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  • Un Candide alémanique

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    À propos de Circulations, de Matthias Zschokke.

    La lecture de Circulations, de Matthias Zschokke, m’enchante. Il y a décidément quelque chose de walsérien chez lui, mais sans qu’on puisse parler vraiment d’influence; plutôt une forme commune de douceur et de mélancolie qui va de pair, chez l’un comme chez l’autre, avec une acuité d’observation tout à fait remarquable, frottée de la même malice vaguement panique.

    C’est un observateur tout à fait singulier que Matthias Zschokke, dont le nouveau livre rassemble une quarantaine d’évocations absolument épatantes, des lieux le plus divers. Ce livre, peut-être notre préféré de l’auteur, demande cependant l’attention vive du lecteur. De fait, rien n’est flatteur de ce que dit Zschokke de Berlin (où il réside depuis trente ans) ou d’Amman en Jordanie, de Guggisberg surplombant son Mitteland natal ou de New York, de Budapest ou Baden-Baden, Petra ou Ascona, notamment.

    Promeneur solitaire et rêveur oscillant entre la franche gaieté et des coups de blues mélancoliques, Matthias Zschokke n’est pas du genre à s’extasier devant les paysages « incontournables » et les monuments « à visiter absolument », sans les fuir pour autant. Sans doute les hordes qui « font la Thaïlande », les cars de Bataves ou de Bavarois, de Japonais ou d'Helvètes retraités le font-ils se tenir à l’écart, mais il n’en est pas moins curieux de divers lieux fréquentés par ses semblables, des auberges alsaciennes aux bains turcs ou aux spectacles d’opérettes de Budapest, en passant par les hauteurs alpestres du Val Maderan où se consomme le civet de chamois à la purée de gentiane et le rôti de marmotte.

    Matthias Zschokke dit avoir fait dans sa culotte « d’enthousiasme » en entendant pour la première fois son parrain chanteur interpréter des Lieder, et le même enthousiasme le saisit tant d’années plus tard dans la touffeur sèche d’Amman où il se sent en constant « état amoureux », sans viser personne de spécial. Et le fait est que les séquences de Circulations s’agencent un peu comme une suite musicale, succession de fugues et de variations, qui le fait passer d’un petit concert bernois au grand ramdam new yorkais où sa première escale coïncide assez naturellement avec une course-poursuite de rue se soldant par quelques cadavres, à deux pas du logis que lui a ouvert une Association culturelle espérant stimuler un regard neuf…    

    Ce regard est souvent d’un Candide pince-sans-rire. L’humour de Zschokke me paraît unique, qui me rappelle juste, parfois, celui de l'irrésistible Diary of a Nobody; en Suisse, ni Hugo Loetscher, ni un Emil n’ont cette finesse et cette pointe, surtout, qui aiguise le regard de l’écrivain partout où il va. 

    Matthias Zschokke. Circulations (Auf Reisen). Traduit d el'allemand par Patricia Zurcher, Zoé, 268p.        

  • Copains d'abord

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    À La Désirade, ce mardi 25 janvier. – Je découvre ce matin, sur le blog de La Tribune de Genève, à l’enseigne des Blogres d’écrivains, le premier écho publié à la lecture de L’Enfant prodigue, sous la plume de mon ami Antonin Moeri. Cela me touche fort. Les gens qui me détestent ou qui ne peuvent pas piffer Antonin concluront évidemment au copinage. Ils auront tout à fait raison. Tonio et moi sommes de vieux copains. Il m'est arrivé maintes fois, naguère ou jadis, de promener feu mon chien Cliff avec son père, Emile Moeri, cardiologue et médecin attitré de Charles-Albert Cingria. Je viens par ailleurs d'encenser le dernier recueil de nouvelles d'Antonin, Tam-Tam d'Eden. Donc il eût été outrageusement indécent qu'il ne me renvoyât pas l'ascenseur deux mois après. Ah les vendus ! Les culottés ! Tous pourris-gâtés...



    entrer des mots clefsMais voilà ce qu'écrit Antonin Moeri de L'Enfant prodigue:

    « Qu’il évoque un square parisien, les vagues du Grand Océan, une promenade à Tokyo, le tableau d’un maître ancien ou une nouvelle de Patricia Highsmith, Jean-Louis Kuffer a l’art de capter l’attention de celui qui l’écoute. Une lecture attentive des textes de Charles-Albert Cingria a certainement développé chez lui cette disposition. C’est à quoi je songeais hier soir, dans une cave veveysane, où JLK a lu des passages de son dernier roman L’enfant prodigue, paru aux éditions D’autre part.

