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  • Ceux qui prennent le train de nuit

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    Celui qui se retrouve seul sur le quai / Celle qui est sensible au kitsch étrange de la gare d’Helsinki / Ceux qui se reconnaissent aux gestes familiers des accros de machines à sous / Celui qui aime le vent froid passant sur la plage déserte d’Ibiza / Celle qui observe les hommes partageant leur condition d’hommes / Ceux qui se retrouvent au pied de la Tour d’Hercule / Celui qui trouve sa paix en répétant les mêmes gestes à longueur de journée / Celle que fascine le vol des martinets dans le ciel orageux de Cortone / Ceux qui errent à travers bois sur des chemins en pente / Celui qui se dit étudiant en chinois à Malmö / Celle qui trouve une odeur de pierre sèche au corps du soutier Marcello / Ceux qui se réveillent à l’Amen de l’abbé Chalandon / Celui qui contemple la mer à Ostende sur la chaise roulante conduite par la Danoise au tchador / Celle qui voit les jeunes ouvriers wallons se jeter sur l’automate à bonbons / Ceux qui se demandent dans quel cimetière ils reposeront / Celui qui se retrouve seul le premier soir à l’orphelinat des mères incendiaires / Celle qui constate que l’hiver son amour devient haine / Ceux qui s’éloignent les uns des autres comme des étoiles dans le ciel froid / Celui dont on a traité la vocation artistique aux électrochocs / Celle dont les yeux pers ont troublé divers gars du bourg / Ceux qui s’endorment dans le cinéma désert / Celui qui ne comprend rien au train de l’existence / Celle qui aime qu’on l’aime même dans des draps douteux / Ceux qui sentent l’âge les éloigner de leur corps / Celui qui s’efforce en vain de tromper le temps / Celle qui endure la vulgarité de l’homme qu’elle préfère à tous les rustres du cargo / Ceux qui se demandent quand la vie changera enfin / Celui qui lape un gras potage avant de mâcher du gibier sous le lourd ciel de novembre / Celle qui contemple la pluie verticale de la nuit à Manchester City / Ceux qui ne surent jamais combien ils furent aimés / Celui qui s’endort de force pour oublier son désir / Celle qui s’offre à la caresse du vent du désert / Ceux qui se rappellent les poings de boxeurs des arbres taillés du boulevard / Celui que le chant du merle aide à supporter sa condition de chômeur en fin de droit / Celle qui aime servir des cafés serrés aux matinaux de la Gare centrale / Ceux qui ont une salive de consistance intensément sexuelle, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui gèrent le relationnel

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    Celui qui envoie un SMS a Elena pour lui  dire que dimanche soir ça n’ira pas /  Celle qui répond juste : OK / Ceux qui mettent un smiley même pour rompre par texto / Celui qui se récrie : juste OK donc elle s’en fout mais elle est grave celle-là elle me fait peur /Ceux qui constatent que trop de ponctuation dans un texto peut nuire à la fludité relationnelle / Celui qui en revient au « juste OK » d’Elena pour en déduire qu’elles vont nous bouffer ces manipulatrices / Celle qui a répondu juste ok en se réjouissant de visionner son émission de déco enregistrée ou un film d’animaux ou un texte existentialiste / Ceux qui sont obscènes dans leurs texti (un texto des texti, comme un spaghetto des spaghetti) et filent doux quand il se retrouvent avec elle avec sa dignité de gérante de fortune chez Pictet Picsou / Celui qui envoie un texto tous les 5 kilomètres parcourus sur son tapis d’entraînement du club Hyperforme / Celle qui reçoit un texto limite porno tandis qu’elle regarde un docu sur Dubaï en pédalant sur son vélo cardio / Ceux qui acclament les troubles en Tunisie au motif que ça va faire grimper le cours du baril / Celui qui a piètre opinion des investment bankers de son âge qui ne font que travailler et se féliciter de gagner plus de pognon alors que tout crame et que tout craque un peu partout / Celle qui se garde un investment banker bodybuildé pour ses fins de mois de Lumpengirl new look / Ceux qui ont acheté le lundi matin 2000 lots de pétrole qui leur ont filé entre les pattes à Midi mais qui pourraient leur revenir le soir grâce aux Chinois / Celui qui surveille par webcam celle qui repasse ses quarante-deux chemises Armani à rayures / Celle qui repasse les chemises du blaireau friqué en surveillant les SMS de sa sœur employée de maison comme elle mais à Cologny le slum chic de Geneva International /  Ceux qui ont vu le film American Psycho et s’inspirent des choix vestimentaires de Bateman tout en réprouvant en public ses violences sexuelles qu’ils envient en privé / Celui qui apprend mardi matin par Tom (à l’agence de Singapour) que les chiffres chinois lui ont permis de récuprer sa mise de la veille donc il va relancer Elena pour dimanche et lui donner une petite leçon en l’invitant dans un restau mégachic / Celle qui reçoit le texto du trader niaiseux alors qu’elle lit le dernier Martin Amis dans son bain moussant  parfumé à l’essence de gingembre + noix de kola / Ceux qui estiment eux aussi que l’existentialisme est un humanisme tout en constatant qu’ils n’ont plus de réseau pour l’instant, etc.

