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  • Ceux qui en redemandent

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    Celui qui affirme que « l’islam est une saloperie soutenue par des salauds traîtres et collabos » en pleine conformité avec ses idées d’ancien juge d’instruction valaisan qui en redemande sur Twitter après l’assassinat d’un Albanais dans une mosquée de Saint-Gall / Celle qui réclame le rétablissement de la peine de mort avec effet immédiat en pleine conformité avec l’humanisme radical de celui qui en redemande et même plus / Ceux qui estiment que la crétinisation de la Suisse n’est pas une fatalité si l’on applique la peine de mort symbolique aux idées  des hystériques qui en redemandent / Celui qui ne dira pas que le catholicisme valaisan est une saloperie soutenue par des salauds traîtres et collabos vu qu’il ne le pense pas et que par ailleurs l’affirmer lui vaudrait d’être poursuivi par l’ancien juge d’instruction valaisan dont le bras reste aussi long que ses idées sont courtes / Celle qui n’écrira pas sur Facebook que le député UDC valaisan Addor n’est qu’un trou du cul provocateur en voie de tapinage électoral vu qu’un strict devoir de réserve lui est imposé en tant qu’institutrice de centre-gauche / Ceux qui flirtent avec la ligne jaune en affirmant que les Rouges sont à lyncher autant que  les Noirs / Celui qui estime qu’un mur doit être élevé autour de la Suisse avec juste deux ou trois souterrains pour la libre circulation des banquiers  / Celle qui remarque qu’il suffit de couper la tête aux porteuses de voile au motif que le Seigneur n’a pas dit le contraire / Ceux qui dérapent dans les lignes d’extrême-droite au dam des religieuses valaisannes  voilées qui n’en redemandent pas tant, etc.

    (Cette liste a été établie au retour d’une virée en Suisse profonde où il reste des traîtres et des collabos opposés à l’imbécillité xénophobe et raciste)

    Image : terroriste valaisanne voilée à tendances pédophiles.

  • Minutes heureuses

      

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                                                                                   Pour L. 

     

    Nos premières matinées amoureuses.

     

    Les pluies d’été aux fenêtres ouvertes

     

    de l’Albergo Toscana

     

    où descendit jadis

     

    le poète Alexandre Blok ;

     

    et la couleur orange

     

    aux fins d’après-midi

     

    sur le Campo.

     

    Nuits siennoises.

     

    Et les crêtes lunaires au bord du ciel,

     

    vers Asciano.

     

    Ensuite,

     

    Le premier rire

     

    du premier enfant ;

     

    et le premier rire non pareil

     

    du second.

     

    Et tous les rires des enfants le dimanche.

     

    L’apéro de la smala.

     

    Le rôti des dimanches.

     

    Présentation de la future.

     

    Limoncello de tout ce qui commence.

     

    Et puis,

     

    les moments allégés d’après l’amour.

     

    Les soupirs, les aveux, les pardons, les projets.

     

    Et encore,

     

    Les heures à se parler,

     

    les silences apaisés,

     

     les heurts et douleurs,

     

    les écarts et regrets.

     

    Et enfin,

     

    la douceur des jours

     

    accordés.

     

    Tout ce temps retrouvé... 

     

                                                                 (Cap d’Agde, ce dimanche 1er juin)

     

    Peinture: Pieter Defesche, gouache pour la naissance de L. , 1948. 

  • Gaza est notre affaire

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    L'archevêque émérite Desmond Tutu, dans un article exclusif pour le journal Haaretz, appelle à un boycott mondial d'Israël et demande aux Israéliens et aux Palestiniens de réfléchir au delà de leurs dirigeants à une solution durable à la crise en Terre Sainte.

     

    Mon plaidoyer pour le peuple d'Israël: Libérez-vous en libérant la Palestine !



    Les dernières semaines, des membres de la société civile du monde entier ont lancé des actions sans précédent contre les ripostes brutales et disproportionnées d'Israël au lancement de roquettes depuis la Palestine.

     

    Si l'on fait la somme de tous les participants aux rassemblements du week-end dernier exigeant justice en Israël et en Paslestine - à Cape Town, Washington, New-York, New Delhi, Londres, Dublin et Sydney, et dans toutes les autres villes - cela représente sans aucun doute le plus important tollé de l'opinion citoyenne jamais vu dans l'histoire de l'humanité autour d'une seule cause.

