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  • Ceux qui s'en tiennent aux faits

     

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    Celui qui s’attache à la collecte des cas particuliers dont il ne tirera pas pour autant une théorie / Celle qui observe les comportements de son entourage et les siens propre avec un souci d’objectivité d’entomologiste et une bienveillance découlant de son léger alcoolisme de l’après-midi / Ceux qui ne croient qu’à ce qu’ils broient / Celui qui est tellement terre à terre que le ciel va lui tomber sur la tête / Celle qui ne cesse de répéter « venons-en aux faits » à son nouvel amant japonais diplômé en préliminaires / Ceux qui prétendent que le cadavre dans le placard de la famille Simenon ne relève pas du fait mais de la fiction / Celui qui se base sur le fait que son oncle Nick ne boit pas pour en déduire qu’il a le nez au milieu de la figure et l’esprit d’escalier / Celle qui est désorientée en vérifiant l’assertion de Michel Onfray selon lequel l’humanité aurait perdu le nord / Ceux qui entre Noël et Nouvel An refuseront de s’en tenir aux fêtes et feront donc la gueule mais chacun son choix a dit Michel Drucker / Celui dont la face est déformée par les pragmatics / Celle qu’on dit un puits de science fiction en matière sentimentale et financière / Ceux qui se voilent l’interface / Celui qui dit au romancier en signature que sa vie aussi est un roman je ne vous dis pas et le romancier n’en demande pas plus non plus / Celle qui en sa qualité de fille assez canon vous fait sentir le vent du boulet / Ceux qui en reviennent à la factualité du textuel à ne pas confondre avec l’inter-textualité du conceptuel / Celui qui découvre l’effroi que peut susciter un fait quelconque survenant dans sa propre maison fermée à clef de l’extérieur par il ne sait qui ni pourquoi / Celle qui exclut la rêverie de l’inventaire des faits et gestes de l’assassin buté / Ceux qui prônent l’extension du domaine de la butte dont on dégagera la vue sur le delta / Celui qui considère le Christ comme un fait et le christianisme comme une (intéressante) fiction / Celle qu’inquiète le défrichement de la forêt de symboles / Ceux qui se considérent comme un fait accompli à prendre ou à laisser et plus si affinités, etc.

    Peinture: Joseph Czapski

  • Les mains du masseur

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    On ne parle que de la réparation du malade, mais point assez de sa jouissance et de celle des mains des saints hospitaliers, filles et garçons.

    Prenez le cas du machiniste Pedro, le splendide athlète aux yeux verts du Kouros Club, transformé en torche vivante sur son chantier et ramené à l’hôpital sous forme de crevette calcinée: des semaines durant, entre la vie et la mort, il n’a connu que les flammes de l’inconcevable douleur, couché sur le feu du drap blanc, puis les mains sont arrivées.

    Dans le rêve éveillé de Pedro ce sont évidemment des mains de femmes vêtues de blanc qui le massent ainsi en lui murmurant de bonnes paroles. Puis il conçoit avec horreur, au fond de son délire, que les plus douces et les plus attentives, les plus patientes aussi sont celles d’un jeune Américain au prénom de Christopher.

    Les mains de Christopher ont connu le bonheur de ramener le grand brûlé à la vie avec force onguents et palpations. L’idée que les mains de ce type l’aient touché est officiellement insupportable à Pedro, mais il se dit aussi qu’il ne reverra plus jamais le Ricain, et cela lui est une espèce d’odieuse peine, puis il reprend l’entraînement et tout est oublié.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Fan de Bofane

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    À lire absolument: Congo Inc. Le Testament de Bismarck, d’In Koli Jean Bofane. Lauréat du dernier Prix des Cinq-Continents.

     

    1.Congo Bololo

    L’ordre naturel préside à l’ouverture de ce roman dont l’incipit marque la première rupture verbale : « Putain de chenilles ! »

    La forêt vierge immémoriale figure en effet la Nature par excellence, entre basses branches et autres « fougères venues du pléistocène » ou « lianes tombant de nulle part » et, tout là-haut, les trouées de lumière de la canopée.

    Or le « putain de chenilles ! » a été proféré par un jeune lascar vêtu d’une seule culotte en écorce battue qui, des orchidées et du tatou, du porc-épic ou des fourmis, n’a plus rien à fiche. S’il se trouve encore là à ramasser des bestioles pour son oncle chef ekonda (du peuple mongo, apparié aux pygmées), c’est en pestant contre ce Vieux Lomama qui incarne à ses yeux tout un monde obsolète alors que lui ne rêve que technologie et prouesses guerrières ou financières auxquelles il s’exerce tous les jours au fil de ses sessions de jeux vidéo, sous le surnom de Congo Bololo, lanceur de redoutables missiles virtuels et parangon du Nouvel Homme mondialisé : « Dans cet univers virtuel, Isookanga incarnait Congo Bololo. Il convoitait tout : minerais, pétrole, eau, terres, tout était bon à prendre. C’était un raider, Isookanga, un vorace. Parce que le jeu l’exigeait : c’était manger ou se faire manger »…

    Le premier effet comique du roman tient à cette immédiate collision de deux cultures (et de deux langages) vécus par le jeune ekonda quittant bientôt sa culotte végétale pour enfiler son jean Superdry JPN et son t-shirt à l’effigie du rappeur Snoop Dogg, qui a vu d’un bon oeil la récente installation en ces lieux perdus, par la société China Network, d’une antenne-relais de télécommunications.

