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Le messager

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Christopher était attentif à la multitude.  

Le bruit le plus infernal ne dérangeait pas plus Christopher que le silence obtus de certains couloirs administratifs ou bancaires, tant l’immunité lui était naturelle, comme à la fourmi conséquente la capacité de s’abstraire momentanément du Système collectiviste si, pour telle ou telle raison, s’imposait à elle la nécessité de se défendre en tant qu’individu responsable.

 

Jonas avait transmis à Christopher tout ce qu’il savait des hyménoptèreset des laboratoires pharmaceutiques dirigés par les moines taoïstes à l’époque de l’empereur Qin, lequel avait exigé comme on sait, de ceux-là, l’élaboration d’un élixir d’immortalité fiable, sous peine de mort.   

 

De son poste d’observation de Brooklyn Heights, autant que sur les Zattere de Venise où Lady Light s’exerçait tôt matin au taï-tchi, au pied des maisons de Naples fleurant le savon cuit des lessives ou le long des quais du Prinsergracht dont nul n’a jamais su dire s’ils montent ou descendent, Christopher, avec ou sans Jonas, proche ou séparé de Lady Light, restait conscient de ce qui, par séparation d’angle, distingue l’Un du Multiple, le chien Chaïm d’Olga ou le bondissant Youpi de Rachel - tous deux tellement vivants et personnels -, de la foule en meute des clebs sans nom qu’on massacre par décret policier, tel jeune soldat unique au monde dont la femme espérait le retour, des milliers de fusiliers ou de fusillés commis à la surveillance passée ou future du Tyran, ou ses victimes.  

  

Christopher ne se prononça jamais en matière d’organisation sociale ou politique, mais sa lucidité de malade restait d’une acuité extrême, au moins égale à celle de Jonas et plus douloureuse aussi, sans qu’un mot jamais n’en fût dit, tant le sentiment de l’inéluctable et la certitude intime de ce qui l’attendait le prenaient à la gorge quand il oubliait de s’oublier. 

 

Et dire que ça va m’arriver. Et dire que c’est moi que ça vise. Et dire que c’est moi qui ne sera plus moi. Et dire, Jonas, que je ne serai plus là pour me pleurer avec toi.

 

Ces deux-là eussent-ils été capables, pour autant, d’infléchir en quoi que ce soit les tendances mortifères de la foultitude ? Hélas on est prié de déchanter, sauf à considérer que c’est ailleurs que CELA se passe. 

 

Le sable est sans parti, avait écrit le Tout Vieux Monod dans ses carnets, et Sam l’avait recopié à son usage, sur quoi Jonas l’avait transmis à son tour à Christopher qui l’avait répété à Lady Light. 

 

Une ermite proche de Lady Light, précisément, au nom de Theresa Mancuso, avait noté sur un feuillet : « Ce dont nous avons désespérément besoin, c’est d’affronter la réalité telle qu’elle est ».  

 

C’est pourquoi Christopher, aussi n’en finissait pas de chercher de nouvelles chansons et de laver d’autres aquarelles.

 

Jamais la réalité telle qu’elle est ne sera réductible à quelque statistique que ce soit, mais Christopher en aura joué comme de comptines ou de mantras, sans penser à bien ni à mal, comme lorsque Léa, à l’harmonium de la chapelle d’Anniviers, changeait de registre en lui souriant avec sa malice particulière de confidente d’éventuelles créatures ailées jamais fatiguées de son jeu de soufflets. 

 

Reste à savoir de quoi Christopher aura réellement été le messager ? 

 

Jonas en témoignera : cela fait partie du job que lui a confié le Romancier.

 

(Extrait d'un roman en chantier)

 

Peinture: Andrea del Sarto

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