À propos de Diplomatie de Cyril Gély, avec André Dussolier et Niels Arestrup.
À La Désirade, ce dimanche 19 février. – En écoutant pour la énième fois les sublimes scènes finales de Simon Boccanegra, à mes yeux le plus bel opéra de Verdi, où le bon gouvernement du Doge est restauré par un pirate incarnant en somme la future pacification des Etats italiens, la nuit gênoise me rappelle la nuit parisienne d’août 1944, hier soir à L’Octogone où se donnait une représentation de Diplomatie, de Cyril Gély, avec Niels Arestrup et André Dussolier dans les deux rôles de cet affrontement, aux conséquences historiques, du gouverneur allemand de Paris, le général Dieter con Choltitz, et du consul suédois Raoul Nordling.
On ne dira pas que Diplomatie est du très grand théâtre quant au texte, mais le dialogue de Cyril Gély est bien filé et « dessine » les personnages avec une densité croissante. Je n’aime pas beaucoup les envolée voulues «poétiques» par l’auteur, notamment lorsque le Suédois chante les charmes éternels de la Ville Lumière aux aubes bercées par la rumeur «océane» des balais sur les trottoirs ( !), mais la situation symbolique (et plus que réelle) est si formidable, et les deux personnages en présence si intéressants qu’on passe là-dessus; enfin l’interprétation des deux protagonistes est exceptionnelle, avec un André Dussolier un peu plus Français que Suédois, mais d’une maîtrise impressionnante dans l’alternance de la légèreté dansante et de la véhémence tragique, auquel Niels Arestrup ne le cède en rien dans sa formidable composition du général allemand de plus en plus poignant d’humanité à mesure qu’il s’effondre.
Deux traits historiques bien marqués par l’auteur m’ont particulièrement intéressé: d’une part, en réponse à l’évocation vibrante de l’injuste massacre des civils parisiens faite par Nordling, la référence de Von Choltitz aux bombardements massifs des villes allemandes par les Alliés, et notamment la destruction d’Hambourg par des bombes au phosphore, telle que l’a décrite W.G. Sebald après des années de silence imposé outre-Rhin; d’autre part, le dilemme personnel tragique vécu par le général allemand qui sait, après un décret récent du Führer, que sa famille sera massacrée s’il refuse d’obéir aux ordres.
Or la pièce, avec l’évolution du personnage de Von Choltitz, admirablement modulée par Niels Arestrup, en fort contraste avec le très digne et très habile Nordling de Dussolier, rend bien l’atmosphère d’effondrement de la fin du Reich, rappelant alors le climat du film mémorable d’Olivier Hirschbiegel, La Chute, dont on se rappelle la prodigieuse prestation de Bruno Ganz, plus encore que celui du Paris brûle-t-il ? de René Clément.
On n’a pas coupé, à la fin du spectacle, à la désormais (presque) inévitable, et non moins dérisoire coutume de la standing ovation, mais j’ai surtout regretté, pour ma part, le peu de spectateurs de moins de 30 ans dans la salle…