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  • Le Tableau de Théo

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    Comment le bel et bon oncologue fit rire Théo d’entrée de jeu.

    Théo sortit de chez le bel oncologue avec le sourire. Cela le rassurait, après leur premier entretien, de constater que le type qui allait le traiter était non seulement beau mec mais, de toute évidence, bon comme les mecs qu’il aimait.

    Théo avait toujours aimé les beaux et bons garçons (d’où sa tendresse particulière pour Jonas et Christopher), mais attention : son penchant se partageait, à l’exclusion de toute forme de kitsch sensuel, avec les belles et bonnes filles en fleurs de tous âges, à commencer par Cécile et Chloé, qui (soit dit en passant) s’inquiétaient un peu ces jours pour lui, et Léa cela va sans dire, Rachel et toutes celles qu’il aimait ou qui l’aimaient de près ou de loin. 

    Théo et le bel oncologue avaient bien ri en regardant ensemble son Tableau de Rayonnance Magnétique. « Pas loin de l’art des fous ! », avait raillé  le bon type en connaisseur. Et Théo : « Pas trace de conceptuel, rien que du brut ! »

    Théo, de tout temps, s’était méfié des images qui ne fussent point l’objet d’une transmutation quelconque, mais tel n’était pas tout à fait, quoique usiné par une machine, ce Tableau dont ce qu’il révélait avait été identifié et nommé, par l’oncologue hilare, comme Le Mal.

    Le monde actuel est malade, dira plus tard Théo au bel et bon oncologue devenu son ami, de ne pas nommer Le Mal et de ne pas vouloir le traiter, sous quelque forme qu’il se manifeste, alors que tu l’as nommé tout de go avant de me proposer, non sans me faire partager ton rire de défi, de le traiter pour ce qu’il est : notre putain de merde d’ennemi.

    Le Monsieur belge, qui avait passé par là peu de temps auparavant, avait briefé Théo dans les grandes largeurs, non sans rire lui aussi de tout ça entre les lignes de ses courriels, mais pour le moment ce cher ami était aux Antipodes avec ses fils, le drôle repartait en mer, en dépit de ses forces en déclin, aux bons soins de ses lascars, tandis que Théo disposait désormais, à portée de main ou de portable, de ce Vivien qui l’avait enjoint de l’aider, lui, à le traiter en se montrant aussi attentif et réactif au Mal.

    Or cela aussi avait botté Théo : que Vivien fût un mec aussi attentif que réactif, comme le garçon sauvage de quinze ans qu'il était, pendant et après les bombardements, avait appris à l’être à l’école buissonnière de cet illuminé de Gulley Jimson.

    Et cela encore pour en revenir à L’Ouvroir : que Le Mal s’y trouvait également nommé sous ses multiples aspects, comme l’avaient constaté Théo et le Monsieur belge dès leur lecture de L’ouvrage de Mémoire, et ensuite, scanné de façon plus claire et systématique, dans Le Livre de l’Exercice, jusqu’aux pics polémiques du Pilori des Colères où Nemrod, prenait sur lui comme jamais.

    Telle étant en somme la belle et bonne nouvelle à bien prendre dans l’élan combattant : qu’un vieux truqueur, passant pour quel roi déchu de la frime littéraire, aussi désabusé que décati, pût encore s’attraper lui-même par les cheveux, dans sa mare pourrie, et s’en tirer en sept ans et sept livres, après s’être tant payé de mots.

    Or Théo et le Monsieur belge, ses plus ardents détracteurs de naguère, qui l’avaient traité de faiseur dès sa première gloriole indigne à leurs yeux, trouvaient maintenant une nouvelle énergie à reconnaître en lui plus qu’un vil bateleur.

    Le bel et bon rire de Vivien, tout pareillement, ferait du bien à Théo autant que les soins de la belle et bonne Adriana dont les yeux très noirs et les seins bien pleins lui rappelèrent aussitôt ceux de Léa.

    C’est un affreux monde que le monde où Le Mal court, avait constaté Théo dès son premier entretien avec le jeune oncologue à la franche poignée de mains, et Vivien n’avait cessé de le régaler de son rire clair, ensuite,en l’assurant de cela qu’ensemble, les deux, puis avec Adriana aux machines, non moins qu’avec Léa en pensée, ils allaient faire en sorte que le Mal se sente pris de court.