    C’est dans un état voisin de la transe qu’il a rédigé ce livre. Les bonheurs d’écriture y sont si nombreux qu’un lecteur de ma sorte ne peut que donner son adhésion. L’enfance, la découverte des mots, puis des premiers émois liés à ce qu’il est convenu d’appeler la sexualité, la naissance et le premier fou rire d’une fille du narrateur, le lyrisme de nos dix-huit ans, le roman familial, la conscience de la finitude et de la mort, l’aube où le conteur ressaisit les parfums, les sonorités, les grondements, les soupirs et les couleurs d’un monde avec lequel une réconciliation est enfin possible, tout cela est raconté dans une langue de jubilation et de foisonnement qui vous entraîne comme un swing ou un quatuor de Shostakovitch.

    Foisonnement des comparaisons, des propos entendus, des images, des mots à tout faire, des verbes surprenants, des cadences et des répétitions. JLK fait danser la phrase, lui insufflant une efficacité mimétique. Il nous fait voir ce qu’il imagine, il nous promène dans le cirque de sa mémoire avec la verve d’un prestidigitateur. Il ne se contente pas de décrire ou de faire parler des personnages, il apprivoise les mots, les nourrit, les soigne, les charge d’un sens particulier. Il fait chanter les oiseaux qui nichent en eux. Comme si le logos était notre seule défense contre la mort.

    Et c’est cela que nous communique l’auteur. Par-delà bien et mal, un amour véhément de la vie qui n’évacue pas l’attention aux autres, à la femme demeurée que violentent les lascars du quartier, au petit Mickey méprisé par son père, battu par sa mère, et qui choisira la mort violente en se jetant sous un train. L’enfant prodigue est un long et magnifique poème que nous sommes invités à habiter. »

    entrer des mots clefsÀ La Désirade, ce dimanche 26 février. - Il y a un mois que mon dernier livre a paru, et les échos qui m'en reviennent sont tous assez favorables, mais l'un d'eux me touche plus que les autres, d'un compère de blog que je n'ai jamais rencontré mais que je connais un peu comme un frère lointain, dont j'ai lu deux livres, qui m'a envoyé une merveilleuse peinture et qui vit aujourd'hui à Sheffiled en Angleterre avec les siens.

    Il s'agit de mon ami Bona Mangangu qui m'a envoyé, l'autre soir, cette lettre que je tiens à publier ici, après l'en avoir remercié tout personnellement, d'abord parce qu'elle est belle et émouvante et ensuite parce qu'elle témoigne de la qualité des relations possiblement établie spar le truchement des blogs ou des réseaux sociaux.

    Un livre est une bouteille à la mer, et bienheureux celui qui en reçoit une réponse de cette qualité: 

      «Cher grand! J'ai promis de revenir vers toi après la lecture de L’enfant prodigue. Hélas, j'en suis au point où un terrible silence me pousse à rejoindre la cohorte de ceux qui ont choisi de se taire pour laisser pénétrer l'émouvante beauté des choses en eux, l'émouvante beauté de tes mots, l'émouvante beauté de ce qu'ils véhiculent. Comment me délivrer de ce point où les mots impatientent pour dire l'indicible? Voici donc les mots qui ne peuvent dire ce qu'il faudrait dire en pareille circonstance. Les mots de rien, les mots tournant sur le vide, les mots happés par le vide d'une bouche close. Je regarde autour de moi. Aucune présence, les enfants sont ailleurs. J'ai cependant la sensation d'être entouré d'une présence. C'est une ombre. Comment fait-on pour s'appuyer sur une ombre? Elle semble épaisse, parfois labile, souvent légère. Comment la serrer dans mes bras? Il me reste la voix, pour aller d'un point à un autre, dans les allées du temps sans me déplacer dans l'espace. Comment dire l'indicible lorsqu'on porte des couteaux dans la gorge, des rouleaux dans la voix. Non, non, les silencieux ne se taisent pas à jamais. Ils entendent, ils nous parlent, ils écoutent. Des voix vont et viennent. Celles que tu convoques, celles que ton Oratorio de l'enfance évoque, les miennes également, par ricochet; celles que je ne peux décrire, celles qui ont longtemps rejoint le royaume des aubes sans fin. Ta voix a libéré la mienne en me rendant tour à tour bègue, aveugle, bavard, clairvoyant. Et c'est par cette opération que je puis désormais faire bégayer le palimpseste redoutable de ma propre mémoire, je puis faire trembler mes ombres, convoquer leurs voix. Comment dire lorsqu'on porte les rouleaux dans la gorge, comment dire? J'écoute Novalis: « Parler pour parler est une forme de délivrance ». C'est ce que je fais en ce moment. Puis, te dire merci pour m'avoir transmis autant d'émotions, autant de frissons par ta poésie. Cela fait longtemps que je n'ai éprouvé de telles sensations devant un livre. Merci pour l'Enfant, du fond du coeur. Mon corps est enceint d'un enfant à venir. Pardon pour le bégaiement que tes mots ont suscité. »

    Bona, le bègue.