    Au naturel, Isookanga n’est donc qu’un Pygmée de vingt-cinq ans, ou plus précisément un demi-Pygmée puisqu’il est plus long de dix centimètres que les plus grands de ses compères de clan ; et le complexe que lui inspire son aspect physique de « trop-petit-trop-grand » s’aggrave du fait que sa mère a négligé de le faire circoncire, faisant de lui un double sujet de moquerie.  Mais « être grand, ne pas l’être, qui s’en soucie, quand seul le nombre de gigas est pris en compte ? »

    Côté comédie, le premier morceau d’anthologie suit avec le défilé inaugural marquant l’installation du pylône des télécoms, à l’occasion duquel Isookanga rencontre une première fois l’anthropologue africaniste Aude Martin, très curieuse des coutumes de son clan et tout de suite troublée par le jeune homme. Lequel profite d’un tumulte passager, provoqué par l’arrivée de l’hélico russe porteur de l’antenne, pour dérober en douce l’ordinateur de la dame, invoquant le « remboursement de la dette coloniale » afin de justifier son larcin – ainsi s’amorçant sa carrière de « mondialiste » dûment connecté. 

    2. Les enfants de Kin

    Si la Nature reprend ses droits avec l’évocation de l’immense Congo, sur lequel Isookanga s’embarque à destination de Kinshasa – ce qui va représenter des semaines de navigation -, c’est que, rappelle l’auteur, le fleuve a vu passer les siècles et autant de très fugaces « grands de ce monde », de deux ou trois Ramsès à Léopold II, Hitler ou Kabila père et fils. Du même coup, il est question de la richesse naturelle que représente l’eau du Congo pour le pays : « En 2025, il n’y aura plus que cinq mille mètres cubes par habitant. Tout le monde aura un problème, sauf le Congo ».

    Dans l’immédiat, cependant, on constate que le Congo n’a que des problèmes, qui vont se matérialiser sous les yeux de notre mondialiste dès son arrivée à Kinshasa. Lui qui espérait trouver un point de chute chez un oncle lointain de son meilleur ami, en se faisant passer pour celui-ci, est vite repéré comme un imposteur du fait de sa trop courte taille – où l’on voit que l’ostracisme physique se porte bien à Kin autant qu’ailleurs. Ainsi le loustic se retrouve-t-il à la rue, d’abord chahuté par les shégués (les fameux enfants des rues), puis admis par l’entremise de la fringante Shasha la Jactance, cheffe de bande de quinze ans au passé tragique et survivant du commerce de ses charmes – comme on dit…  

    Deuxième morceau d’anthologie : quand, à la suite de la mort du jeune shayeur (vendeur à la sauvette) Omari Double Lame, très aimé des shégués, ceux-ci affluent par milliers sur la place du Grand Marché où ils se mettent à tout casser. C’est alors que, flanqué de son ami chinois Zhang Xia, avec lequel il a monté entretemps un petit commerce d’eau pure (« Eau Pire Suisse »), Isookanga se voit propulsé porte-parole des enfants de la rue  et négociateur solennel auprès des forces de l’ordre, attirant l’attention respectueuse d’un ancien seigneur de la guerre au Kivu – tout cela tenant du conte épique ou du manga afro-chinois…

    On a vu, dans le film Kinshasa Kids du Belge Marc-Henri Wajnberg,  datant de 2012, ces enfants de Kin dont certains ont été chassés de leurs familles sous le prétexte de sorcellerie, et c’est précisément le cas, dans le roman de Jean Bofane, du petit Modogo que le pasteur de son village a stigmatisé après l’avoir exorcisé à sa façon.

    Du film, où la musique et le rap jouent un rôle notable, au roman, le chaos de Kinshasa se trouve ressaisi, chez l’écrivain, par un travail remarquable sur le langage multiforme où le choc des jargons et des codes, des expressions africaines ou des bribes de dialogues de films ou de raps, entre autres éclats verbaux, constituent un patchwork chatoyant à vraie valeur et saveur littéraires.

    Au congrès des écrivains francophones de Lubumbashi, en octobre 2012, une table ronde traitait du statut de l’écrivain des « périphéries »  de la langue française par rapport à la Centrale académique parisienne. La question du « voleur » et du « violeur » fut alors évoquée, relative à un certain complexe des auteurs francophones, souvent exacerbé par une condescendance non moins certaine de la métropole linguistique. À quoi Jean Bofane répond ici, sans même le chercher probablement, en voleur et en violeur avéré, sourcier d’expression métissée mais nullement folklorique ou régionaliste, mimant bel et bien la langue-geste du français vivant actuel. 

