À tout moment nous pouvons être surpris, toujours et encore, par le miracle de la littérature ou, plus précisément, devant la vérité d'une parole habitée par la poésie.
Ainsi de l'immédiat étonnement, mêlé de reconnaissance, au double sens d'une expérience antérieure réitérée et bonifiée, et de la gratitude, que j'ai éprouvé en commençant de lire Le Bâtiment de pierre d'Asli Erdogan.
Je lis d'abord ceci: "Les faits sont patents, discordants, grossiers. Ils entendent parler fort. À ceux qui s'intéressent aux choses importantes, je laisse les faits, entassés comme des pierres géantes. Ce qui m'intéresse, moi, c'est seulement ce qu'ils chuchotent entre eux".
Puis je lis ceci encore: "Si l'on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau".
Sur quoi je lis ceci: "J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir".
Et ceci encore: "Las de ce monde figé, de toutes les immondices que l'on appelle système, du labyrinthe des âmes réglé comme une horloge, dans un dernier élan d'espoir, ils tournent leurs yeux vers la rue".
Et ceci enfin: "L'homme est le plus vieux des mystères, c'est de la matière qui parle".
Après quoi je vais lire, une page après l'autre, un mot après l'autre et sans en perdre aucun, tout Le Bâtiment de pierre et ainsi je n'aurai pas, je le sens, je le sais, perdu mon temps...
Asli Erdogan, Le Bâtiment de pierre. Traduit du turc par Jean Descat. Actes Sud, 109p