     

    Guillet.jpg(Cette liste behaviouriste a été établie durant la lecture de Branta bernicla de Pascal Guillet, paru aux éditions Verticales et constituant un tableau houellebecquien soft de la vie d’un jeune trader français bossant à la City de Londres au début du printemps arabe – lecture recommandable de cette rentrée littéraire française 2012) 

  • Ceux qui en ont vu d’autres

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    Celui qui va remplacer son épouse infidèle par un chihuahua / Celle qui entend des voix dans le Bois du Sourd / Ceux qui n’ont pas de secret pour leur jardinier créole / Celui qui se dit incapable de tuer une femme tout convaincu qu’il soit qu’elle n’a pas d’âme / Celle qui ne supporte pas les succès de sa mère au karaoké / Ceux qui résistent au fou-rire qui les menace d’éclater à l’approche de l’homme-toupie / Celui qui a fait de la luge avec Bashung en 1965 du côté du Ballon d’Alsace / Celle qui a été initié à la calligraphie par un maître dont les gardes rouges ont coupé les mains / Celle qui laisse crever tous ses bonsaïs en s’adonnant à sa passion du jeu de go / Ceux qui écrivent leurs poèmes en marchant et le disent volontiers à la radio ou à la télé sans qu’on le leur demande / Celui qui a une malle pleine d’inédits comme Fernando Pessoa (dit-il) / Celle qui estime que la griserie de l’acrobatie aérienne vaut l’écrasement final / Ceux qui ont été persécuté sous Ponce Pilate sans qu’on se souvienne d’eux / Celui qui a connu le voile noir dans son bombardier survolant la Cochinchine / Celle qui s’est jurée de ne plus envoyer de pyjamas de Noël à ses neveux ingrats / Ceux qui tâtonnent dans la nuit moite à la recherche d’un corps éventuel / Celui qui démarche ce qu’il appelle des vitamines de bonheur / Celle qui prétend qu’un paon n’a aucune conscience de lui-même en dépit de son apparente fierté à l’instant de faire la roue dans la cour de la porcherie du voisin bègue / Ceux qui écrasent leur cigare dans les reste de l’omelette norvégienne en souriant à leurs hôtes pacsés à Noël dernier / Celui qui ne rêve même plus de pénétrer dans la rue morte à bord de l’auto à neuf places / Celle qui dit au beau Marco qu’il sera son butin de fin de soirée sans se douter qu’à minuit à pile il se transformera en statue de pierre ponce / Ceux qui font du rollerskate sur les tuiles de vent du glacier d’Arolla / Celui que son beau-père a oublié sur une aire d’autoroute sans se rappeler dans quel Etat / Celle auquel l’éthéromane demande de ne pas le déranger dans son lait de brume / Ceux qui ont échangé leur sang au bord de la rivière aux écrevisses et sont morts la même année sans le savoir, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ma rentrée 2012

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    Du flafla médiatique et de la réalité des livres. Approximations d'un lecteur décalé dans sa cabane haut perchée...

     

    Il est intéressant de constater comment, pour se défendre des effets d’annonce médiatiques relevant souvent du n’importe quoi, les gens en arrivent à dire eux aussi n’importe.

