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  • Ceux qui ont l'air dans la lune

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    Celui qui veille la convalescente / Celle qui fait la sieste dans la chambre bleue / Ceux qui gardent les yeux ouverts dans la pénombre / Celui qui entend le cliquetis des sabots sur le marbre blanc du quai de l'île de Hvar /Celle qui retrouve ses amies du Cercle des brodeuses éclectiques / Ceux qui jouent aux Dames en invoquant la domination masculine en matière de théologie dogmatique / Celui qui se prépare à Carnaval / Celle qui rêve à 15 heures qu'elle est morte et se réveille vivante à l'heure du goûter / Ceux qui s'enfilent entre les draps des heures paresseuses /Celui qui relit les récits de Tchekhov dans le square ombragé / Celle qui reçoit à 14 heures le Monsieur posé / Ceux qui ont gardé leurs vieux mocassins / Celui qui effeuille l'effeuilleuse / Celle qui de rage te jette un cil / Ceux qui ont l'âme rouillée et le coeur genre poisson sec / Celui qui ne connaît bien de Menton que son cimetière à monuments Art Nouveau / Celle qui s'attarde au reposoir avec le garçon aux joues orangées et lèvres pulpeuses d'abricot humain / Ceux qui se dandinent dans le couloir des juges / Celui qui lit Une vie de Maupassant en se curant les dents au moyen d'une tige de rotin dite ndongo ndongo / Celle qui se dit que sa vie est un jeu d'échecs dont elle est la Reine en attente du Cavalier puisque le Roi s'est fait coffrer pour blanchiment d'argent / Ceux qui écrivent des lettres aux gens / Celui qui évite tout rassemblement de plus de deux personnes / Celle qui voit une étoile dans son absinthe / Ceux qui dans le TGV se racontent des histoires de Q / Celui qu'un ange protège / Celle qui offre un train miniature à son conjoint retraité des postes / Ceux qui jouent à chat perché entre chiens perdus / Celui qui a tué une fois pour toutes / Celle qui entreprend des démarches concernant la vie après la mort et tout ça / Ceux qui pensent que leur vie est sur écoutes / Celui qui pense que la douleur est un mystère / Celle qui croit que la poésie est un mystère / Ceux qui savent que le mystère de la poésie soigne le mystère de la douleur, etc.

  • Mémoire vive (79)

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    On écrit un roman en l’écrivant, me dis-je sans  craindre du tout la lapalissade, car il est vrai que la chose se fait une phrase et une page après l’autre où chaque phrase et chaque page nouvelles découlent d’une expérience à tout coup surprenante. C’est ainsi que j’ai écrit Le viol de l’ange, à la fois à tâtons et dans une sorte de transe lucide relancée chaque matin, encore à fleur de subconscient et sous fine lame de surconscience. A tout coup et dans le mouvement: cette révélation de chaque nouvelle phrase et de chaque nouvelle page.

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    Le roman comme une grande rêverie modulée par des personnages aimables, au double sens du terme, qui soient à la fois des sentiments et des pensées incarnées. 

    Jonas serait ainsi l'incarnation du fils échappant à la tyrannie suave de son père écrivain à succès assez typique du pervers narcissique, en somme l'opposé du rejeton ressentimental de la Lettre au père de Kafka. 

    Nemrod est le type du littérateur qui se paie de mots, touchant un public qui n'attend en somme que ça: qu'on dore la pilule. Or, dès son enfance, Jonas voit clair, soutenu par les regards entendus du vieux Sam jamais dupe des simulacres, de Rachel également revenue de loin, autant que de Marie qui voit de près le double jeu de son conjoint despotique se la jouant très humble et très incompris sur les estrades et lui ramenant ses camisoles à laver entre deux cavalcades. Le roman se promenant alors comme une loupe sur ce petit monde - le roman comme science parallèle.

    La peinture de Théo, et plus précisément le portrait de Léa auquel il travaille à ce moment-là, brasse l'histoire de Léa et l'histoire du portrait des origines à ces derniers jours, dans la synchronie de l'Oeil convaincu que ce qu'il voit le regarde, aussi son histoire à lui se mêle-t-elle à ce brassage, où les portraits antérieurs de Jonas et de Christopher marquent d'autres étapes. Or cela me tient lieu de repère tandis que je traque le visage de Lady L. qui a passé par tous les états de l'approche sans dessin (je ne dessine qu'avec les couleurs et de strate en strate) qui l'ont fait ressembler à une pomme crue puis à une pomme cuite, à une ado bronzée puis à un humoriste célèbre (le nom de Franck Bosc lui est venu pour me scier), mais ce matin j'ai ses yeux pervenche bruns-gris-vert-bleu et la bouche viendra dans la journée, enfin on peut rêver - formule idiote.

