent que le même Chessex préfaça pour sa réédition française a l'enseigne du Passeur...


Écrire à un auteur défunté ne me semble pas plus étrange que lire ses livres post mortem, mais je ne souscris pas pour autant à la vision de Lambert Schlechter, citant Chessex et Pouchkine qui assimilent tous deux le visage de Dieu au sexe de la femme, ou vice versa.

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Il m'est bien arrivé de trouver un reflet de lumière « divine » sur le visage de certains êtres aimés ou admirés, mais l'érotisation du visage de Dieu m'est aussi étrangère que la divinisation du sexe féminin ou masculin (un Alain Daniélou voyait dans le phallus le doigt de Dieu ou quelque chose comme ça, n'est-ce pas), et les délires sur la métaphysique du sexe d'un Julius Evola ou d'un Vassily Rozanov m'intéressent moins que les cabrioles de l'otarie ou que les ruines de châteaux de sable des enfants de l'été passé, poil au nez...

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