  • Chemin faisant (32)

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    Entre Tchékhov et Simenon. - N'avais-je pas rêvé ? Ce Congrès congolais se tiendrait-il jamais ? Ce M. Fabrice Sprimont qui était censé nous recevoir, auquel j'avais écrit à Kinshasa et qui ne répondait pas, existait-il seulement ? Et s'il était vrai que la malaria l'avait terrassé au point de remettre déjà d'un mois le colloque, celui-ci ne restait-il pas aussi aléatoire que le Sommet de la francophonie qu'on disait battre de l'aile ?

    Je m'étais posé ces questions au moment de me faire inoculer cinq vaccins. Je me les répétais dans l'antichambre du Ministre chargé de me délivrer mon visa. Mais voici que nous nous retrouvions, ce premier soir de notre séjour au Katanga, à la table du Safari Grill du mythique Park Hotel de l'ancienne cité coloniale, en face de ce Monsieur Sprimont, Conseiller à la Communauté française de Belgique, dont l'accueil immédiatement avenant m'avait d'autant plus rassuré que le personnage, de toute évidence, manifestait autant de compétence aux affaires que d'entregent convivial.

    Les Belges sont étonnants. Il reste évidement de l'Afrique dans leur complexion physique et spirituelle, et je ne sais ce qui m'a fait penser aussitôt aux romans africains du Liégeois Simenon en observant le Conseiller, dont le bouc et l'espèce de détachement très attentif m'ont rappelé aussi mon cher Anton Pavlovitch Tchekhov, figure tutélaire de ma Russie personnelle. Or cette double ressemblance était liée aussi, sans doute, à cette impression que le Conseiller, à mes yeux, émargeait probablement à l'espèce de ceux qui, d'une manière ou de l'autre, ont pris la tangente.

    Ensuite notre conversation m'a confirmé dans le préjugé favorable que m'inspirent les irréguliers, je veux dire: les aventuriers organisés que sont le plus souvent les gens d'entreprise ou de culture expatriés, artistes et parfois espions, nostalgiques d'une vie meilleure ou fuyant un passé dévasté. À cela s'ajoutant la culture réelle, non plaquée, humainement éprouvée, et l'humour de Fabrice qui, tout de suite, nous a bottés le Bantou et moi.

    Park Hotel. - Quoique détestant les palaces, et ceux des pays pauvres plus que les autres évidemment, je me suis trouvé presque à l'aise dans le Park Hôtel aux chambres immenses et aux vérandas suggérant autant de veillées coloniales. Et du coup je me suis rappelé tant d'ambiances de romans ou de films dont il ne restait ici que le décor surplombant, dans la nuit avancée, la rue aux ombres plus ou moins menaçantes des prédateurs urbains.

    Le Park Hôtel date de 1929, quelques années après le voyage au Congo de Gide et du jeune Marc Allégret, qui y tourna un film tandis que l'écrivain y établissait ses réquisitoires. Cependant nous voici bien loin du grand humaniste aux indignations de bourgeois en rupture de conformité: près d'un siècle après son Voyage au Congo, la parole est bel est bien aujourd'hui aux Africains et je suis là pour les écouter.

    Brain storming franglais. - Après le Dinner très cool avec le Conseiller, plus que vannés par le voyage et la longue journée, il nous restait, avec Max le Bantou, à réviser notre speech commun du lendemain dont nous venions de découvrir le pitch établi à notre insu et proposant "Le défi de la langue et du langage aujourd'hui; rapport avec la langue française et les langues partenaires"...

    Mais qui donc nous avait collé cette expression babélienne de "langues partenaires" et qu'aurions-nous diable à disserter à ce propos, s'inquiétait mon jeune Camerounais au bon sens éprouvé ? Que dalle! lui répondis-je tout de go. Langue de coton de papas universitaires ! Ils proposent et nous disposerons: nous parlerons de nos parlures et de nos façons à nous de lire et d'écrire en nos périphéries dans la langue de Rabelais et de Voltaire qui est celle aussi d'Aimé Césaire et d'Amadou Hampâté Bâ, où tous nous sommes propriétaires et partenaires à la fois, à grappiller de concert à l'arbre aux mots pour en faire notre miel millénaire. Poil au blair !