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  • De minuscules Odyssées

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    Yves Leclair tient un capricant, coruscant et lumineux  Journal d’Ithaque

    Yves Leclair est une sorte d’Ulysse terrien, parfois l’aile céleste ou le pied marin, qui a l’art de trouver « l’or du commun » sous tous ses aspects. Les titres de ses livres le révèlent tantôt comme un « voyageur sans titre » et tantôt en « moyen ermite », sensible à « l’antique lumière d’Eden » autant qu’aux « bouts du monde », s’appuyant sur ses « bâtons de randonnée » avant de composer, au retour en son antre de Saumur, tel Manuel de contemplation en montagne (La Table ronde, 2006).

    Ses dernières pérégrinations, des bords de la Loire  au port du Pirée, ou de Riquewihr en Alsace, où « la bière laisse perler l’or /de sa lumière vénitienne », à Pruillé-le-chétif dans le Perche où comme Ulysse il cherche « sur les mamelons des collines, /le pêcher rose et l’églantine », cristallisent en 99 odyssées miniatures.

    Ainsi le promeneur inspiré grappille-t-il, sous la forme épurée de 99 dizains, autant d’impressions et d’images, de fragments d’éternité filtrés par le verbe le plus délicat.   Le recueil s’ouvre sur une vingtaine de Belles vues et va son chemin très attentif, à la fois particulier et très universel entre  tel «retour du boulot » et telle notation sur les « merveilleux nuages » consignée « après avoir jeté des déchets végétaux », tout se trouvant enfin élevé à la hauteur d’une chose digne d’être vue. Regardez voir si c’est beau !

    Yves Leclair. Le Journal d’Ithaque. La Part commune, 127p.

  • Ceux qui aiment sans retour

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    Celui qui aime Odette qui aime Jean qui n’aime personne / Celle qui croit tenir celui qui tient à elle / Ceux qui se cherchent dans la tourmente / Celui que sa mère couve tant que ses propres enfants en remettent et là ça devient lourd / Celle qui briguait la mairie et s’est retrouvée en taule pour trafic inapproprié / Ceux qui souffrent de leur arriération peut-être fatale on sait pas / Celui qui s’interroge sur le libre arbitre / Celle qui fracasse les objets contre les murs qui n’en peuvent mais / Ceux qui ne se comprennent même pas en silence / Celui qui écrit comme d’autres ont la foi / Celle qui pense qu’on est comme on naît et le dit parfois sans aucun effet / Ceux qui rêvent d’un ailleurs si possible planté de palmiers genre Acapulco / Celui que rassure l’odeur du cambouis dans son garage où les moteurs se réparent plus facilement que les gens / Celle que son mari Hell’s Angel a déçue en se tuant sur la route alors qu’ils eussent pu finir tous deux en gloire à la manière de Bonnie and Clyde / Ceux qui constatent l’encanaillement des classes moyennes et leur dérive vers la débauche de groupe et la cuisine McDo / Celui qui  en pince pour la Samantha de Webcam.com dont il croit qu’elle l’a remarqué pour son commentaire « Samantha t super » / Celle qui se fait de la thune en s’exhibant sur le site gratuit sous le pseudo Hate Reality / Ceux qui estiment que le site Webcam.com est une préfiguration de l’enfer alors que c’est juste un reflet panoptique de la réalité mondialisée / Celui qui découple son observation des phénomènes actuels de tout jugement moral à l’ancienne / Celle qui entre dans l’église vide et s’y sent seule / Ceux qui se tiennent éperdus et muets dans le vortex de la tempête / Celui qui constate que le look de rocker frimeur du jeune écrivain le préserve des blaireaux incapables d’évaluer sa réelle qualité et tant mieux n’est-ce pas / Ceux qui passent toute la soirée à s’engueuler sur la réalité ou non de la Destinée et se font attaquer à la sortie par l’Ange Exterminateur dont parle Nostradamus / Celui que le désir de tuer investit tout à coup / Celle qui se venge par personne interposée / Ceux qui s’en tireront toujours (croient-ils) en vertu de la règle selon laquelle ce sont les violents qui l’emportent / Celui qui cherche la lumière dans les impasses les plus mal éclairées / Celle qui passe de l’amour fou à la haine sans cesser de tout capter / Ceux qui ne sont pas programmées pour la réussite sans briller pour autant dans leurs échecs / Celui qui a pigé deux trois choses du cœur humain comme il en va du romancier américain Cormac McCarthy dans L’Enfant de Dieu (qu’il n’a pas lu) oui comme il en est allé de la nouvelliste Flannery O’Connor dans Les braves gens ne courent pas les rues (qu’il n’a pas lu non plus) / Celle qui sait ce qui distingue un enfant de Dieu d’un émule de Satan / Ceux qui chantent Gracias a la vida quand la tempête est retombée, etc.

