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  • Le secret

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    …T’as quelque chose à me dire : je t’entends bien - je m’entends bien avec toi et je m’entends mieux avec moi quand t’es là, partout où je te retrouve sur mon chemin je me retrouve en même temps, je sais pas pourquoi mais c’est comme ça, même quand y a pas de lumière y en a quand t’es là…

    Image : Philip Seelen

  • Nostalgie

    Langhe.jpgDe seize à vingt ans ils ont tous rêvé d’Amérique mais seuls quelques-uns sont partis, et, maintenant que le temps a passé, ceux qui sont restés et ceux qui sont revenus voient le pays autrement du fait que ceux qui sont revenus parlent de ce qu’ils ont vu là-bas et du pays dont ils se sont langui avant de le retrouver, et le pays est embelli d’avoir été quitté parce que le pays est vu d’Amérique, un garçon tendre encore voit l’homme dur qu’il admire en secret lui dire que les femmes de là-bas ne valent pas celles de la montagne ici quand le printemps fait bander les gars, et celui qui est revenu pose sa main sur l’épaule du plus jeune et lui murmure que nul pays n’est plus beau que les Langhe les soirs d’été, mais ce qu’il raconte est aussi fait pour chasser le plus jeune de l’ennui de ces collines, fous le camp mon garçon, ne reste pas, réponds à l’appel de la rue, ne reste pas seul avec les vieux, va tenter ta chance, va vivre ta vie…

    (En relisant Travailler fatigue de Pavese)

     

    Image: Jacques Perrin

  • Un verbe de feu

     

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    La géniale Marina Tsveraeva revit au Théâtre de Vidy

    Du printemps 1903 à l’été 1904, une paire de petites filles russes séjournèrent dans un pensionnat lausannois du boulevard de Grancy, aux bons soins des très catholiques sœurs Lacaze. L’aînée, Marina, âgée de onze, sema la zizanie dans la sage pension en répandant les théories athées qui lui venaient d’une éducation très libre, frottée d’anarchisme. Un abbé « pêcheur d’âmes » s’occupa d’elle et de sa sœur cadette Assia, qui devinrent de vraies bigotes une année durant. Cette « crise religieuse » m’a guère laissé de traces dans l’œuvre de Marina Tsvetaeva, la plus grande poétesse russe du XXe siècle avec Anna Akhmatova, qui a en revanche signé un récit fascinant intitulé Le Diable, paru aux éditions L’Age d’Homme, à lausanne, en 1993.

    « Eblouissante Tsvetaeva ! », s’exclamait Soljenitsyne, « païenne pleine de lumière et de joie », ajoutait Ilya Ehrenbourg. Pourtant la trajectoire de cette femme farouchement libre, sauvagement indépendante, qui se pendit le dimanche 31 1941 en Tatarie après de terribles tribulations, fut marquée au sceau du tragique, entre amours impossibles et péripéties dramatiques, dont l’accusation fait à son ami d’avoir assassiné un agent soviétique. Déchirée par des exils successifs, tiraillée entre l’amour de son pays et le rejet de la dictateur, celle qui fut l’amie de Rilke et de Pasternak, comme en témoigne une correspondance mythique, a laissé une œuvre éclatante, au verbe de feu, qui exprime à la fois la révolte contre la bassesse matérialiste et l’aspiration à l’absolu.        

    Pour moduler ce verbe incandescent, la comédienne Anne Conti a réalisé un montage de textes qui fait intervenir aussi le chant et le geste.

    « Personne n’a besoin de moi ; personne n’a besoin de mon feu qui n’est pas fait pour faire cuire la bouillie », écrivait Marina Tscvetaeva, dont nous avons besoin plus que jamais au contraire.

    Lausanne. Théâtre de Vidy. Salle de répétition,du 9 au 19 février.

  • Le XXe siècle en fusion

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    Avec Fusions, Daniel de Roulet signe un magistral roman de l’atome perdu

    Daniel de Roulet n’en finira pas de nous étonner. Après le coup de l’incendiaire, voici qu’il nous fait celui du «roman du XXe siècle». Sur la véracité du premier, je continue d’avoir quelque doute. En revanche, Fusions est, de toute évidence, un formidable roman de notre époque, magnifiquement architecturé.