     

    Jean-Louis Kuffer. L'Enfant prodigue. Editions d'autre part, coll. Le Passe-Muraille, 288p.



  • Ceux qui boostent leur Timing

     


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    Celui qui se dit overbooké par son job / Celle qui se profile dans le rooming / Ceux qui flirtent backstage / Celui qui gère la guest star / Celle qui se paie un Sweet Home flashy / Ceux qui optionnent les capteurs / Celui qui crashe sa console / Celle qui se dit out après son shooting / Ceux qui planchent devant le Power Point / Celui qui snobe la Top Doll / Celle qui se givre au Bloody Mary / Ceux qui merchandisent les labels juniors / Celui qui manage le relationnel de ses filles briefées Old Style / Celle qui sponsorise la garden party du boy friend de son neveu trader / Ceux qui ne kiffent pas les snuff movies / Celui qui tarde à checker son matos / Celle qui se shave le pussy / Ceux qui mobbent le nain Bad Babe / Celui qui se ramasse un burn out destroy / Celle qui relève le défi du challenge en surfant sur la vague hype / Ceux qui font leur come back genre success story / Celui qui slame dans le sloop du steamer / Celle qui fait un master en brain coaching / Ceux qui performent au moment du casting / Celui qui se dit cool pour se la jouer soft / Celle qui se fait un brushing avant le Skype Dinner avec son ami Gary / Ceux qui novélisent la confession de l’escort girl / Celui qui fait du chilling dans la chatroom/ Celle qui raffole des barbecues au marshmallow / Celui qui se prend du cash pour un soir de fun / Celle qui se sent down / Ceux qui se déloguent de Facebook, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se trouvent bien partout

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    Celui qui estime que rien ne lui survivra / Celle qui affirme que Selle du baigneur d’Alfred Cahen est le plus grand roman d’amour de tous les temps / Ceux qui condamnent d’avance toute création nouvelle non soumise au contrôle des Mentors / Celui qui est payé pour exercer le Tutorat des jeunes plumes / Celle qui dirige le Bureau d’écriture automatique / Ceux qui obtiennent des subventions pour un projet qu’ils définiront ultérieurement en sous-commission / Celui qui ne fréquente que les résidences d’artistes avec piscines / Celle dont l’œuvre poétique est marquée par sa condition de femme d’attaché culturel à Bratislava / Ceux qui écrivent en résidence surveillée / Celui qui dit rêver d’Ailleurs comme on bâille / Celle qui erre dans Berlin avec le sentiment qu’elle est nulle part et partout à sa place / Ceux qui sourient à leurs souvenirs de l’été de la mort d’Hemingway qui fut aussi celle de Louis-Ferdinand Céline / Celui qui avait dix ans lors de la Tragédie de l’Eiger que les journaux appelaient l’Ogre de l’Oberland / Celle qui s’assied sur le banc offert par la Société des Dames Abstinentes / Ceux qui sont conscient de leur bon droit et n’en tirent aucun autre avantage que de passer tout le dimanche après-midi sur le banc offert à la communauté par la Société des Porteurs de Flamme / Celui qui se retrouve au Don Manoel de Porto où il oubliera le carnet noir dans lequel il a noté sa résolution d’en finir et l’oubliera elle aussi / Celle qui offre du vinho verde au désespéré et lui montre les testicules de son grand lapin / Ceux que la vie ne cesse d’interloquer même au Portugal ces jours de brouillard sur le front atlantique / Celui qui te reproche d’espérer plus d’enfants / Celle qui te prépare une soupe de chalet après ta grand virée sous les pics d’Europe / Ceux qui circulent avec bonheur dans les Circulations de Matthias Zschokke qui évoque Berlin, Amman, Budapest, Val Maderan, New York, Ascona et tant d’autres lieux avec la même originalité rare, etc.

    (Liste établie en marge de la lecture de Circulations de Matthias Zschokke, recueil de notes de voyage paru récemment chez Zoé)