    La rentrée littéraire française ? Ah mais génial, non mais trop nulle !

    De fait, la rentrée littéraire française est devenue, depuis une trentaine d’années, une espèce de pôle d’agitation et d’emballement qui fait dire et écrire un peu tout et son contraire.

    Barilier2.jpgJe me souviens que, dans les années 80, l’écrivain romand Etienne Barilier avait écrit quelque part que la rentrée littéraire n’existait pas. Qu’elle était le non-événement par excellence. Une baudruche ! Pour ma part, je m’étais fait l’avocat des évidences pour objecter que la rentrée littéraire existait bel et bien en dépit des plus « essentielles » arguties : qu’elle était un fait et qu’il fallait faire avec. À l’époque, la rentrée française alignait 300 ou 400 nouveaux romans, auxquels s’ajoutaient 100 à 150 livres publiés en Suisse romande. Actuellement, ce sont plus de 600 titres qui paraissent en même temps avec les prix littéraire pour point de mire, alors que l’édition romande, en perte de vitesse, vise plutôt la veille des fêtes de fin d’année ou les mois précédant le Salon de Genève, hier, aujourd’hui le Salon du Livre sur Les Quais, qui s’ouvre demain à Morges.

     

    La thèse de Barilier était évidemment d’un « pur » homme de lettres, aux yeux duquel un phénomène socio-économique hyper-médiatisé ne peut qu’être suspect. Pour ma part, recevant physiquement, dès le mois de juin,  des centaines de livres au titre de chroniqueur littéraire d’un grand quotidien local, je ne pouvais que me salir les mains et les yeux au contact combien « impur » de tous ces bouquins, non sans ravissement je le confesse… Or j’ai beau me trouver à présent « en retraite », comme on dit : je ne continue pas moins de me salir les yeux et les mains avec le même mélange d’impatience curieuse et de délectation éventuelle.

    Les médias aussi s’enthousiasment, ou font comme si. Les médias français, ou plus exactement parisiens, se passent le mot et quelques noms (le nouvel Angot, le nouvel Adam, le nouveau Djian, le nouveau Nothomb et consorts) que reprendront les médias provinciaux…

    Pourtant cette notion de provincialisme est à réviser par les temps qui courent, me semble-t-il. Le grand poète et penseur anglais T.S. Eliot disait quelque part, il y a quelque temps, qu’il y a non seulement un provincialisme dans l’espace, tel que nous l’entendons à l’ordinaire, mais également un provincialisme dans le temps. Ainsi désignait-il l’amnésie croissante dans laquelle vivent nos contemporains qui ne connaissent que la « province » de leur époque, si ce n’est de leur génération, et sont de plus en plus ignorants des décennies ou des siècles précédant leur naissance.

    Ce provincialisme temporel, au même titre que le provincialisme géographique, n’a pas été atténué par la mondialisation des médias, loin de là et parfois au contraire.

    Les médias parisiens peuvent être dits, à cet égard, aussi «provinciaux », dans l’espace et le temps, que les médias des cantons romands, plus ou moins à la traîne de ceux-là, ou que les médias américains ou australiens, russes ou japonais, quand il s’agit des « provinces » européennes, bantoue ou germanopratine.

    deville.jpgCes considérations générales, rédigées dans une cabane de bois rousseauiste surplombant le lac Léman, m’amènent au détail de quelques livres de la rentrée littéraire, alors même que j’annote bien attentivement l’un d’eux, immédiatement épatant, intitulé Peste et choléra et publié au Seuil par Patrick Deville. Très solidement documentée, superbement filée du point de vue de l’écriture et de  la narration, cette approche romanesque du destin singulier du « provincial » Alexandre Yersin, né à Morges en milieu très puritain et devenu le plus aventurier des savants collaborateurs de Pasteur, est immédiatement passionnante.