    3.Du pleurer-rire 

    Ce roman évoque à la fois le Candide de Voltaire et le Cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Côté comédie, la trajectoire de l’ekonda Isookanga , assimilant les discours de la technologie et de la globalisation, rappelle la satire de L’Amour nègre de Jean-Michel Olivier gorillant la langue des médias et des marques,  ou celle du non moins mémorable Duluth de Gore Vidal jouant sur la confusion volontaire de la réalité et de la fiction - ainsi les personnages revisités d’un feuilleton genre  Dallas évoluaient-ils entre l’écran de la télé et la vie réelle.  D’une manière analogue, Jean Bofane obtient de vertigineux effets comiques en faisant zigzaguer son protagoniste entre jeux vidéo figurant explicitement la réalité africaine et faits avérés de celle-ci à l’état quasi brut.

    En lisant le roman de Jean Bofane, dont le nom complet est In Koli Jean Bofane (In Koli signifiant La Blessure), on se rappelle aussi le beau titre du beau livre d’Henri Lopes, Le Pleurer-rire.  Comme dans le Candide de Voltaire, où les notes tragiques ne manquent pas, comme chez Rabelais sur fond de pestes et d’étripées religieuses, comme chez Céline hanté par la guerre et la mort, le rire cohabite ici avec l’horreur à vous tirer parfois des larmes qui ne sont pas de crocodiles.

    Côté comédie, à l’instar de Nasredine, du brave soldat Schweyk ou du Makar de Platonov cherchant le « chemin de la révolution » entre sables et steppes, le Pygmée de Bofane, conteur-griot, est un vrai personnage à tournure populaire qui fera rire tout le monde. 

    On rit ainsi, sans trop de retenue politiquement correcte quand il « tringle » bonnement la malheureuse africaniste Aude Martin, laquelle l’a véritablement cherché en le suppliant de lui faire partager la « souffrance de l’Afrique », et qui se retrouve culbutée, martelée à coups de reins et battue comme plâtre au point de faire surgir les voisins à la rescousse, mais tellement heureuse en fin de compte. Et l’on rit pareillement en assistant aux cultes pompes-à-fric de l’ancien catcheur Monk devenu révérend Jonas Monkaya, mandaté par le Seigneur afin de faire fructifier les comptes de la société Paradizo S.A. 

    Quant au pleurer, ce seront les femmes et les enfants d’abord qui le susciteront, pour lesquels La Blessure demande incidemment réparation…C’est par exemple l’histoire, filée en flash back, de la jeune Shasha la Jactance, naguère enfuie avec ses petits frères du lieu où les siens ont été massacrés. Comme toutes les femmes du roman, le personnage fera front  en dépit de son jeune âge, quitte à prendre sa revanche quand tel abject officier balte de l’ONU, combinant trafics louches et pédophilie, en fait sa petite esclave sexuelle juste bonne à assouvir ses fantasmes. De façon semblable, cette autre rescapée des horreurs de la guerre du Kivu qu’incarne Adeïto, elle aussi esclavagisée mais par un chef de guerre tutsi recyclé dans l’Administration kinoise, se venge finalement en abandonnant son monstrueux conjoint à la foule déchaînée qui lui fait subir le fameux supplice du pneu enflammé. Ce que le lecteur ne pleurera point, se rappelant les supplices pires encore que ce Kiro Bizimungu, dit Commandant Cobra Zulu, a fait subir durant la contre-offensive du FPR. 

    4. L’algorithme « originel »  

    L’explication du titre de ce roman grave et grinçant, en sa face sombre, se trouve à la page 271 : « L’algorithme Congo Inc. avait été imaginé au moment de dépecer l’Afrique, entre novembre 1884 et février 1885 à Berlin. Sous le métayage de Léopold II, on l’avait rapidement développé afin de fournir au monde entier le caoutchouc de l’Equateur, sans quoi l’ère industrielle n’aurait pas pris son essor à ce moment-là.Avec la sécheresse d’un rapport, l’auteur détaille ensuite les « contributions » de la Congo Inc. à la Grande Guerre et au second conflit mondial puis  à la destruction d’Hiroshima et Nagasaki (avec l’uranium de Shinkolobwe), à la guerre du Vietnam ou aux  applications plus récentes. « Les consommables humains pouvaient également prendre part à des basses besognes et à des coups d’Etat », précise l’auteur, avant d’enchaîner : « Fidèle au testament de Bismarck, Congo Inc. fut plus récemment désigné comme le pourvoyeur attitré de la mondialisation, chargé de livrer les minerais stratégiques pour la conquête de l’espace, la fabrication d’armements sophistiqués, l’industrie pétrolière, la production de matériel de télécommunication high tech ». 