    (Cette liste a été jetée en marge de la lecture du tapuscrit de Notre-Dame-de-la-Merci, deuxième roman de Quentin Mouron à paraître en août prochain chez Olivier Morattel. Dans les limites du très jeune âge de Quentin, j’annonce un livre étincelant et grave, un roman des douleurs silencieuses et de la compassion non sentimentale, préfigurant un auteur littérairement et humainement comparable à Raymond Carver, Flannery O’Connor ou Cormac McCarthy (spiritualité catholique non comprise), bref un livre important, illustrant ce qu’on pourrait dire un nouveau réalisme poétique ) 

  • Ceux qui gèrent l'émotionnel

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    Celui qui calcule la rentabilité des affects du personnel / Celle qui interagit dans le senti efficace / Ceux qui évaluent le potentiel coeur des sous-chefs / Celui qui anticipe ses élans non rationnels / Celle qui ratisse barje / Ceux qui se mesurent le QE / Celui qui modélise les pulsions inappropriées / Celle qui joue avec le compulsif activant / Ceux qui ont toujours un objet transitionnel dans leur baise-en-ville / Celui qui structure ses pulsions gagnantes / Celle qui minaude pour passer cadre sensible / Ceux qui rêvent qu’ils sont enfin plus qu’employés de l’Entreprise sans états d’âme / Celui qui relève sa pelle par fierté de tête de pioche / Celle qui pousse un cri primal devant le lavabo Dames de l’Entreprise / Ceux qui ne supportent pas la seule pensée d’une dérogation à l’ordre bureautique genre poil de cul sur une imprimante ou chien même petit à la cafète / Celui qui envoie paître le maniaco-dépressif récemment nommé à la tête des RH / Celle qui s’est tapé tous les responsables de RH avant la restructuration et qui se trouve désormais à la peine / Ceux qui se sourient tout le temps et se disent MERCI à longueur de journée pour pallier leur haine naturelle et leur désarroi surnaturel, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Du Salon aux rues chaudes

    Saloon.jpgAux Pâquis, succursale du Salon du Livre, ce samedi 28 avril, bien tard.Lorsque nous nous sommes pointés, hier, dans la halle monstre du Salon du Livre, l’extravagant brouhaha qui l’emplissait, comme d’un infernal tintamarre d’étourneaux, m’a fait lancer à ma bonne amie que c’en était déjà trop : que je n’allais pas tenir un quart d’heure dans ce boucan, mais aussitôt elle m’a calmé en me rappelant que les enfants ne faisaient qu’y passer et que c’est comme ça les enfants : que ça fait du potin ; et je me suis traité de gnou en me réjouissant alors qu’il y ait tant d’enfants à faire les fous autour du livre, ainsi de suite…

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    Or cet élan d’esprit positif m’est revenu, ce matin, en passant à la hauteur du stand de L’Hebdo, où le psychologue optimiste Jacques Salomé se félicitait lui-même, en toute modestie, d’avoir publié un aussi formidable petit livre que le sien. Et du coup je me suis dit sans malice: mais c’est cela même que chacun de nous pense en somme en toute modestie, et c’est cela qu’il faut claironner : c’est que son livre est formidable ! La chose peut sembler déplaisante mais c’est le contraire qui serait plutôt inquiétant : que nous prenions une mine contrite au seuil de notre jardin. Et cela m’a rappelé la leçon de notre bon pasteur Pierre Volet, genre prêtre ouvrier à la protestante, qui nous expliquait comme ça que ce qui distingue la vanité de l’orgueil tient à cela que l’orgueil est une fierté manifestée quand « il y a de quoi », tandis que la vanité manque « de quoi »… Or quel auteur passerait au Salon sans penser qu’il y a de quoi être fier de son livre ? Pour ma part, je me rappelle encore l’amour inconditionnel que l’incommensurable Flannery O’Connor portait à ses livres, qui m’a rappelé cette évidence que j’aime, moi aussi, chacun de mes vingt livres, comme autant d’enfants. Deux filles, une bonne amie unique au monde et vingt livres, et l’on ne se la péterait pas, au risque de chiffronner les chattemites ?