    Roegiers3.jpgAvec un bref coup d’œil dans le rétroviseur de ma bringuebalante machine à lire, je me rappelle qu’avant Peste et choléra du Français Deville j’aurai lu, en juin dernier, le non moins captivant Bonheur des Belges du Bruxellois Patrick Roegiers, grande traversée spatio-temporelle, combinant les plongées diachroniques et les effets de réel, de la Belgique des cultures souvent ignorée des provinciaux du 6e arrondissement…

    Daubant sur la crânerie flamingante de ce magnifique prosateur, j’avais non moins crânement élu ce livre  « mon Goncourt 2012 », mais c’était avant de lire, sur injonction amicale de Bernard de Fallois, La vérité sur l’affaire Harry Quebert du Genevois Joël Dicker, qui pourrait bien devenir « le » Goncourt de l’Académie éponyme. Ce qui est sûr, et même après avoir beaucoup apprécié Avenue des géants de Marc Dugain, c’est que ce faux vrai polar au souffle irrésistible et à la prodigieuse acuité d’observation sur le monde actuel en général et la littérature enparticulier, oscillant entre grandes espérances juvéniles et micmacs éditoriaux, sur fond de quête d’une très fuyante vérité humaine, s’impose comme un OVNI que ne peuvent revendiquer ni la littérature romande ni le chic parisien, au même titre que L’Amour nègre de Jean-Michel Olivier.

    Olivier3.jpgCelui-ci a –t-il raison lorsqu’il parle, à la veille du Salon du livre Sur les quais de Morges, d’une rentrée littéraire romande d’exception ? Par rapport aux années fastes de l’édition romande, je ne le crois pas. Mais la configuration de la vie littéraire en Suisse française a beaucoup changé, autant que la mentalité des écrivains. Alors que l’édition romande, souvent minée intérieurement par son esprit de chapelle et ses jalousies contre-productives (le même phénomène s’observe dans les autres provinces francophones), s’épuise à la fois par vieillissement et peine à survivre matériellement, une nouvelle ouverture au monde s’est manifestée ces dernières années avec des générations qui voyagent et des talents d’origines diverses, de Marius Daniel Popescu (accueilli par José Corti) à Douna Loup (belle découverte genevoise au Mercure de France, dans la foulée de Pascale Kramer), ou de Jean-Michel Olivier (relançant la percée parisienne de Jacques Chessex) à Metin Arditi, dont le Prince d’orchestre s’impose ces jours au premier rang des éditions d’Actes Sud.   

    Sans aucun préjugé personnel anti-parisien, j’ai toujours défendu la littérature de notre « province » extrêmement composite, où de grands auteurs tels Georges Haldas ou Maurice Chappaz, Corinna Bille ou Nicolas Bouvier, dans le sillage de l’immense Ramuz toujours réduit par beaucoup nos amis français à une espèce de sous-Giono, ont fait œuvre et parfois majeure. Je me rappelle toujours le petit propos de dame Edmonde Charle-Roux, présidente du Goncourt roucoulant un soir à la radio romande que ce Maurice Chappaz (prononcé Chappâze), auquel venait d’être décerné le Goncourt de la poésie, était ma foi un être délicieux, avec son sac à dos en peau de bique, et de surcroît écrivait «un très joli français ». Je continue à penser, en raillant gentiment la satisfaction radieuse de mon ami JMO, bien compréhensible au demeurant, qu’il n’est pas de bon bec que de Paris et que la vraie littérature est une étoffe sans coutures, ainsi que me le disait Vladimir Dimitrijevic le très génial éditeur combien regretté.

    gaulis.jpgHier j’ai commencé de lire un bien beau livre d’une auteure (auteuse ? autoresse ? )  genevoise et aussi voyageuse et fine prosatrice que Bouvier, du nom de Marie Gaulis. Ce récit, aussi rousseausiste que mon isba dans les bois, commence par une évocation de l’Ours de Môtiers, bled jurassien où Jean-Jacques fut criblé de cailloux et tancé par les pasteurs à bonnets de nuit, dans lequel trou   j’apprends qu’est implanté un musée de l’art aborigène.

    Le programme du Salon du livre Sur les quais m’apprend que suis censé m’entretenir, samedi après midi (à l’Arsenal) avec Marie Gaulis et une autre dame dont j’ignore tout, du nom de Laure Mi-Hyun Croset. Le thème de la rencontre est  L’auteur au premier rang. Pourquoi pas, puisqu’il faut bien un auteur pour faire exister un livre ? Mais bon : je reste de l’école proustienne qui se fiche bien de l’auteur pipole et pense que le vrai moi de l’auteur est dans son livre.