     

    Il y a un quart de siècle, j'ai participé à des manifestations contre l'apartheid qui avaient rassemblé beaucoup de monde. Je n'aurais jamais imaginé que nous assisterions de nouveau à des manifestations d'une telle ampleur, mais celle de samedi dernier à Cape Town fut au moins aussi importante. Les manifestants incluaient des gens jeunes et agés, musulmans, chrétiens, juifs, hindous, bouddhistes, agnostiques, athéistes, noirs, blancs, rouges et verts... C'est ce à quoi on pourrait s'attendre de la part d'une nation vibrante, tolérante et muticulturelle.

     

    J'ai demandé à la foule de chanter avec moi : "Nous sommes opposés à l'injustice de l'occupation illégale de la Palestine. Nous sommes opposés aux assassinats à Gaza. Nous sommes opposés aux humiliations infligées aux Palestiniens aux points de contrôle et aux barrages routiers. Nous sommes opposés aux violences perpétrées par toutes les parties. Mais nous ne sommes pas opposés aux Juifs."

    Plus tôt dans la semaine, j'ai appelé à suspendre la participation d'Israël à l'Union Internationale des Architectes qui se tenait en Afrique du Sud.

     

    J'ai appelé les soeurs et frères israéliens présents à la conférence à se dissocier activement, ainsi que leur profession, de la conception et de la construction d'infrastructures visant à perpétuer l'injustice, notamment à travers le mur de séparation, les terminaux de sécurité, les points de contrôle et la construction de colonies construites en territoire palestinien occupé.

    "Je vous implore de ramener ce message chez vous : s'il vous plaît, inversez le cours de la violence et de la haine en vous joignant au mouvement non violent pour la justice pour tous les habitants de la région", leur ai-je dit.

     

    Au cours des dernières semaines, plus de 1,7 million de personnes à travers le monde ont adhéré au mouvement en rejoignant une campagne d'Avaaz demandant aux compagnies tirant profit de l'occupation israélienne et/ou impliquées dans les mauvais traitements et la répression des Palestiniens de se retirer. La campagne vise spécifiquement le fonds de pension des Pays-Bas ABP, la Barclays Bank, le fournisseur de systèmes de sécurité G4S, les activités de transport de la firme française Véolia, la compagnie d'ordinateurs Hewlett-Packard et le fournisseur de bulldozers Caterpillar.

    Le mois dernier, 17 gouvernements européens ont appelé leurs citoyens à ne plus entretenir de relations commerciales ni investir dans les colonies israéliennes illégales.

     

    Récemment, on a pu voir le fond de pension néerlandais PGGM retirer des dizaines de millions d'euros des banques israéliennes, la fondation Bill et Melinda Gates désinvestir de G4S, et l'église presbytérienne américaine se défaire d'un investissement d'environ 21 millions de dollars dans les entreprises HP, Motorola Solutions et Caterpillar.

    C'est un mouvement qui prend de l'ampleur.

     

    La violence engendre la violence et la haine, qui à son tour ne fait qu'engendrer plus de violence et de haine.

    Nous, Sud-Africains, connaissons la violence et la haine. Nous savons ce que cela signifie d'être les oubliés du monde, quand personne ne veut comprendre ou même écouter ce que nous exprimons. Cela fait partie de nos racines et de notre vécu.

    Mais nous savons aussi ce que le dialogue entre nos dirigeants a permis, quand des organisations qu'on accusait de "terroristes" furent à nouveau autorisées, et que leurs meneurs, parmi lesquels Nelson Mandela, furent libérés de prison ou de l'exil.

     

    Nous savons que lorsque nos dirigeants ont commencé à se parler, la logique de violence qui avait brisé notre société s'est dissipée pour ensuite disparaître. Les actes terroristes qui se produisirent après le début ces échanges - comme des attaques sur une église et un bar - furent condamnés par tous, et ceux qui en étaient à l'origine ne trouvèrent plus aucun soutien lorsque les urnes parlèrent.

    L'euphorie qui suivit ce premier vote commun ne fut pas confinée aux seuls Sud-Africains de couleur noire. Notre solution pacifique était merveilleuse parce qu'elle nous incluait tous. Et lorsqu'ensuite, nous avons produit une constitution si tolérante, charitable et ouverte que 

     

    Dieu en aurait été fier, nous nous sommes tous sentis libérés.

     

    Bien sûr, le fait d'avoir eu des dirigeants extraordinaires nous a aidés.