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    Quentin8.jpgSur quoi j’ai retrouvé tout àl’heure Quentin Mouron. Quentin qui ne voit, lui aussi, que le beau côté des choses. Quentin qui n’est pas du tout du genre à « positiver » niaiseux, mais qui a tout de suite perçu les attraits du Salon qu’il découvrait pour la première fois. Quentin avec lequel j’étais censé, une heure durant, m’entretenir à l’enseigne du Cercle de la librairie et de l’édition, à propos de nos deux livres et de tout ce qui nous est à l’évidence commun : le même amour d’une littérature qui dise le vrai jusqu’au noir, de Flaubert à Céline via Dostoïevski, la traversée des déserts contemporains et la tempête des sentiments, le vide du cœur, l’amour qui n’est pas aimé – tout ça que j’ai trouvé dans Au point d’effusion des égouts et qui s’impose avec plus de force encore et de pureté dans Notre-Dame-de la-Merci, à paraître à la fin du prochain été et dont j’annote à l’instant les feuillets sur cette table des Pâquis…

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    Francis.jpgUn autre motif de se réjouir de passer au Salon, aussi, tient aux rencontres et autres retrouvailles qu’on y fait d’année en année. Ainsi de Francis Richard, que je n’avais vu de visu qu’une fois jusque-là tout en ayant partagé nombre d’opinions et d’impressions avec lui. Francis aussi fou de lecture et vaillant blogueur que moi – Francis Richard l’homme d’expérience passé par affaires et entreprises et qui me racontait, cet après-midi, comment son grand-père, lors de la Grande Guerre, parce qu’on ne voulait pas de lui dans l’armée belge – né en 1895, il n’avait que 19 ans à ce moment-là – est  parti aux Pays-Bas puis en Angleterre où il a été enrôlé dans l’Intelligence Service. Retourné en Belgique il a été assez vite dénoncé par un membre de sa famille, torturé, amené au peloton d’exécution plusieurs fois pour le faire craquer. Or cette terrible épreuve m'a rappelé l'épisode de l'exécution de Fédor Dostoïevski, différée au dernier instant par l'annonce de la grâce du Tsar, et qui a marqué pour lui (rappelle Léon Chestov) une véritable seconde naissance, décisive pour son oeuvre à venir. Ensuite, Francis Richard m'a encore raconté comment, quand la Seconde Guerre Mondiale est arrivée, son grand-père a naturellement repris du service. A la fin de la guerre, bien connu pour ses faits de résistance – il a été élu aux élections provinciales après guerre sans avoir posé sa candidature… –, il est intervenu pour sauver des dizaines de personnes qui allaient être exécutées sommairement alors que la plupart d’entre elles n’avaient rien fait, mais étaient victimes de vengeances personnelles. Francis m'a parlé en outre de son père , antisémite comme on pouvait l’être à sa génération – il était né en 1906, c’était courant à l’époque et ne tirait pas à conséquence -, qui a pourtant sauvé des Juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre Mondiale, sans faire de la résistance pour autant - son antisémitisme n’ayant  rien à voir avec le racisme nazi…

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    À l’instant je devrais me trouver au Dîner des auteurs du Salon du Livre, avant de finir la soirée dans une boîte où Frédéric Beigbeder « mixera ». Le Dîner festif en question se déroule au Mandarin oriental, palace du bord du Rhône où j’ai déjeuné un jour en compagnie de l’excellent Metin Arditi, qui m’avoua au dessert qu’il en était un peu le taulier. Je me suis donc excusé, tout à l’heure, auprès de ce cher Metin qui m’a dit avoir déjà parcouru mon livre et y a trouvé du plaisir, avant de cligner de l’œil en m’avouant qu’il se serait bien passé de ce raout auquel, tout de même, il ne peut pas décemment échapper.

    Maxou3.jpgJ’ai compati et me suis trissé, porté par le vent tropical de ce soir qui ne pouvait me conduire qu’en ces lieux fleurant l’Afrique perdue et les Balkans canailles, le Levant louche et l’Asie retorse. Bref, alors que ma bonne amie allait rejoindre nos infantes, j’ai fui les admirables gens de lettres pour leur préférer les filles de joie et de peine qui peuplent 39, rue de Berne, le nouveau chantier romanesque de mon ami Max Lobe, hélas absent ce soir de son quartier.