    Ce passage explicitement géo-politique est inséré, avec un naturel étonnant,  dans le cours de la narration dramatique du chapitre intitulé Game over, consacré au génocide des tutsis et à la contre-offensive de ceux-ci vécue par Kiro Bizimungu, qui vient d’apprendre qu’il est en passe d’être livré à la justice internationale. Auparavant, des scènes d’une violence hallucinante, sinistre pendant inversé du premier génocide, auront illustré cet aspect collatéral des « consommables humains » sacrifiés à la cause de la Congo Inc. 

    5. Le Vieux

    Un vrai romancier se reconnaît à cela qu’il va partout, se mêle de tout, parle toutes les langues et endosse tous les âges : tel est In Koli Jean Bofane. Au nombre des plus beaux épisodes de son nouveau roman, il faut relever la scène magnifique du Vieux Lomama découvrant, dans la forêt surmontée par la maudite antenne, la dépouille du léopard Nkoi Mobali, seigneur incontesté de la jungle visiblement déchiqueté par de vulgaires phacochères, au mépris de tout ordre naturel.  Choqué dans ses fibres les plus profondes, le chef ekonda, qui s’ennuie par ailleurs de son écervelé de neveu, décide alors de rallier Kinshasa pour alerter les autorités, l’ONU et possiblement le monde entier, voyant en l’assassinat  du noble fauve par une « coalition de phacochère », le signe des « prémices d’un événement tel que la fin du monde ou quelque chose qui y ressemblerait quand même un peu »…

    Comme bien l’on pense, ce n’est pas dans une optique de sentimentalisme écolo convenu que Jean Bofane raconte le périple du Vieux Lomama, mais là encore sur le ton de la fable et sur un fond de vérité qui fait pièce au cynisme aveugle des prédateurs. L’arrivée de Vieux Lomama à Kinshasa, ses retrouvailles avec son neveu finalement content de le retrouver, et le retour de la belle paire sous la canopée ne constitueront pas, pour autant, un happy end lénifiant, loin s’en faut puisque le mal court, toujours, un peu partout… 

    Entre tendresse profonde et révolte combien légitime,    In Koli Jean Bofane nous offre, avec Congo Inc. Le Testament de Bismarck, une magistrale transposition romanesque de la réalité contemporaine, non seulement congolaise mais africaine et mondiale, relevant à la fois du conte tragi-comique et de la fable polémique, de la réflexion politique et du constat catastrophé, enfin de l’increvable pari humain que n’en finit pas de relancer la vraie littérature.

    In Koli Jean Bofane. Congo Inc. Le Testament de Bismarck. Actes Sud, 293p.

     

    Exergue : « Le nouvel Etat du Congo est destiné à être un des plus importants exécutants de l’œuvre que nous entendons accomplir » (Le chancelier Bismarck, en clôture de la conférence de Berlin, février 1885)

  • Fin de partie

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    Notre ami le coupeur de tresses a le meilleur jeu ce soir, et sans doute va-t-il nous plumer une fois de plus. Le jeune révérend lesbien relève en souriant qu’il y en a qui naissent coiffés, ce qui nous fait rire en vertu de notre vieille complicité, eh, eh.

    Notre convention stipule qu’à celui qui gagne on paie sur la cagnotte ce qui lui fait plaisir, et là ce ne sera pas compliqué vu le goût simple de Ferdi ; et vous savez que les filles tressées ne manquent pas dans cette partie de Vienne.

    Cependant Vienne, précisément, nous inquiète.

    Nous parlions ce soir de la situation générale dans le pays. Tout ouverts que nous soyons aux penchants spéciaux, nous nous inquiétons depuis quelque temps de voir s'affirmer en nombre les vociférateurs aux bras levés, et d'autant plus qu'ils nous vilipendent dans les journaux et les assemblées. En réalité, la marge de liberté s’amenuise pour les marginaux singuliers que nous sommes, tandis que les vociférateurs croissent en nombre et en surnombre les bras levés comme des membres.

    Mais que deviendrait la société vienoise séculaire sans nous autres innocents coupeurs de tresses, renifleurs d'aisselles et autres buveurs de larmes à l'ancienne, sans parler de nos amis poètes également menacés ?

    C'est de cela que nous parlons ce soir en brassant nos cartes, au fond du café que vous savez, dont nous ne savons pas, nous, quel sort l'attend avant longtemps, que nous partagerons.

    Image: Poupées de Bellmer.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Le Bouc

    littérature

     Il n’est pas facile de le repérer, et d’autant moins qu’il y a souvent de très beaux mecs chez les ramoneurs.

    Les femmes des villas des hauts de ville sont évidemment favorisées par rapport aux habitantes du centre, mais c’est surtout en zone de moyenne montagne que se dispensent le plus librement les bienfaits du ramonage.