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    Henri Michaux à propos de ce thème récurrent du grand langage oublié qui m'a souvent fait songer: "Le désir, l'appel et le mirage d'une vraie langue directe subsistent encore en moi malgré tout."

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    Les mystiques vaticinent « en langue » et le poète  tâtonne de sa canne blanche de sourcier.  

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    Unknown-4.jpegJe reviens à Michaux depuis ma seizième année, comme le kangourou, à petits sauts parfois latéraux ou rétrospectifs, rarement attardés mais vifs viatiques, bons pour la poche. Georges Anex nous lisait Plume le samedi matin. C'était entrer dans un monde parallèle plus dense que le monde à la fenêtre (les arbres de la cour de la Cité comme sous une loupe où les hannetons processionnaient tels de petits moines espagnols à pèlerines brunes et palpeurs cherchant Dieu), et je me souviens d'avoir relevé le défi que nous lançait le même prof, familier de Charles-Albert Cingria et de Gustave Roud, en nous proposant d'ahurissants thèmes de composition française tirés de Face aux verrous - j'ai dû garder ma copie  quelque part qui a eu droit à une prime à l'audace, mais j'hésite sur le titre, où il était question de Rolls-Royce... 

    En y cherchant je trouve d'autres perles: "Comme on détesterait moins les hommes s'ils ne portaient pas tous figures", ou "Ne pas se laisser condamner à défaire les chignons de bronze", ou "New York vu par un chien doit se baisser", ou "Les jeunes consciences ont leplumage raide et le vol bruyant", et ceci que je me répète à chaque éveil:"Le matin, quand on est abeille, pas d'histoires, faut aller butiner". 

    Fausses sentences et vraie semblance de sagesse.

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    Le roman est à avancer tout ensemble, tous les chapitres se tirant-poussant les uns les autres en synchronie polyphonique.

     

    Simenon4.jpgÀ La Désirade, ce samedi 28 février. -   En faisant tout à l’heure mes 30 kilomètres de home-cycle sur place alors que le soleil descendait sur le lac, j’ai regardé Le chien jaune de Simenon, adapté au ciné par Claude Barma, avec Jean Richard dans le rôle de Maigret. Vraiment pas mal, dans un noir/blanc tantôt velouté et tantôt plus bitumé rendant bien le climat portuaire (à Boulogne-sur-mer) de cet épisode plombé par le portrait de groupe de deux abjects personnages, ratés et salauds, en contraste avec deux braves jeunes gens mal barrés mais finalement « sauvés » par le commissaire.  Toujours le bon vieux préjugé du fils d’Henriette, contre les bourgeois et pour les braves gens. 

     

    Ensuite, en prime time, nous aurons subi les vingt premières minutes d’une nouvelle série de la télé romande, intitulée Station Horizon et se la jouant western bike-movie sur fond de montagnes valaisannes. Or, autant le découpage du Maigret, ses personnages et son dialogue sont reconstruits dans l’esprit du romancier, avec autant d’intelligence narrative que de sensibilité, autant le feuilleton romand défaille illico par manque de psychologie, accumulant les clichés et les références-poncifs sans aucun ancrage crédible. Le Route 66 relookée bas-Valais avec ses ringards à catogans et ses bimbos genre cousines texanes de Bonnie Raitt, non mais ! Et le geste fatal du youngster aux yeux farouches versant le contenu de son demi sur la rude botte du dur de dur le regardant de haut : rien que du déjà-vu…

     

    À croire que, dans ce pays où il y a tant de matériau  social, ou bonnement humain, à travailler, l’on soit infoutu d’imaginer autre chose que du copié-collé pseudo-ricain et platement nostalgique (la séquence supérieurement idiote où l’ex-taulard biker barbu explique à  une petite-fille que de son temps on voyait des films en plein air sans forcément regarder l’écran tu-comprends-petite-ouais-je-comprends), et que je te colle une affiche de La fureur de vivre en arrière-plan etque je te sorte ma musique à bouche pour musique à boucher le trou de tout ce vide…  