    En alternance, seul à ma table de restau interlope, je me serai donc régalé à la lecture de Notre-Dame-de-La-Merci, de Quentin Mouron, et du nouveau roman de Maxou, alias Blacky, dont me touche le pâte humaine et l’africanité douce et dure, la malice et l’art d’un vrai conteur (justement repéré par la nouvelle Madame Zoé), sa vitalité de danseur de zumba et ses difficultés d’exilé assumant crânement sa situation de jeune Black « pacté » avec un Grison étudiant, enfin son regard lucide de Camerounais me faisant le pousser à composer une chronique de Huron à sa façon, découvrant la Suisse et nos jungles policées…

    Et sifflant ainsi, solo, tout l’alcool du monde en lisant deux livres de youngsters qui pourraient être mes petits-fils, je me suis retrouvé tout égayé dans cette sorte de succursale improbable du Salon du Livre...

  • Passons au Salon

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    Du Salon du Livre et de mon agoraphobie chronique. Du Big Bazar. De cette 26e édition et de l’engagement d’Olivier Morattel. Apostrophé à L’Apostrophe. Des rencontres impromptues. Djian et Stephan Eicher déclenchent l’émeute.

     

    Tard le soir en ville, ce vendredi 27 avril. - Il y a plus de vingt-cinq ans que j’essaie de m’y faire, mais pas moyen ! Pas moyen de me rendre au Salon du Livre l’esprit détendu et le pied léger, alors qu’on est censé y défendre et promouvoir l’objet même de ma passion de toujours. Or à quoi tient cette espèce de réserve mentale qui m’a toujours crispé ? Le côté foire, pour ne pas dire souk qui a caractérisé, depuis ses débuts, la manifestation genevoise dont le fondateur, Pierre-Marcel Favre, tablait sur une offre largement diversifiée combinant la plus grande librairie du pays avec des  expos de toute sorte, des salons dans le salon où se côtoyaient étudiants et mouvements alternatifs, entre autres animations médiatiques de tout acabit ? Sans doute regimbais-je devant l’aspect multipack de l’offre. Et la perspective, comme chroniqueur littéraire, de tomber tous les trois pas sur un solliciteur, éditeur ou écrivain, réclamant un article ; ou, comme auteur, de rester assis à attendre l’éventuel lecteur : tout cela m’aura toujours incité, d’abord, à fuir à toutes jambes, avant d’être pris au jeu des découvertes et des rencontres, et de faire avec de meilleur coeur.

    Falconnier2.jpgOr voici qu’un mois avant d’être libéré de mes activités de mercenaire de la plume, à 24Heures, la publication de mon vingtième livre, aux bons soins d’Olivier Morattel, m’implique en première ligne puisque, à mon insu mais de plein gré, mon nouvel éditeur s’est tant démené qu’il a fait inscrire le vernissage de mon livre sur la scène principale, entre un entretien avec Tristane Banon et un concert-performance de Philippe Djian et Stéphane Eicher. Autant dire que c’est avec certaine angoisse que je me suis pointé, tout à l’heure, sur le tréteau de l’Apostrophe où, pendant une petite heure, j’ai dialogué avec Isabelle Falconnier, nouvelle patronne du Salon et fine lectrice au demeurant qui m’a gratifié, déjà, d’une belle présentation de mes Chemins de traverse dans L’Hebdo…  

    Salon 011.jpgRépondant à ses questions bien affûtées et prouvant une lecture en profondeur, j’ai décrit par le détail, pièces en mains – plusieurs de mes carnets remplis de dessins et d’aquarelles, qui ont fait dire à Isabelle, visant Olivier Morattel, qu’il faudrait un jour publier des fac-simile de ces manuscrits enluminés -, ma démarche de grappilleur de pépites poétiques ou d’observations, de traits d’humeur ou de pensées de l’aube, de notes à profusion portant sur une quaranaine d’années, mais je n’ai pas dit ce que je dois relever à l’instant : c’est que ce montage de plus de 400 pages doit son existence  à l’enthousiasme fervent d’Olivier Morattel, contrastant tellement avec l’apathie de ceux qui « freinent à la montée » dans notre pays.  En outre j’ai réitéré ma vive reconnaissance à mon ami Jean Ziegler, reparti ces jours sur les routes du monde,  pour la généreuse lettre-postface dont il m’a gratifié.

