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  • Ceux qui angoissent

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    Celui qui attend les résultats / Celle qui se demande quand le verbe s’angoisser est devenu ce qu’il est / Ceux qui se massent à la frontière sud / Celui qui espère avoir son « entrée » dans l’Encyclopédie chinoise / Celle qui reprend la théorie du complot à son compte avec l’arrivée dans le quartier des Bleuets des réfugiés sûrement de mèche avec le califat / Ceux qui parlent fort dans le souterrain au point que ça s’entend dehors / Celui qui veut sortir de l’euro pour entrer dans la pesète / Celle qui a fait un prêt à son coiffeur Tsipras qui propose maintenant de la raser gratis / Ceux qui analysent la situation géopolitique et en tirent une théorie du chaos qui éclaire tout / Celui qui ne sait comment gérer son épouse Frieda qui fait de l’évasion fiscale à son insu / Celle qui collecte des dons pour le soutien des épouses larguées par les chercheurs en littérature romande / Ceux qui  consacrent une minute de compassion aux migrants de la Méditerranée avant de poursuivre leurs travaux en génétique du sous-texte / Celui qui se met en peine de se farcir les 616 pages de Tout peut changer de Naomi Klein en prenant garde de ne pas se le lâcher sur le pied gauche après s’être amoché le pied droit avec les 476 pages du magistral Tu dois changer ta vie de Peter Sloterdijk / Celle qui a entendu dire que Naomi Campbell avait publié un essai sur le gaz de schiste et tout ça / Ceux qui vont installer une hotte de ventilation dans le cagibi qu’ils louent aux Syriens clandestins / Celui qui admoneste la requérante d’asile qu’il a surprise à voler Le Temps au tea-room Chez nous en lui faisant comprendre que chez nous on ne vole pas le temps / Celle qui a mis tous ses œufs dans le même panier qu’elle couve maintenant du regard / Ceux qui invoquant la situation internationale punaisent sur leur yourte le feuillet portant ces mots en turkmène :« Non, nous ne jouons plus au loto », etc.

    Peinture: Pierre Lamalattie

  • Crainte et tremblement

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    De son côté, Lady Light s’inquiète du sort de Katmandou.

     

    Après que Jonas lui eut appris que Chloé, spy-doctor spécialisée en chirurgie dramatique, et Cécile, forte de sa riche expérience des amenées d’eau en zones sinistrées, Lady Light n’eut de cesse, tous les jours, d’obtenir de nouvelles informations précises sur les séquelles de la catastrophe et le travail effectif des filles de Théo et Léa sur le terrain.

     

    Comme l’ont vérifié tant de fois ses proches, l’extrême souci d’exactitude et de précision de la vieille aveugle a toujours été une composante essentielle de son approche personnelle, comme l’illustre, aussi bien, le récit qu’elle a fait récemment à Jonas de cet épisode saisissant de l’obscurcissement soudain du ciel par la sombre nuée de milliers de renards volants au soir de l’assassinat du nouveau prince, un jour qu’elle se trouvait à Katmandou avec Christopher. 

     

    De même montra-t-elle le plus vif intérêt lorsque Jonas lui rapporta, quelques mois auparavant, les détails d’une action à laquelle avait participé Cécile en Guinée-Bissau , consistant en l’installation d’un vaste réseau de canaris à robinets, auxquels Florestan le mal rasé, au titre d’ingénieur polyvalent, avait amené de significatives améliorations.

     

    Lady Light, prodigieusenent attentive aux détails insolites, cocasses ou mystérieux, du monde en tant que tel, ne l’était pas moins, et plus encore peut-être, à la singularité des gens, à leurs coutumes et à leurs douleurs, à leurs croyances et mécréances, à ce qu’ils enduraient par la faute de leurs semblables ou, comme il en allait des sans-abris de Katmandou, à ce qu’ils subissaient en groupe ou cas par cas des suites d’un désastre échappant à toute planification humaine. 

     

    Du fait de sa propre expérience médicale, que ses rallonges d’activité auront fait avoisiner le demi-siècle, Lady Light ne s’étonna guère de la gabegie politique et policière qui avait freiné l’aide aux sinistrés, ainsi que le rapportait Cécile dans l’un de ses courriels à Jonas,mais un détail des récits de la jeune humanitaire free lance la frappa plus précisément, observé le soir suivant la première secousse de haute magnitude, lorsque Cécile et Flo le mal rasé s’étaient trouvés autour d’un feu en compagnie d’une trentaine de locaux sur Jamal Sadak Road où, tout à coup, les fils électriques liés à un pylône s’étaient mis à trembler, signe précurseur connu d’une possible réplique du séisme.

     

    Quant aux gens, estimait en outre Lady Light, ils resteront toujours, et où qu’on aille, aussi indécrottablement touchants qu’imbéciles, tel l’inénarrable Clancy, factotum et surveillant autoproclamé de son immeuble de Brooklyn Heights quand, l’entendant parler de la tragédie de Katmandou avec Jonas, dans l’ascenseur à poulies les descendant de leur cinquième étage, il crut bon de marmonner , à sa façon de prophète chafouin, que sans doute les Népalais avaient dû pécher gravement pour que Dieu leur infligeât ainsi crainte et tremblement…

     

    Katmandou s’était considérablement développé depuis les années où, cheveux longs et idées vagues, des milliers de jeunes compatriotes de Lady Light (dont certains de ses camarades de fac en mal deNirvana) avaient débarqué là-haut pour y fumer le chillum et prononcer des incantations dans quelque ashram, avant de poursuivre sur Goa. 

     

    Or ces menées orientalisantes des sixties, plus ou moins enjolivées par la tradition orale et divers livres-cultes,  n’avaient pas eu la moindre influence sur le choix de Cécile et Chloé de s’engager avec leurs compagnons, mais les sanctuaires effondrés, les boutiques de la vieille ville réduites en miettes, les quartiers dévastés à côté d’autres qui semblaient avoir été protégés par qui sait quelle puissance supérieure dont le sieur Clancy semblait entrevoir le motif des décisions, et surtout les gens, plus ou moins affolés ou affichant au contraires des airs insouciants, qui affluaient en masse sur l’esplanade de Tundikhel pour fuir leurs bâtisses menacées d’effondrement, ne les avaient pas moins touchées les premiers jours, avant la mise en place d’un début d’action concertée où elle s’étaient senties parties utiles d’une vrai mouvement de bénévolence collective (surtout Chloé requise dans l’arrière-pays par les services d’urgence) qu’elles avaient largement commentée dans leurs courriels quotidiens à Léa, sans en rien laisser filtrer sur Facebook.

     

    À propos de la réaction de l’insortable Clancy : La lectrice et le lecteur auront peut-être conclu à la stupidité exceptionnelle d’un individu particulier en prenant connaissance du jugement du dénommé Clancy, incriminant la responsabilité des Népalais dans le déclenchement du séisme du 25 avril 2015 et de ses répliques. Or l’explication punitive de Clancy, inspirée par une conception traditionnelle de la Justice divine, fut maintes fois reprise, et dans toutes les langues, sur la Toile, par les internautes de l’Oecumène mondial également convaincus que Dieu n’en finit pas de châtier l’Infidèle, alors que d’autres opinions non moins assurées invoquaient la vengeance de Gaïa ou le contrecoup, scientifiquement avéré, des atteintes réitérées aux sols profonds,  par les prédateurs multinationaux de l’or noir et leurs suppôts. Mais sait-on seulemnent s’il ya du pétrole en Himalaya ?

     

    (Extrait d'un roman en chantier)