     

    Mais ce qui au final a poussé ces dirigeants à se réunir autour de la table des négociations a été la panoplie de moyens efficaces et non-violents qui avaient été mis en oeuvre pour isoler l'Afrique du Sud sur les plans économique, académique, culturel et psychologique.

    A un moment charnière, le gouvernement de l'époque avait fini par réaliser que préserver l'apartheid coûtait plus qu'il ne rapportait.

    L'embargo sur le commerce infligé dans les années 80 à l'Afrique du Sud par des multinationales engagées fut un facteur clé de la chute, sans effusion de sang, du régime d'apartheid. Ces entreprises avaient compris qu'en soutenant l'économie sud-africaine, elles contribuaient au maintien d'un statu quo injuste.

    Ceux qui continuent de faire affaire avec Israël, et qui contribuent ainsi à nourrir un sentiment de « normalité » à la société israélienne, rendent un mauvais service aux peuples d'Israël et de la Palestine. Ils contribuent au maintien d'un statu quo profondément injuste.

    Ceux qui contribuent à l'isolement temporaire d'Israël disent que les Israéliens et les Palestiniens ont tous autant droit à la dignité et à la paix.

    A terme, les évènements qui se sont déroulés à Gaza ce dernier mois sont un test pour ceux qui croient en la valeur humaine.

    Il devient de plus en plus clair que les politiciens et les diplomates sont incapables de trouver des réponses, et que la responsabilité de négocier une solution durable à la crise en Terre Sainte repose sur la société civile et sur les peuples d'Israël et de Palestine eux-mêmes.

    Outre la dévastation récente de Gaza, des personnes honnêtes venant du monde entier - notamment en Israël - sont profondément perturbées par les violations quotidiennes de la dignité humaine et de la liberté de mouvements auxquelles les Palestiniens sont soumis aux postes de contrôle et aux barrages routiers. De plus, les politiques israëliennes d'occupation illégale et la construction d'implantations en zones tampons sur le territoire occupé aggravent la difficulté de parvenir à un accord qui soit acceptable pour tous dans le futur.

     

    L'Etat d'Israël agit comme s'il n'y avait pas de lendemain. Ses habitants ne connaîtront pas l'existence calme et sécuritaire à laquelle ils aspirent, et à laquelle ils ont droit, tant que leurs dirigeants perpétueront les conditions qui font perdurer le conflit.

     

    J'ai condamné ceux qui en Palestine sont responsables de tirs de missiles et de roquettes sur Israël. Ils attisent les flammes de la haine. Je suis opposé à toute forme de violence.

     

    Mais soyons clairs, le peuple de Palestine a tous les droits de lutter pour sa dignité et sa liberté. Cette lutte est soutenue par beaucoup de gens dans le monde entier.

     

    Nul problème créé par l'homme n'est sans issue lorsque les humains mettent en commun leurs efforts sincères pour le résoudre. Aucune paix n'est impossible lorsque les gens sont déterminés à l'atteindre.

     

    La paix nécessite que le peuple d'Israël et le peuple de Palestine reconnaissent l'être humain qui est en eux et se reconnaissent les uns les autres afin de comprendre leur interdépendance.

     

    Les missiles, les bombes et les invectives brutales ne sont pas la solution. Il n'y a pas de solution militaire.

     

    La solution viendra plus probablement des outils non violents que nous avons développés en Afrique du Sud dans les années 80 afin de persuader le gouvernement sud africain de la nécessité de changer sa politique.

     

    La raison pour laquelle ces outils - boycott, sanctions et retraits des investissements - se sont finalement avérés efficaces, est qu'ils bénéficiaient d'une masse critique de soutien, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le même type de soutien envers la Palestine dont nous avons été témoins de par le monde durant ces dernières semaines.

     

    Mon plaidoyer envers le peuple d'Israël est de voir au-delà du moment, de voir au-delà de la colère d'être perpétuellement assiégé, de concevoir un monde dans lequel Israël et la Palestine coexistent - un monde dans lequel règnent la dignité et le respect mutuels.

    Cela demande un changement de paradigme. Un changement qui reconnaisse qu'une tentative de maintenir le statu-quo revient à condamner les générations suivantes à la violence et l'insécuruté. Un changement qui arrête de considérer une critique légitime de la politique de l'Etat comme une attaque contre le judaisme. Un changement qui commence à l'intérieur et se propage à travers les communautés, les nations et les régions- à la diaspora qui s'étend à travers le monde que nous partageons. Le seul monde que nous partageons !