    Très intelligente mais d’une totale intelligibilité, très documentée mais jamais sèche, très pénétrante dans sa modulation des rapports entre hommes et femmes, cette chronique «chorale» d’un demi-siècle (de 1945 à 1988) brasse les grandes espérances et les désillusions d’une quinzaine de femmes et d’hommes, sans compter les savants Robert Oppenheimer et Andrei Sakharov, ou l’acteur-président Ronald Reagan dans son avion Air Force One ou «sur le trône» plus trivial des cabinets…

    Autant de personnages dont les aventures croisées font véritablement «exploser» le talent de l’écrivain, plus ambitieux et plus libre, plus fin et plus sensible, plus grave sans peser, plus tendre aussi, et souvent plein d'humour bienveillant, que dans aucun de ses romans précédents

    Architecte de formation et informaticien de haut vol, soixante-huitard et militant écolo, écrivain et coureur de marathon, Daniel de Roulet, né en 1944, signe avec Fusions un roman qui prend un sens particulier alors que la Suisse va sortir du nucléaire. Pourtant, ce n’est pas du tout un roman à thèse antinucléaire: le grand mérite de ce livre est de sonder la complexité du réel et les contradictions parfois criantes que nous devons vivre quand nos idéaux sont battus en brèche par la réalité.

    Fusions, qui donne son titre à un roman-tour de 54 chapitres, est aussi le nom d’une tour de 54  étages, conçue par l’architecte franco-suisse Max vom Plokk, petit-fils d’industriel et neveu du brillantissime ingénieur dit JP (pour Jean-Paul), qui ralliera les labos soviétiques au début des années 60, par conviction stalinienne. Dans ladite tour bien nommée, érigée à Londres, aura lieu, en juin 1988, la fusion des deux plus grandes entreprises de traitement des déchets atomiques, cumulant 130 .000  emplois et promises à un avenir radieux après que Reagan et Gorbatchev ont commencé de démanteler leur arsenal nucléaire. Dans Fusions vont se retrouver quelques-uns des protagonistes du roman, à commencer par le financier Tita Zins et deux femmes d'exception: Marthe, femme abandonnée par JP et qui reprendra la société fusionnée, et Shizuko la Japonaise, née à Nagasaki le jour J…

    «Téléphoné» tout ça, et le fait que le père de Shizuko soit justement le kamikaze qui s’est précipité sur le porte-avions Enterprise en 1945, ou que la mère de Shizuko ait été la maîtresse d’un des pères de la bombe américaine rencontré à Los Alamos? Cousu de fil blanc, le fait que ce Wolfie Steinamhirsch, Suisse d’origine et défenseur féroce du nucléaire, affronte à Tchernobyl la fille de son ancienne amante chargée du rapport sur la catastrophe? Invraisemblable le fait que Shizuko soit à la fois directrice de recherche en matière nucléaire et opposée aux nouvelles centrales, ou qu’elle se fasse faire un enfant par Max l'architecte, rencontré à Munich en 1968 et partageant son activisme sous la bannière de Greenwar?

    Réduit à un schéma sans chair, ce scénario très cinématographique pourrait, de fait, sembler trop voulu, voire artificiel. Mais ce canevas à «ligne claire», comme d'une bande dessinée, est admirablement nourri par les sentiments en évolution des personnages, qui réapparaissent à divers moments de leur vie, au fil d’une saisissante traversée du temps.

    Roman aux multiples points de vue, Fusions dégage finalement une grande empathie humaine et une véritable poésie dont la tour, symbole du génie humain et de sa fragilité, fait figure de totem.

    Daniel de Roulet. Fusions. Buchet Chastel, 374p.

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  • Contemplation

     

    C’est le soir, ce matin je lisais ce qu’écrit Max Dorra sur l’heureuse rencontre que constitue le Dieu de Spinoza, j’y ai pensé toute la journée, j’y ai pensé en nageant à midi 500 mètres en brasse coulée, j’y ai pensé en faisant pour celle que j'aime l’acquisition, avec le fric du prix littéraire que je viens de recevoir, d’un Bouddha de l’époque Song entièrement rongé par les termites à l’exception de l’impassible visage au sourire doux qui a traversé sept siècles avant de rayonner ce soir dans notre maison au bord du ciel, et j’y pense encore à l’instant en lisant le Manuel de contemplation en montagne d’Yves Leclair où je copie : « Tout le monde dort dans la paume d’un Dieu qui rêve », et je lis en moi : « Tout le monde rêve dans la paume d’un Dieu qui dort », et Dhôtel cité par Leclair : « L’univers vagabonde comme un enfant à travers ses abîmes. Mais il n’y a rien, absolument rien que le temps de Dieu, que chacun mesure à sa façon. »

    Bouddha de l'époque Song (960-1127). Provient d'un temple, détruit, de la ville de Xiaken. Bois aux traces de polychromie.

    (Note de juillet 2003)