    Il est en effet surexcitant de voir les bandes de ramoneurs passer d’un pâturage à l’autre. Elles les suivent aux jumelles. Dès qu’il y a un nouveau le téléphone arabe le signale. C’est alors à celle qui se fera la plus aguicheuse en feignant d’être surprise au saut du lit.

    Aucune d’elles, cependant, ne s’attendait à ce que leur offre Antonin le velu, dit Le Bouc.

    Toutes autant qu’elles sont, elles vous diront que le sobriquet pèche, car Le Bouc sent la fleur sauvage. Plus qu’il n’est velu, Le Bouc est à vrai dire chevelu, couvert d’une vraie toison dont la caresse est une rareté au dire de la gent féminine. Ses grands yeux bleu ciel, son corps sculpté jaillissant de la combinaison noire à l’âcre odeur de suie , sa douceur de mie et sa vigueur de quille, enfin les mots inimaginables qu’il murmure à tout le corps de celle qu’il fait jodler de plaisir tandis que ses potes ramonent en sifflotant, tout cela fait une réputation à l’équipe de Maître Leleu qui se répand sur tout l’arc alpin.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui évitent l'affrontement

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    Celui qui s’impatiente de ne pas voir sa fille briller comme lui au même âge / Celle qui a toujours eu peur des ricanants / Ceux qui ont opinion sur rue et pas question de les contredire / Celui qui demande juste aux jumeaux de citer Heidegger correctement à table quand on reçoit Philippe et Julia / Celle qui n’a pas supporté que sa mère rie d’elle devant ses amies du Groupe de Conscience Nelson Mandela / Ceux qui se gaussent de celles qui n’ont pas d’agrégation de philo ou autre brevet d’excellence AAA / Celui qui a été banni de Facelook pour une phrase inappropriée à propos des vandales de banlieues / Celle qui a toujours redouté le ton péremptoire de son beau-père psy quand il enjoignait sa mère de mieux la gérer au niveau du verbal / Ceux qui parlent de précarité avec leurs amis Dulaurier de Segonzac / Celui qui ne cédera pas à l’unanimité à bon compte de ceux qui le jugent par ouï-dire / Celle qui serait censée s’intéresser aux autres conformément à l’éthique altruiste de son père philosophe de plateau sur BTFM alors qu’elle ne s’occupe que de son conjoint ingénieur de gauche et de leurs enfants / Ceux qui sont restés très modestes et le font sentir à leur bonne somalienne qui se le tient pour dit / Celui qui a mis en garde ses voisins de la Résidence Mireval contre l’immigration massive perceptible à l’apparition de vigiles de couleurs dans ce quartier jusque-là préservé / Celle qui ne se prononce pas sur le niveau d’éducation de ses neveux dont le père à quinze ans déjà frayait avec des techniciens de surface / Ceux qui sont priés de se la coincer pendant que l’ami de leurs parents formule son jugement sur le Coran qu’il a étudié « dans le texte » / Celui qui a laissé sa fille s’enfoncer dans son trou d’abandon au motif qu’elle ne voulait pas travailler le senti réciproque de leur vécu relationnel / Celle qui a toujours perçu l’extrême violence d’un certain discours intellectuel modulé de la même voix très douce que celle des prêtres et des psys / Ceux qui ont essayé d’imposer la lecture de La Domination de Pierre Bourdieu à leur fille insoumise / Celui qui convoque ses enfants à une heure précise pour leur dire que ça ne peut plus se faire d’arriver en retard à leurs discussions ouvertes sur le ressenti convivial en famille / Celle qui craint d’être atteinte par les certitudes de sa voisine juge pour enfants et fidèle en ménage / Ceux qui mettent le sujet sur la table et le regardent en parlant de l’objet du litige / Celui qui reproche surtout à ses enfants de ne rien lui reprocher / Celle qui essaie de s’y retrouver entre ses deux pères attendant sa majorité pour faire leur coming out /Ceux qui hésitent à casser le morceau dont les débris risquent de leur rester en travers de la gorge et autres dommage collatéraux / Celui qui s’inquiète de constater l’indifférence de sa bru à la question du réchauffement climatique la concernant plus que lui vu leur âge respectif / Celle qui compare les sous-entendus idéologiques de son beau-père à des émanations de méthane en zone arctique / Ceux qui ne s’affrontent jamais que dans le déni / Celui que sa timidité a toujours tenu à l’écart où il est resté ensuite par nonchalance / Celle qui n’évite aucun affrontement dans le couvent où tout finit par se savoir / Ceux qui ont fait carrière dans l’art de s’affronter par évitement jusque dans la Chambre où ils restent très écoutés /Celui qui compte les coups d’épée dans l’eau de C dans l’air / Celle qui ne comprend pas que les violents aiment ça point barre / Ceux qui par expérience récente évitent les nids de frelons, etc.