     

    Quand les gens s'unissent pour accomplir une cause juste, ils sont invincibles. Dieu n'interfère pas dans les affaires humaines, dans l'espoir que la résolution de nos différends nous fera grandir et apprendre par nous-mêmes. Mais Dieu ne dort pas. Les textes sacrés juifs nous disent que Dieu est du côté du faible, du pauvre, de la veuve, de l'orphelin, de l'étranger qui a permis à des esclaves d'entamer leur exode vers une Terre Promise. C'est le prophète Amos qui a dit que nous devrions laisser la justice couler telle une rivière.

     

    À la fin, le bien triomphera. Chercher à libérer le peuple de Palestine des humiliations et des persécutions que lui inflige la politique d'Israël est une cause noble et juste. C'est une cause que le peuple d'Israël se doit de soutenir.

     

    Nelson Mandela a dit que les Sud Africains ne se sentiraient pas complètement libres tant que les Palestiniens ne seraient pas libres. Il aurait pu ajouter que la libération de la Palestine serait également la libération d'Israël.

     

    Publié initialement sur http://www.haaretz.com/opinion/1.610687. Traduction par la communauté d'Avaaz.

  • Ceux qui noient le poisson-lune

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    Celui qui affirme que la critique est tellement répandue qu’il vaut mieux pas / Celle qui prétend que ce que tu dis l’a toujours été / Ceux qui estiment que de toute façon le drapeau reste le drapeau / Celui qui dépense sans penser et danse sans dépenser/ Celle qui vend la mèche de l’ours avant de lui faire la peau / Ceux dont l’amour a duré sept chiens / Celui qui plume le rasoir à grosses nuques / Celle qui lit du Michaux mi-froid / Ceux qui donnent du son à la baleine pour cet âne de Jonas / Celui qui fait crier la carotte en la mordant sous la touffe / Celle qui se jette sur les innocentes laitues / Ceux qui ont le tesson sensible /Celui qui rêve de libérer Jonas par césarienne / Celle qui comprend Derrida (philosophe parfois incompréensible) quand il déclare que l’enjeu de la nouvelle guerre mondiale est la prise de Jérusalem - mais alors que dire de la Corée du nord se demande-t-elle en émiettant des scones dans son thé vert / Ceux qui savent que le serpent monothéiste se mord la queue sans oser le dire vu que c’est pas chrétien de dire la vérité / Celui qui reconnaît le Dieu mortel dans le visage de chaque homme vivant – et chaque femme cela va sans dire Elvire / Celle qui a pigé ce que la Renaissance a apporté à la représentation du visage individualisé / Ceux qui estiment (avec Robert Bresson l’imagier) qu’il faut préférer les images nécessaires aux photos flatteuses / Celui qui sait d’expérience qu’aucune démonstration ne vaut uneapparition / Celle qui ne déclenche qu’en voyant apparaître tel arrosoir ou tel tamanoir ou tel homme noir aux mains blanches / Ceux qui tendent à évacuer tout ce qui distrait leur attention de la contemplation du poisson-lune cet intermittent du spectacle sous-payé à Lisbonne / Celui qui aspire à tout changer sans que rien soit différent / Celle qui n’ayant point de divan à la dimension psychanalyse le poisson-lune en immersion / Ceux qui mettent de la musique dans les apories –s’entend : musique de fond / Celui qui noie le saumon dans sa rivière de larmes et du coup la métaphore kitsch fait un malheur sur Twitter / Celle qui estime (toujours avec Robert Bresson qu’elle a eu à dîner avec Serge Daney) qu’il faut débarrasser le réel de tout ce qui n’est pas vrai / Ceux qui vont en enfer pour en ramener des nouvelles genre Dante le retour dans le prochain film de Luc Besson / Celui qui se résigne à son destin de prothèse dentaire de murène / Ceux qui entendent chanter Jonas dans la baleine au ravissement du poisson-lune ce vieux mélomane impénitent, etc.

  • Ce qu'on en peut dire...

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    (Dialogue schizo)

     

    À propos d’Adieu au langage, dernier film de Jean-Luc Godard.

     

    Moi l’autre : - Tu te risques à en parler ?