    Voilà ce que ça donne sous la plume de Marie Gaulis dans Le rêve des naturels :

    « Il faut réapprendre à marcher encore, encore et encore, chaque jour se lever à nouveau, s’étirer, chasser les nuées de la nuit – quelque fois à regret, car elles nous enveloppent, cocons de rêves, de larmes, d’insectes crissant dans la nuit, de soudaines agitations d’oiseaux, appels, piaillements dans les palmes, de descente dans le puits du désespoir – et au matin, avec ses tâches urgentes et précises, on se demande pourquoi. Pourquoi la peur, le doute, la sensation vertigineuse d’être prisonnière ? » 

    Sur quoi s'alignent, le long des rayons de ma cabane dans les bois, quelques dizaines de titres encore à-lire-absolument ces prochains temps, disons au moins 66 sur 666... 

     

    Patrick Deville. Peste et choléra. Seuil, 2012.

    Patrick Roegiers. Le Bonheur des Belges. Grasset, 2012.

    Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Bernard de Fallois / L'Age d'Homme, 2012.

    Jean-Michel Olivier. Après l'orgie. Bernard de Fallois / L'Age d'Homme, 2012.

    Marie Gaulis. Le rêve des naturels. Zoé, 2012.  

  • Ceux qui se retirent du jeu

     

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    Celui qui grimace tout le temps / Celle qui attire les jeunes garçons du Lycée Albert Camus dans son studio de la rue du Mouton / Ceux qui estiment qu’ils comptent au regard de la Postérité/ Celui que la mesquinerie de la surveillante à bas mauves n’empêche pas d’écrire des poèmes érotiques dans la salle de lecture de la Bibliothèque des Acacias / Celle qui pense qu’elle va mettre l’employé Bartleby au pied du mur / Ceux qui exigent des mesures à l’encontre du chat des Viredaz enclin à compisser les hortensias de l’entrée de l’immeuble B / Celui qui ne saura jamais nouer une cravate / Celle qui voit un conseiller fédéral possible en son fils aîné champion de calcul du canton / Ceux à qui l’on coupe le chauffage / Celui qui échappe à son nom / Celle qui garde au lit son air de cheffe du contentieux des Services Municipaux / Ceux qui ont fait de la nouvelle écologie leur idéal de couple / Celui qui fracassera un de ces soirs le vase de Chine à la con que son père dit absolument sans prix à ses invités / Celle qui imite si bien l’Abbé Pierre tricotant un bas de laine / Ceux qui se cherchent dans les stocks de pneus / Celui que l’envoi du drapeau français remplit d’une vieille tendresse coloniale à nuance indéniablement sexuelle / Celle qui reprend le rôle de Médée au Théâtre Communal pour cause de décès inespéré / Ceux qui n’attendent plus la Mathilde de Brel / Celui qui se demande si le penchant de son fils benjamin pour les livres ne dénote pas un germe d’homosexualité à combattre par une inscription prochaine au club de boxe du quartier des Abattoirs / Celle qui pousse son chat Roudoudou à se faire les griffes sur les draps à l’étendage de ses désagréables voisines Céline et Cécile Morel / Ceux qui affirment qu’un orage en montagne donne une consistance particulière au lait de chèvre / Celui qui s’est juré de poignarder son cousin Lo Huc avant le début de la mousson / Celle qui se fera le look de Bette Davis à la prochaine réception des Hayek / Ceux qui fomentent un complot pour faire tomber la responsable du marketing de la firme Beautiful Nails, faux ongles, etc.