    (Cette liste résulte (en partie) de la lecture d’Autopsie d’un père, nouveau roman de Pascale Kramer paru ces jours chez Flammarion)

  • La fugitive

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    Je reçois une lettre anonyme signée Un ami qui vous veut du bien, qui me dit que celle que je cherche a été vue ces derniers jours dans le métro de Paris.  

    Je fais donc croire à Pomme, qui me présente volontiers comme son compagnon de vie, que je dois passer trois jours à la capitale, et je m’y attendais: elle me dit qu’elle ne pourra m’accompagner à cause de son atelier de patchwork.

    Le premier jour j’aperçois celle que je cherche sur le quai de la station Gaîté, mais c’est évidemment de l’autre côté des voies et ce n’est même pas la peine que j’essaie de la rejoindre puisque sa rame arrive à ce moment-là. 

    Le lendemain il me semble en distinguer le pur ovale du visage dans la foule de Saint-Michel, mais ce n’est peut-être qu’une fantasmagorie; en revanche elle s’assied bel et bien en face de moi sur le trajet de retour entre Bastille et Gare de Lyon, et là je m’en veux de ne pas avoir le cul de bouleverser la sacro-sainte organisation de Pomme, qui m’attend ce soir pour fêter la libération des otages du Liban avec ses amis du Groupe Solidarité.

    Bref, je n’en ai pas fini de lui courir après. D’ailleurs cela devait être écrit puisqu’au jeu de la bague d’or, déjà, ce n’était jamais celle que je voulais de laquelle il fallait que je me prenne un doux-baiser-vous-l’aurez.

    Image: Philip Seelen


    (Extrait de La Fée Valse)

  • Lionel Baier par delà La Vanité

    4742078_7_4306_carmen-maura-et-patrick-lapp-dans-le-film_da855bf5f0b8746ccdd339ae8368967f.jpgÀ propos de La Vanité, variation douce-acide intéressante sur un thème hyper-délicat,  d'un réalisateur dont on peut attendre encore plus...

     

    Qu’est-ce qui cloche, à mes yeux, dans La Vanité de Lionel Baier,  qui m’a touché mais également agacé, comme souvent le cinéma suisse romand quand il se pique d’humour ou de drôlerie, sur un ton qui ne m’a jamais convaincu ni chez Alain Tanner ni chez Michel Soutter non plus, peut-être par manque de naturel et fausse gouaille pataude ? 

    Il y a pourtant, chez Baier, un sens du comique indéniable, supérieur à celui de Tanner et Soutter, et qui éclate ici et là dans La Vanité au fil de scènes irrésistibles,rappelant un peu le Prick up your ears de Stephen Frears, comme lorsque le vieux candidat à la mort, allongé sur le lit, demande au jeune prostitué russe de lui monter dessus et... de l’étouffer, avant que le jeune homme ne tombe de là-haut dans une chute grotesque à souhait, rompant avec le pathétique de la situation.

    rechte_spalte_gross.jpgLionel Baier est, à mes yeux, le plus authentiquement auteur des réalisateurs de sa génération, comme l’est un Xavier Dolan au Canada, mais en moins intense et en moins pur. Baier est peut-être plus cultivé et plus connaisseur, en matière de cinéma, que Xavier Dolan, mais celui-ci est un vrai médium, capable d’incarner et de représenter la souffrance par le truchment de situations dramatiques beaucoup plus fortes que celles des films de Baier, qui n’a ni l’intensité émotionnelle ni l’amour fou de Xavier Dolan, plus proche à cet égard d’un Cassavetes.

    Lionel Baier a probablement signé son meilleur film avec Low cost, dédié à Claude Jutra, mais l’ensemble de ses courts et long métrages, dès ses premiers documentaires, décline déjà un regard tout à fait personnel et cohérent, et fonde un espace qui doit beaucoup à la mentalité (protestante et individualiste)  et au décor physique et culturel  de notre pays, sans jamais donner dans la couleur locale. 

    Cela étant, et cette impression m’a été confirmée par son dernier long métrage « à succès », Les grandes ondes, que je n’ai guère aimé à vrai dire, il me semble que ce grand talent est encore loin de donner sa pleine mesure, et cela se confirme avec La Vanité.

    Or qu’est-ce qui, dans La Vanité, film plein de qualités au demeurant, me semble une fois encore inaccompli.

    Ce qu’il faut reconnaître en premier lieu,c’est le grand intérêt du traitement, non convenu, d’un thème très délicat, déjà modulé de façon plus conventionnelle, sérieuse mais un peu lisse voire, édulcorée, par Fernand Melgar dans son documentaire intitulé Exit; comme aussi, beaucoup moins connu mais très intéressant, par un court métrage portant le même titre d’Exit, d’un réalisateur alémanique du nom de Benjamin Kempf, dont le point de vue tragi-comique préfigurait à certains égards celui du film de Baier.   

    662_2.jpgLe film en question, d’une durée de 10 minutes, date de 2002 et met en scène trois personnages : la vieille Erika (Stephanie Glaser), son compagnon Ruedi (Waloo Lüönd) et l’envoyée de l’association Exit, Frau Schmid (Alice Brünggen) munie de la fameuse potion.