     

    Moi l’un : - Je vais m’y efforcer. Tu te rappelles la sentence de Wittgenstein devenue quasiment bateau : « Ce qu’on ne peut dire il faut le taire », qui recoupe d’ailleurs le propos deGodard, puisqu’il est question du passage de la langue articulée à la limite; mais sa façon de soumettre le pouvoir des mots à la question ne l’empêche pas de les utiliser autant que les images et les sons.  Et la 3D surligne à sa façon ! Adieu au langage n’a d’ailleurs rien d’un film taiseux. C’est un poème multipiste !

     

    Moi l’autre : - Plus précisément : six pistes audio et deux pistes vidéo. Mais quand tu dis que la 3D n’ajoute rien, j’objecte !

     

    Moi l’un : - Et tu as raison ! La 3D nous colle le poème sur les genoux, si j’ose dire. Au premier rang du Rialto, à Locarno, on avait quasi la truffe du chien sous le nez. Ou bien on se serait cru flottant dans le feuillage de l’arbre.  Comme si l’on retrouvait la fascination ou l’effroi des premiers spectateurs du cinématographe voyant la locomotive leur foncer dessus. Et cela porte au-delà de l’effet spécial : cela parachève par la technique la déconstruction du propos.

     

    Moi l’autre : - Comment toi, tu parles de déconstruction, toi qui détestes ce jargon ?

     

    Moi l’un : - Je l’utilise quand il y a lieu d’y recourir. Et le dernier film de Godard, plus radicalement encore que Film socialisme, procède par ce qu’on appelle la déconstruction. C’est-à-dire que l’éclatement de la forme, la destruction de la narration linéaire, procède d’une analyse critique qui reconstruit une nouvelle forme, qu’on peut dire ici d’un poème de cinéma d’un lyrisme véhément.

     

    Moi l’autre : - C’est vrai que c’est un film hyper-pictural…

     

    Moi l’un : - Pas étonnant qu’il cite Nicolas de Staël ! On pourrait croire que c’est pour faire chic. Mais qui aime et connaît Nicolas de Staël retrouve là quelque chose de la folle quête de pureté  du peintre en matière de couleurs et de lignes et de rythmes et d'intensités.

     

    Moi l’autre : - Et musical aussi, notamment avec le leitmotiv grave d’opéra à la Verdi…

     

    Moi l’un : - On croirait l’arrivée du Grand Inquisiteur dans Don Carlos. Mais c’est peut-être nous qui inventons…

     

    Moi l’autre : - C’est exactement ce que nous a conseillé de faire le collaborateur de JLG venu présenter la chose : faites votre film vous-mêmes. Plutôt que de chercher à comprendre, c'est à prendre…

     

    Moi l’un : - Cela dit, Godard trace bel et bien un parcours…

     

    Moi l’autre : - Suivez le regard du chien. Ou plutôt : mettons nous à l’écoute de ce qu’entend le chien… Bonne façon de retourner le langage comme un gant de silence.

     

    Moi l’un : - À un moment donné,une voix affirme que bientôt on aura besoin d’un traducteur pour comprendre ce qu’on dit. Ou quelque chose comme ça… Et de la même façon, le passage par le chien a valeur d’interrogation sur ce qu’on voit quand on voit un arbre en fleurs, un bateau à aubes qui passe sur le lac, un con qui t’agresse. Que pense le chien de la guerre ? Que pense le chien de la cité ? Que pense le chien de toi ?

     

    Moi l’autre : -  Dans la foulée, jamais en manque de citations,  JLG cite Darwin qui cite Buffon qui observe que le chien est le seul animal qui aime mieux son maître que lui-même. 

     

    Moi l’un : - Il y aura toujours, chez Godard, ce mélange de ratiocineur sentencieux à cigare et d’enfant stupéfié par le monde, de pédant et de poète, de témoin de l’horreur et de rêveur solitaire en sa cinquième promenade.  Le philosophe de service cite Jacques Ellul devant son éternelle étudiante et l’on s’exclame de concert que le sociologue protestant a tout vu et prévu avant les autres, on affiche les thèmes NATURE et METAPHORE ou voici que DIEU s’inscrit en sous-impression de AH, AH. Et Roxy écoute passer la rivière…    

     

    Moi l’autre : - Mais tu ne trouves pas, tout demême, que tout ça fait très élite hyper-cultivée d’une époque à références à n’en plus finir ?