    Bref, et non sans orgueilleuse allégresse évidemment, j’ai trouvé ce début de Salon tout à fait à mon goût, mon angoisse dissipée, et la suite amicale de la soirée, en compagnie de ma bonne amie,  ne m’a pas déçu. Au moment des dédicaces, j’ai été charmé de rencontrer Marie –Antoinette, femme de l’écrivain tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, auteur de premier ordre qui a rencontré cette Vaudoise aux yeux clairs, prof fille de paysans, dans la période troublée de la guerre civile. Des gens qui ont vécu, comme on dit, et qui rayonnent d’intelligence et de malice joyeuse : voilà qui fait du bien ; et ce sentiment s’est répété avec la rencontre des parents de Quentin Mouron, Didier l’artiste et Isabelle l’instite, autres incarnations vivantes d’une humanité de cœur et d’expérience en pleine pâte et en plein vent – ils ont construit ensemble un ranch dans la forêt québecoise, près de Notre-Dame-de-la Merci où se situe le deuxième roman de leur fils que je viens d’achever de lire – une merveille à la Raymond Carver, à découvrir en août prochain...

    Et ce n’est pas tout, rien que pour ce premier soir, juste avant l’emeute du concert de StephanDjian7.jpg Eicher et Philippe Djian – véritable « concert littéraire » des deux compères rejoints par un remarquable jeune guitariste -,puisqu’un brave Monsieur s’est pointé, mon livre sous son bras, pour m’entretenir du formidable Roorda, humoriste de génie et pédagogue anarchisant dont il a épousé la petite-fille, et l’entendre m’évoquer aussi ses croisières en voilier du côté de la Désirade (!) et de la Dominique. C’est là-bas, m’a-t-il raconté qu’il a essayé de payer une course en taxi avec un couteau suisse, à un  jovial chauffeur qui lui en a sorti un tout pareil de sa poche !    

  • Ceux qui évoluent

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    Celui qui achoppe à l’indéniable énigme que constitue l’articulation du coude de la grenouille fouine du point de vue de l’évolution / Celle qui récuse l’idée du dessein intelligent / Ceux qui gravissent le Mont Improbable par la face Sud / Celui qui lit entre les lignes des fossiles / Celle qui ne croirait même pas en un dieu qui twiste / Ceux qui ont de Dieu une idée meilleure que sa réputation / Celui qui ne prononce jamais le nom de Dieu sans vin / Celle qui pressentait l’omelette norvégienne en contemplant la soupe originelle / Ceux qui n’évoluent que par défaut / Celui qui ne croit pas au caractère irréductible de la complexité du moteur à flagelle de la bactérie / Celle qui estime qu’un type qui lui mord la main au lieu de la baiser a manqué un stade de l’évolution selon Darwin (Charles)  / Ceux qui militent pour la reconnaissance téléologique des lacunes / Celui qui dit voir Dieu dès qu’il ferme les yeux ce que sa maman trouve une preuve genre théodicée / Celle qui ne voit rien en ouvrant les yeux après que le marabout Joséphin lui a ordonné de voir l’Invisible / Celle qui était sirène avant de devenir salamandre / Ceux qui ont torpillé le projet de la cheffe prônant l’évolution du Concept / Celui qui comprend mieux le chant des limules qu’ avant son entrée au Rotary-Club / Celle qui aime boire du vin vieux  dans un soulier de vair neuf / Ceux qui adhèrent au créationnisme en fin de soirée pour mieux connaître la taulière au sens biblique / Celui qui a modélisé un plan du Jardin d’Eden en 3 D avant de profiter d’une offre géante d’Easy Jet / Celle qui invoque le « divin ajusteur de boutons » à l’instant de sentir filer la maille de son bas gauche / Ceux qui ne croient pas à un Big Crunch prochain mais se tiennent prêts dans leur villa Daisy / Celui qui pense avoir vu l’Ombre de Dieu au microscope électronique juste avant la panne de secteur / Celle qui trouve le mot athée trop froid à son goût / Ceux qui ont toujours la nostalgie des cloches du dimanche sans êtres sûrs qu’il y avait une église dans le quartier / Celui que la complexité de l’aristoloche émerveille tant qu’il appelle Dieu le Grand Aristolochier / Celle qui pense qu’il y a quand même Quelques Chose au ciel sinon comment le soleil y tomberait pas ? / Ceux qui évoluent selon les mouvements du vent et tombent si le vent tombe / Celui qui coupe l’herbe sous les pieds du dieu Pan / Celle qui est à la fois polyglotte et multiprise sans avoir rien lu de jean Rostand / Ceux qui n’ont jamais évolué en dépôt des conseils du Docteur Ruth qui a pris ces jours sa retraite en septembre dernier, etc.

    Image : Philip Seelen