    Confrontée à un cancer en phase terminale, Erika a décidé d’en finir au vu des souffrances annoncées, et, forte de son ascendant évident sur Ruedi, a convaincu celui-ci, plus jeune qu’elle d’une quinzaine d’années et visiblement en bonne santé, de partager son sort. 

    Or,après que chacun s’est habillé « comme il faut » pour accueillir la dame d’Exit, qui les soumet à un dernier interrogatoire formel, et après qu’ils ont écouté ensemble une dernière fois leur morceau de musique préféré (Love Letters…), sur lequel Erika esquisse un pas de danse gracieux, voici, moment terrible, que, devant les deux verres de potion létale, Ruedi se rebiffe, proteste, dit qu’il a encore de la vie devant soi (la dame d’Exit acquiesce gravement), ce qui met Erika en colère, qui avale alors sa potion et va se coucher seule en boudant, dans l’autre pièce, sur le lit conjugal. Après quoi, cédant à la culpabilité, Ruedi boit à son tour la potion et rejoint Erika, à la fois triomphante et non moins sincérement émue, amoureuse pour une dernière fois. 

    On ne saurait, en moins de mots et d’images , en dire plus sur une situation tragique nuancée d’une pointe d’humour noir.

    01-lavanite-2.jpgQuant au film de Lionel Baier, il joue également sur l’humour avec trois protagonistes se croisant de manière« improbable », comme on dit, dans un haut-lieu des années 60 préfigurant la société hyperfestive, au Motel de Vert-Bois, sur les hauts de Lausanne, où la piscine en bordure de forêt, la drague et le twist, notre  belle jeunesse enfin s’épanouirent sur fond de trente glorieuses…

    Un demi-siècle plus tard, l’architecte David Miller (Patrick Lapp, qui crève l’écran, comme on dit, de sa présence physique), se pointe en ces lieux décatis, voire glauques, où il a rendez-vous avec Esperanza (Carmen Maura, qu’on ne présente plus, n’est-ce pas) qui représente l’agence de voyages Ad Patres - j’invente.

    Or, comme le fils de David s’est défilé, le témoin de la cérémonie sera le locataire du studio d’à côté, un jeune Russe du nom tchékhovien de Treplev (IvanGeorgiev), qui fait commerce de ses charmes pour arrondir ses fins de mois comme le personnage de Garçon stupide,et se met à pleurer contre toute attente, quand il comprend le projet de David, puis à rappeler celui-ci « du côté de la vie »...

    Tout cela pourrait être formidable, et certaines séquences le sont presque, de même qu’une série de plans remarquables, picturaux et lyriques à la fois, relançant la vision nocturne de Lausanne retravaillée par Baier, et l’on sourit de voir danser soudain un sachet en plastique flottant en l’air… rappelant évidemment le même plan d’American Beauty.

    Mais quoi ? Pourquoi ce film si intéressant me laisse-t-il malgré tout sur ma faim ? 

    À cause des dialogues (co-signés ici par Lionel Baier et Julien Bouissoux, qui me semble avoir une bien meilleure « oreille » dans ses propres livres, soit dit en passant) par trop « écrits », souvent « téléphonés » ou sonnant faux (à mon goût, je précise), ou d’un scénario parfois confus ou embrouillé, comme dans les autres films de Baier ?

    Même si comparaison n’est pas raison, notamment entre un long métrage et un court de dix petites minutes, Benjamin Kempf a signé une merveille avec son Exit dont toutes les composantes (narrative, esthétique, critique, image et dialogue, profondeur psychologique, interprétation, etc.) se fondent en unité, comme une nouvelle de Tchékhov sur fond d’intérieur petit-bourgeois plus-Suisse-tu-meurs, alors que Lionel Baier, brassant beaucoup plus large il est vrai, n’aboutit pas vraiment, finalement, à cette fusion

    6185973.jpgMais ne suis-je pas trop sévère ? Que non pas: j’ai juste envie d’être exigeant avec le présumé « wonder boy » du cinéma romand, à proportion d’un talent dont j’ai l’outrecuidance amicale d’attendre plus…