     

    Moi l’un : - C’est l’évidence et parfois lassant, mais le reproche qu’on fait à JLG d’être au bout du rouleau est injuste et faux. Il n’est pas à bout de souffle : il est à sa pointe, comme le dernier Céline. À la limite de l’intelligible, mais à l’extrême de son interrogation, comme le prophète qui vaticine en langue...

     

    Moi l’autre : - Il y a un beau moment à la fin où il est question de couleurs à mélanger, devant la boîte ouverte…

     

    Moi l’un : - De la même façon, on imagine JLG touillant ses images dans son labo à extensions en 3D dans les jardins attenants pleins de fleurs aux couleurs électriques.  C'est à la fois un contemplatif et un capteur de zizanie. Sa façon de court-circuiter une pensée en train de prendre forme est unique. Et personne n'exprime la monstruosité du simultanéisme contemporain avec autant d'acuité.

     

    Moi l’autre : - Olivier Assayas le compare, question montage, au Malraux du Musée imaginaire…

     

    Moi l’un : - C’est tout à fait ça. Godard se fait son film idéal de bric-à-brac de brocante actuelle-inactuelle, il mêle à la pelle Auschwitz et L'Ange bleu, Byron-Shelley et l'intifada, le bel canto et le bruit du monde. Comme Malraux grappille et réassemble, Godard touille l'Hypertexte multilingue et fait du neuf à sa façon unique. C'est cela le génie, désormais homologué dans sa propre Histoire du cinéma. Il n’a plus besoin ni de Cannes ni de Locarno vu que , comme Roxy est le chien parfait, lui-même est le Godard accompli, présent à   l'extrême  comme l’enfant à son jeu : au plein du mouvement et à la pointe d’un style. Quant à toi, tu prends ce qui te parle et tu en fais ce qui te chante…

  • Vie et destin de Dimitri

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    En marge de la parution de L'Ami barbare, de Jean-Michel Olivier, ces prochains jours aux éditions De Fallois/L'Âge d'Homme.

    Les mots vie et destin forment une croix, m'avait fait remarquer Dimitri à la parution du roman de Vassili Grossman, sans doute l’un des plus importants du catalogue de L’Age d’Homme, et c’est l’image de cette croix bonne pour toute l’humanité, au-delà de toute croyance, qui m'est apparue lorsque nous avons appris la nouvelle du tragique accident survenu au soir du 28 juin 2011.

    Mort sur la route avec les livres qu’il transportait, opiniâtre et buté comme il le fut durant toute sa vie, Dimitri a été rattrapé par le destin « au travail ». Du côté de la vie, il nourrissait encore une quantité de projets, mais ainsi fut scellé son destin. Les croyants serbes ont vu, dans le fait que la mort de Dimitri coïncidât  avec la date de la bataille fondatrice de la nation serbe, un signe nimbé de mystère. Pour notre part, c’est aux vitrines des librairies que nous voyons aujourd’hui survivre Dimitri comme, dans la vision proustienne d’après la mort de Bergotte, les livres de celui-ci déployant leurs ailes aux devantures ; ainsi de tous ceux que Dimitri a tant aimés et nous a fait tant aimer.

    Le génie du fondateur de L’Age d’Homme fut d’abord celui d’un lecteur extraordinairement intuitif, poreux et pénétrant, capable d’accueillir des auteurs que tout semblait opposer, tels Cingria et Witkiewicz, Amiel et Zinoviev, le subtil et délicieux Saki ou ce païen fraternel  que fut un John Cowper Powys en ses Plaisirs de la littérature, autre fleuron de L’Age d’Homme. Tout et son contraire ? Non : tout ce qui fut poussé à sa pointe sensible  ou spirituelle, par le don le plus total et par les chemins les plus variés.

    L’apollinien et le dionysiaque cohabitaient dans la nature complexe, aussi lumineuse que parfois ombrageuse, de cet homme que la grande épreuve physique d’un premier accident avait fait méditer  avec humilité à la Douleur absolue, vécue sur la croix. Et son cher Milos Tsernianski de conclure : «Les migrations existent. La mort n’existe pas ». 

    « On continue ! », disait toujours Dimitri, qui ne nous quittera jamais tant que nous lirons, et c'est la dernière repartie de Roman Dragomir, le protagoniste de L'Ami barbare, murmurée à une jeune paysanne qui l'a vu se fracasser en plein ciel comme sur un char de feu biblique...

     

    Image JLK: Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri, au bord de la Drina, en 1997.