(Dialogue schizo)
À propos d’American sniper, de l’esprit de vengeance et du cercle vicieux du « c’est-pas-moi-c’est-lui »…
Moi l’autre : - Alors, comment tu te sens, Guillaume Tell ?
Moi l’un : - Si j’étais Guillaume Tell, ce qu’au Seigneur des armées ne plaise, je ne me sentirais pas fier à la sortie de la projection d’American Sniper. Je dirais même : la honte… J’y crois pas : le finale triomphal en ode à ce prétendu héros dont le seul titre de gloire est d’avoir flingué 160 « sauvages » à distance, est à mes yeux un crime contre l’humanité...
Moi l’autre : - Eh, tu y vas fort,camarade !
Moi l’un : - J’y vais aussi fort que je trouve faible, voire nul, l’accueil de la critique dans nos pays. Non mais je rêve : tu ne vois pas ce qui cloche là-dedans ?
Moi l’autre : - Qu’est-ce qui cloche tant ? Le patriotisme ? L’argument défensif après les attentats du 11septembre ?
Moi l’un : - Absolument pas. L’amour des Américains pour leur pays me semble tout à fait défendable, et je comprends leur colère après l’attaque des fous furieux. Le problème n’est pas là. Ce que je trouve incroyable, c’est que, tant d’années après la tragédie et tout ce qui en a découlé, un réalisateur qui dit s’être opposé à l’intervention américaine en Irak, et qui a montré tant d’empathie pour l’ancien ennemi japonais dans ses Lettres à Iwo Jima, réduise, dans American sniper, une guerre injuste, de type impérialiste, justifiée par des mensonges, à une suite d’opérations contre un ennemi dont la seule qualification est la sauvagerie absolue. Or nos chers critiques, ou du moins ce que j’en ai lu, n’ont pas une réserve à ce propos. Pas une réserve sur l’absence totale de cadrage historico-politique. Pas un mot sur ce que subit le peuple irakien, réduit à quelques civils apeurés et potentiellement traîtres. Gros plan en revanche sur le placard du Boucher, séide d’Al Zarkawi, rempli de têtes coupées et de morceaux de corps sanguinolents. Voilà les seules images, alors que de texte il n’est pas question. Pas un instant distrait de la seule trajectoire du prétendu héros de l’Axe du Bien, consistant à aligner les cartons…
Moi l’autre : - Mais l’acteur est super, tu ne trouves pas ?
Moi l’un : - Aussi super que le petit garçon sournois, porteur de la grenade antichar que lui file sa mère, cette diablesse, est super en se faisant éclater par « notre héros ». L’accessoiriste aussi est super avec son ketch up ! Bref tout ça est techniquement super, pour un discours super-démago...
Moi l’autre : - Mais tout ça n’est-il pas quintessentiellement américain ? Tu te rappelles Les Bérets verts ? Même que nous sommes descendus dans la rue pour nous opposer à sa projection … Les Viets aussi, vus par John Wayne, étaient réduits à des sauvages...
Moi l’un : - J’ai toujours trouvé cette histoire de « quintessence » nationale idiote, surtout s’agissant d’un pays qui n’a cessé de distiller autocritique et contradiction. Par ailleurs, je refuse de réduire les States à l’alternative colt et anti-colt. Or on l’a vu dans Lettres d’Iwo-Jima, Clint Eastwood est parfaitement capable d’envisager l’humanité de l’«ennemi », ce qui n’est aucunement le cas dans American sniper.
Moi l’autre : - Ceci dit, le sniper n’est pas d’une pièce. Il est aussi travaillé par ce qu’il a vécu…
Moi l’un : - Bah, ça me semble réduit à des effets très secondaires, pour ne pas dire des états d’âme. Dans Deer hunter de Michael Cimino, et dans un tas de témoignages sur les séquelles du Vietnam, c’est d’une autre force et l’on compatit. Ici, cela reste très superficiel, et voir ce prétendu héros aider les anciens Marines sans jambes ou sans bras à se remettre au tir, vraiment c’est à devenir quaker…
Moi l’autre : - Je sens que tu vas parler de La loi du Seigneur…
Moi l’un : - Exactement, puisque nous l’avons vu la semaine passée ! Autre preuve que le goût « essentiel » des Ricains connaît des nuances, et pas que depuis Michael Moore.
Moi l’autre : - Résumons le tableau : la secte des Quakers est pacifiste à mort et refuse de prendre les armes en pleine guerre de Sécession, jusqu’au jour où les rebelles s’en prennent à leurs maisons. Là, l’argument défensif devient massue. Entre les partisans de la non-violence absolue et les « réalistes » qui finissent par prendre les armes, le personnage central, incarné par Gary Cooper, s’en tire sans tirer… et après avoir été presque flingué par un sudiste, il le laisse partir désarmé. Mémorable moment de fraternité.
Moi l’autre : - Tu sais que Reagan a montré le film à Gorbatchev quand celui-ci est venu prendre le thé chez lui ?
Moi l’un : - Oui, et la preuve que les choses ne s’arrangent pas, c’est que le Tea Party trouve American sniper un peu mou. Bref.
Moi l’autre : - Donc il ne faut pas, d’après toi, voir ce film patriotard et simpliste ?
Moi l’un : - Au contraire : il faut le voir et en parler, comme il faut voir 52 nuances de gris et en parler.
Moi l’autre : - Non, tu ne vas pas m’imposer ça ? Pitié !
Moi l’un : - Aucune pitié : je sors mon fouet, misérable doublure. JE est un autre, a dit je ne sais quel poète entiché d'Arabie. Et comme l’Autre est un sauvage, selon notre ami Clint, tu vois ce qui t’attend…
Commentaires
Clint Eastwood est le seul cinéaste d'extrême droite que le nouvel obs vénère!