    Dessins à l'encre de Chine: Louis Soutter

  • Ceux qui prennent une semaine de vacances

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    Celui qui est bien calé à sa place réservée dans le TGV quand il aborde la première scène du type qui bande sur la lunette de chiotte / Celle qui a failli se payer tout à l'heure le livre que le type d'en face a commencé de lire alors que le TGV passait à la hauteur des anciens abattoirs / Ceux qui n'ont pas le temps de s'attarder aux chiottes depuis qu'ils ont repris le taf / Celui qui sourit quand le type demande à la jeune fille de lui disposer des quartiers de clémentines sur le zob / Celle qui a entendu dire que ce livre était porno chic mais l'expression ne lui dit rien/ Ceux qui estiment que la pornographie est bonne pour les classes laborieuses / Celui qui trouve après vingt pages qu'Angot retrouve ici la pureté de Vu du ciel son premier livre / Celle qui surveille la moindre mimique de son vis-à-vis lecteur qui pouffe de temps à autre / Ceux qui ont lu tout Cesbron à l'époque et se réjouissent de ce qu'une vierge des années 70-80 à gros lolos redécouvre cet auteur et par exempleChiens perdus sans collier / Celui qui pense qu'un écrivain peut tout dire et qu'importe même la façon / Celle qui est flattée de ce qu'un prof marié et lisant Le Monde ménage son pucelage en la faisant le sucer sans "mettre les dents" / Ceux qui se rappellent le temps où leurs enfans "mettaient les dents" selon l'expression romande / Celui qui dans un autre compartiment du TGV lit un reportage sur les bordels d'animaux en Allemagne évoluée / Celle qui trouve l'écriture d'Angot ra-di-cale et le répète volontiers sur France-Culture et dans les endroits où il faut être vu / Ceux qui ayant baisé Marianne ont constitué le Club des Caprices / Celui qui sourit d'un air entendu quand le type dit à la jeune fille qu'elle a "une personnalité hors du commun" juste parce qu'elle s'est laissé faire ça à ce moment-là en se détendant juste comme il faut / Celle qui défie son partenaire en lui demandant si la prochaine fois il acceptera qu'il n'y ait "rien de physique" entre eux / Ceux qui estiment que les ressources du sexe et de la polique sont limitées du point de vue du roman/ Celui qui s'est remis à la lecture d'Au coeur des ténèbres de Conrad à côté de quoi tout paraît "second hand" / Celle qui trouve bien pédant ce prof qui fait apprendre des termes d'achitecture religieuse à la jeune fille qu'il force à le sucer ensuite dans un confessionnal / Ceux qui apprennent avec ravissement que certain vert végétal saturé se dit satt grün / Celui qui flaire l'arnaque sous les compliments outrés du type qualifiant sa rencontre avec la jeune fille d'"exceptionnelle" / Celle qui est censée trouver exceptionnelle la faveur que lui fait ce type en lui avouant qu'un jour il a écrasé quelqu'un avant de prendre la fuite et qu'il ne l'a jamais dit à personne / Ceux qui ont dit aussi à tel ou telle partenaire d'un moment que rien ne serait jamais plus comme avant / Celui qui écrit un texto à son amie Jackie pour lui dire que le dernier Angot est mieux filé que Les Petits / Celle qui s'étonne de ce que ce type bande sans arrêt et lui demande de lui dire "c'est bon papa" / Ceux qui préfèrent regarder les paysages de la Côte d'or même en ce 3 septembre un peu brumeux / Celui qui se rappelle l'air gêné de ses amis musulmans à la sortie desValseuses où il se reproche toujours de les avoir entraînés / Celle qui affecte d'être très très libre en parole et qu'un rien fait se crisper dans l'intimité / Ceux qui taxent de chiennerie tout ce tralala sexuel / Celui qui distingue les "rencontres de la raison" des "rencontres de circonstance" et des "rencontres d'exception" pour mieux flatter la jeune fille qu'il traitera plus tard selon la règle plus que l'exception/ Celle qui a l'impression que le prof sentencieux et même vétilleux en matière d'usage linguistique se sert d'elle comme d'un sextoy mais elle n'ose rien dire vu son infériorité culturelle patente n'est-ce pas / Ceux qui ne conçoivent pas bien que cet Allemand lettré en soit arrivé à sodomiser un si petit chien jusqu'à l'éviscérer / Celui qui s'attend à tout après avoir vu Amours bestiales d'Ulrich Seidl / Celle qui chiale d'être prise de force par derrière au motif que ce spécialiste de la prononciation du W lui a promis de respecter sa virginité / Ceux qui remarquent en gare de Lyon cette jeune fille seule à l'écart sur le quai et qui parle à son sac...    

     

    (En lisant Une semaine de vacances de Christine Angot. Flammarion, 2012).