    Le cher Nicolas Bideau, toujours à la pointe du marketing culturel  disait il y a peu son désir de séries suisses cartonnant dans la foulées de Borgen, et c’est vrai - Jean-Stéphane Bron l’a prouvé avec Le génie helvétique,avant le formidable docu-fiction qu’il a réalisé avec Cleveland contre Wall street – que la Suisse pourrait être le décorde séries aussi crédibles que The Wire,genre docu, ou que Breaking bad, dans l’exploration des zones grises ou graves de notre admirable pays, si tant est que des scénaristes et des dialoguistes (et des producteurs et peut-être même une industrie chocolatière du cinéma suisse ) surgissent contre toute attente, ce qui manque un peu même à Zurich où, à ma connaissnace, le mémorable Grounding de Michael Steiner n’a pas eu de suite…

     

    Unknown-7.jpegÀ L’Atelier, ce dimanche 1er mars. – En finissant de préparer les vingt sacs de livres que je vais apporter prochainement à la Pensée sauvage, impatient de faire un peu de place dans mon capharnaüm sans me résoudre facilement à me séparer de tant d’ouvrages que probablement je ne lirai jamais dans ce qui me reste de vie et que j’estime cependant faire partie du corps de ma bibliothèque, je ne cesse de retomber sur tel ou tel rossignol que je cherchais récemment, tels ces écrits terriblement fumeux  de l’Internationale situationniste et, moins daté, La société du spectacle de Guy Debord, l’essai sur la religion d’Albert Caraco, les carnets de Louis Calaferte et l’édition anglaise complète des nouvelles de William Trevor; ou alors j’en retrouve d’autres pas censés se trouver ici et qui semblaient m’attendre, telles ces Folies françaises de Sollers que j’ai failli racheter faut de le retrouver alors que je voulais y comparer l’inceste père-fille avec le non moins sulfureux inceste frère-et-sœur de L’école du mystère. Sur quoi je retrouve, aussi, le dialogue de Sollers avec le « journaliste transcendantal » Maurice Clavel, intitulé Délivrance et remontant aux lendemains de Mai 68, où l’ex-hégélien-ex-mao de Tel Quel en découd (assez amicalement à vrai dire) avec le kantien du Nouvel Obs’ rappelant qu’il avait senti venir (et espéré) le vent frondeur ; ou enfin Nabes’Dream, le premier volume pléthorique du journal intime de Marc-Edouard Nabe dans lequel il est souvent question de ses compères foireux de Hara-Kiri et Charlie-Hebdo… 

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    Pour le Vocabillard : le verbe Solutionnementer, procéder à la solutionnementation de la problématique. Ne se disant qu’en envisageant tous les niveaux du contexte au plan du cadre. Ou ceci encore : Psycholérapeute, porteur du psycholéra.

    Ou encore : Sensuline, médicament qui fait palpiter les vierges. 

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    Ado66.jpgEntre autres propositions recevables d’une contre-folie d’époque,  glanées dans L’Ecole du mystère : « Entrer dans le noir nocturne des arbres, pour mieux voir leur vert les matins d’été. Être assis négligemment au bord de la fosse qu’on a fait creuser pour vous enterrer, et là, surprise dans le film, allumer une cigarette. Être somnambule très tôt, noter ses rêves,s’endormir n’importe où en trois minutes, Être sourd quand il faut. Mais rester attentif au moindre changement d’accent dans les mots. Être familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, mystère de la foi ».

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    Vernet.jpgEn novembre dernier, sur les Zattere de Venise, sorti de l’église dai Gesuati, je m’étais assis à la terrasse ensoleillée quand Sollers a passé, massif et concentré, pour s’enfiler dans la trattoria dont il parle dans Médium, son roman précédent. Le roman continuait en somme. Et je lis à l’instant dans L’école du mystère : « Quel roman, mes enfants! Une divinité sans nom se balade sur les océans en choisissant ses fidèles. Ca ne se mérite pas, c’est gratuit, seule une attention soutenue suffit. Soudain, la voici. Rien n’est changé, mais tout change ».

    Je souligne : « Seule une attention soutenue suffit »...

     

    Ziegler02.jpgÀ La Désirade, ce lundi 2 mars. – Des jours sans. Plus aucune énergie. Manque aussi de motivationet d’aucune stimulation après un quart d’heure confronté à la cata mondiale filtrée par les journaux et les médias. Hier soir repris la lecture de Retournez les fusils de Jean Ziegler, mon gâte-sauce préféré, qui nous enjoint de « choisir notre camp », ce qui va de soi, mais la politique et la philosophie ne me suffisent pas à certains moments. Besoin de souffles plus vitaux. Alors Théo revient à Rembrandt, à Soutine et à Cézanne, et je reprends Révérence à la vie du vieux Monod qui me disait, un soir au téléphone, que l’avenir selon lui était aux scarabées vu que l’homme avait tout gâché.