  • Ceux quI passent inaperçus

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    Celui qui cherche un homme (ou une femme cela va sans dire) dans la foule affolée par l’obscurité soudaine que troue le seul lumignon de sa lampe à huile / Celle dont personne n’a remarqué le backpack rempli de carambars / Ceux qui rompant avec toute idéologie se sont fait marginaliser alors même que l’on proclamait la prétendue « chute des idéologies » / Celui qui se demande si c’est déjà avant l’apôtre Paul ou seulement après que l’idéologie chrétienne s’est formatée / Celle qui a en elle un radar à peu près infaillible lui indiquant le moindre relent de cléricalisme ou de sectarisme / Ceux qui dépouillent l’idéologue comme d’autres le font du vieil homme / Celui qui taxe d’intellos ceux qui ont l’air de réfléchir / Celle qui assène ses opinions sans réfléchir en suscitant l’immédiat enthousaisme de la meute / Ceux qui ne perçoivent plus rien tant ils sont pressé de conclure / Celui qui prend un air entendu (genre Roland Barthes décryptant le message sémiologique de la minijupe ou des Doc Martens) pour affirmer que l’inaperçu est un concept porteur à creuser en séminaire / Celle qui anticipe tout débat en se positionnant du côté de Julia Kristeva / Ceux que leur posture autorise à s’injurier en souriant devant le public d’Ardisson qui mouille d’être dans le coup / Celui qui a toujours raisonné de bas en haut et se trouve donc en rupture de principe avec les heideggeriens de tous bords / Celle qui en ramenant tout à l’ontologie bavaroise est devenue la diva du Flore et autres hauts lieux de la pensée en marche dans les cafés / Ceux qui furent marxiste avant d’y réfléchir / Celui qui cultive son jardin sur les toits de Babel / Celle qui aime faire plaisir sans contrepartie ce qui décontenance les Finlandais / Ceux qui crachent par principe sur Amélie Nothomb qui leur sourit par éducation belge / Celui qui par snobisme résiste à Proust avant de le lire sous le manteau / Celle qui mordille son grand fils pour se le garder un peu avant de le voir retourner auxragazzi de la plage de Rapallo / Ceux qui sont super-élégants sans se faire remarquer vu qu’ils sont en Italie et pas dans une apéritif dînatoire de fonctionnaires de la culture suisse tous sapés de noir quoique tous opposés au port du niqab / Celui qui préfère sa propre compagnie à celle de trop de sales gens/ Celle qui ne roule pas à moto à Rangoon vu que c’est aussi mal vu que de critiquer la pensée de scootériste stressé de Pierre Bourdieu / Ceux qui se déplacent en Hummer bleu ciel pour se fondre dans le haut de l’écran tandis que Manuel Valls réitère son alliance avec l’Arabie saoudite et le Qatar dans leur juste lutte contre le terrorisme sans aucun rapport avec l'islam / Celui qui a toujours été attentif aux intermittences de tristesse inaperçues dans le Journal de Stendhal / Celle qui trouve plus de détails intéressants dans une page du Journal de Stendhal que dans l’intégralité du roman Drame de Philippe Sollers situé par Roland Barthes dans une filiation remontant à Homère / Ceux qui comme Laurent Binet considèrent Roland Barthes comme « le plus grand critique littéraire du XXe siècle » ainsi que le répètent d’ailleurs les cacatoès de Nouvelle-Guinée et le perroquet Enzo champion des parleurs de Youtube / Celui qui s’intéressant volontiers au genre du roman noir constate que La septième fonction du langage de Laurent Binet en reste paresseusement aux stéréotypes mal dégrossis des séries télévisées françaises genre Julie Lescaut au Collège de France ou Navarro chez les intellos / Celle qui a toujours reproché à son cousin Stéphane Mallarmé de prendre la pose dès que la caméra tournait au lieu de rester naturel « comme à la maison »/ Ceux qui sont tellement dans la lune qu'ils en ont oublié tout l'heure de border le soleil couchant, etc.

    PEINTURE: THIERRY VERNET

  • Dits de l'enfant

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    Pour Sophie, qui fête aujourd'hui ses 33 ans .

    Qu’entrevoit l’enfant au tréfonds de son sommeil ? Quel spectacle ravissant, qui la fait soudain éclater de son rire argentin au milieu de la nuit ?

    L’enfant dans la campagne. Longeant un champ de jeune blé dont elle caresse chaque épi, elle y va de son encouragement: “Pousse, blé, pousse donc...”

    Le soir l’enfant demande au père, quand il vient lui souhaiter bonne nuit, de lui poser un baiser non seulement sur la joue, mais sur les mains et les pieds, les coudes et les genoux.

    L’enfant passe une partie de ses journées à l’énonciation du monde, où tout est inventorié, nommé et qualifié, avec l’approbation du père qui la porte sur ses épaules. Ceci est un cheval: c’est un bon cheval. Cela est une marmotte: la marmotte est jolie. Et voici le chardon: attention ça pique !

    L’enfant au père, l’air résolu: “Allons, papa, viens donc promenader !”

    La mère, très fatiguée, s’étant réfugiée dans un fauteuil où elle se met à sangloter (les nerfs), l’enfant s’en vient vers elle et l’embrassant, lui demande d’un air bien grave: “Alors, dis-moi, tu as des problèmes ?”

    L’enfant au père: “Viens maîtressier, allons faire de l’écrition”.
    Ou encore: “Allez, Zorro, maintenant on ligote l’Indien au poteau de tortue”.

    L’enfant les yeux au ciel : « Et le prénom de Dieu, c’est quoi ? »

    Image: Soutine