     

    Et c’est vrai que l’Art et la Poésie sont plus forts que la force. Ainsi,cet après-midi, captant par hasard, en voiture, l’émission Vertigo, j’entends le sculpteur Yves Dana parle de ses dialogues avec la pierre. Discours parfait: l'intelligence sensible au bout des doigts.

     

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    Et puis tant d’amours nous soutiennent, au sens multiple de nos très proches et de quelques amis choisis - or voici le nouveau tapuscrit de Max le Bantou qui m’enchante par sa façon de vocaliser la mémoire d’une merveilleuse vieillarde se rappelant l’enfantement à douleurs de l’Indépendance. 

     Unknown-3.jpegEt les chers disparus qui la ramènent en se faufilant de livres en livres. Ainsi aurai-je repris ce matin la lecture de la monumentale bio de Michaux par Jean-Pierre Martin, vraiment surprenante et par sa matière et par sa façon très personnelle de restituer celle-ci, intéressante aussi par la quantité des détails concrets ou cocasses, à tout le moins révélateurs, notamment sur l’enfance verrouillée et l’arrière-plan familial – ce matin aussi les lettres de guerre du grand frangin Marcel aux siens, avec ses affectuosités à Poussy. Vraiment très bien d’imaginer que le cher HM ait pu se trouver surnommé Poussy en ces années plus ou moins tendres.

     

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    Louis Calaferte dans Situation, carnets de 1991 : « Je suis faiblesse dans ce monde de vainqueurs ». Ou ceci à méditer : « Les enfants sont d’abord attentifs à leur sécurité morale ». À distinguer autant de la morale moralisante que de l’immoralisme. Ou ceci encore : « La poésie, c’est la Joie intérieure, la Force à l’état pur, la Violence de Dieu ». Rien à voir, en effet, avec la poétisation poétique des poètes poétisant en cénacles subventionnés et se remerciant mutuellement d’exister.

    Ou cela enfin : « Les doigts entendent » et, cité deTertullien et me faisant tomber des nues: « Les Tables de la Loi nesont pas écrites dans la pierre mais dans la nature ».

     

    Ainsi valait-il la peine de « faire avec » ce « jour sans »… 

     

    À La Désirade, ce mercredi 4 mars. – Jour blanc. Toutes les heures à disposition. Tâcher dene pas dévier de la Voie. Commencé par la pensée du roman, à propos de Théo.Tâcher de mener à bien sa première traversée de la chair, à propos du portraitde Léa. Ce qu’il aimerait en saisir et les obstacles. Ce qu’il endure dans sachair à lui en proie au crabe, où la sourde doulouprogresse – grande fatigue ce matin. Et ce qu’il voit de Léa. Le plus difficilequi l’attend sera d’en capter l’aura. Risposta col tempo. Ne pas citer cependant le nom de Giorgione. Je voudraisun roman pure de toute référence explicite.

     

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    images-2 2.jpegCeci de troublant dans Meursault contre-enquête, à propos de L’étranger de Camus, par la voix du vieil Haroun : « Le succès de ce livre est encore intact, à en croire ton enthousiasme, mais je le répète, je pense qu’il s’agit d’une terrible arnaque. Après l’Indépendance, plus je lisais les livres de ton héros, plus j’avais l’impression d’écraser mon visage sur la vitre d’une salle de fête où ni ma mère ni moi n’étions conviés. Tout s’est passé sans nous. Il n’y a pas trace de notre deuil et de ce qu’il advint de nous par la suite. Rien de rien, l’ami ! Le monde entier assiste éternellement au même meurtre en plein soleil, personne n’a rien vu et personne ne nous a vu nous éloigner. Quand même ! Il y a de quoi se permettre un peu de colère,non ? Si seulement ton héros s’était contenté de s'en vanter sans aller jusqu’à en faire un livre ! Il y en avait des milliers à comme lui, à cette époque, mais c’est son talent qui rendit son crime parfait ».

     

    Est-ce dire que Kamel Daoud confonde, par la voix de son vieux témoin, l’Auteur et son meurtrier ? Pas vraiment et pourtant, pourtant, on est troublé. Et vous, où étiez-vous à  quatorze heures cejour-là ?