  • Ceux qui reviennent sur leurs pas

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    Celui qui voulait juste revoir les fresques de Piero / Celle qui affirme que ce rouge-là est unique au même titre que le rouge Rothko / Ceux qui ont reconnu la Piazza Grande d’Arezzo sans l’avoir jamais vue qu’en rêve ou peut-être dans un film de Zeffirelli va savoir / Celui qui se rappelle qu’on appelait piafs les Italiens dans les années 60 mais qui ne se résout pas à qualifier d’Italiens les moineaux de Terontola / Celle qui t’a agressé au bar de Camucia au lendemain de l’assassinat d’Aldo Moro sous prétexte que tu défendais ce résidu de bourgeoisie pourrie / Ceux qui regrettent le temps du Duce pour des motifs à la fois nationaux et socialistes / Celui qui a juste eu le temps de graver ses initiales au pied de la statue de Pétrarque entre deux rondes du gardien / Celle qui loupe son train à cause de l’éloignement de l’edicolo et de sa jambe de bois / Ceux qui ne pensaient pas que la bataille de Trasimène se fût déroulée dans une région aussi touristique / Celui qui remonte la pendule de la paralytique / Ceux qui participeront au prochain Festival des Désespérés où Guido Ceronetti se fendra d’une performance / Celui qui boit du thé au miel dans la minuscule cuisine du Maestro qui lui rappelle discrètement que c’est le thé qui le boit et le purifie de son fiel / Celle qui fait la vaisselle du philosophe inconnu qui n’est pas loin de considérer que c’est un honneur qu’il lui fait enfin quoi / Ceux qui n’ont en commun que la fosse qu’ils appellent Jardin du Souvenir / Celui qui garde un chien de sa chienne à celle qu’on appelle la Renarde / Celle qui masse le bel aveugle fumeur de joints qu’enveloppe une odeur doucement écoeurante / Ceux qui vont fumer sous la marquise / Celui qui fleure le vieux caleçon moite de rond-de-cuir esseulé / Celle qui se sent plus propre de fréquenter les Salésiens / Ceux qui ont fait du cheval avec Gurdjieff sans présupposé sectaire pour autant / Celui qui se dit cathare parce qu’il tousse / Celle qui est trop coquette pour marner / Ceux qui mordent la poussière d’étoiles / Celui qui joue son va-tout-à-l’égout / Celle qui te fait une mine anti-personnelle / Ceux qui ne savent pas où tout ça finira et ne seront plus là pour le constater à moins que vous ne les consultiez en temps utile en suivant les procédure habituelles, etc.

    Image : Guido Ceronetti

  • Le double secret

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    À propos d’  Olivier, dernier récit de Jérôme Garcin

     

    Jérôme Garcin écrit, parle et mène ses diverses activités comme il monte à cheval: calme et droit. Les lecteurs du Nouvel Observateur, dont il dirige les pages culturelles et de ses vingt livres, autant que les auditeurs de l’émission radio Lemasque et la plume apprécient son style qu’on pourrait dire de main ferme dans un gant de velours.

    Personnage public et personne privée cohabitent chez lui avec une harmonie enjouée de façade, dont son mémorable Théâtre intime (Gallimard, 2003) a déjà laissé entrevoir les zones sensibles toujours à vif. Elles sont notamment liées à la mort accidentelle de son frère jumeau Olivier, à leurs 6ans, et celle de son père, tombé d’un cheval fou à l’âge de 45ans.

    Evoquant sa «carrière méandreuse de Tintin au pays des arts et des lettres», l’auteur d’un très futé Dictionnaire (François Bourin, 1988), consacré à la littérature française contemporaine et rédigé par les auteurs eux-mêmes priés de composer leur propre nécrologie (!), disait en préface y exercer le «sibyllin métier de journaliste culturel». Il avouait prendre «un insatiable plaisir à vivre quotidiennement entre la scène et le public, entre l’acteur et le spectateur. Au point de ne plus savoir vraiment s’il est le souffleur du premier ou l’ouvreuse du second, ni dans quelles proportions le cabot professionnel et le consommateur ordinaire se retrouvent chez lui»… 

    L’aventure publique de Jérôme Garcin a commencé sous les couvertures de son lit d’enfant de 10ans et des poussières. Avec, pour «second oreiller», le premier poste de radio portatif que lui offrit sa mère. C’est par son truchement qu’il s’installa sur France Inter ;   là qu’il découvrit le monde et, un soir de la fin des années 60, Le masque et la plume de Francois-Régis Bastide et son gang de critiques redoutés. Il reprit la direction du fameux programme en 1989, succédant alors à Pierre Bouteiller. Dans la foulée, précisons que Garcin se lança dans la critique dès ses 20ans, aux Nouvelles littéraires, et qu’il fut successivement rédacteur en chef à L’événement du jeudi, animateur et producteur à la télévision. Pour la rubrique people, il épousa Anne-Marie Philippe, fille d’un Gérard de légende…

    Jérôme Garcin est-il trop modeste pour se poser en écrivain alors que ses livres «personnels» s’inscrivent, avec élégance et sensibilité, dans le droit fil des chroniqueurs et des moralistes de la «ligne claire»? Disons plutôt qu’il reste élégamment réservé, digne descendant d’une longue lignée de médecins cultivés, républicains et catholiques, interrompue par son père, Philippe.

     Or l’écriture n’a pas moins été décisive dans sa trajectoire personnelle, qu’il rende hommage aux autres (tels Jean Prévost, Bastide son mentor, Jacques Chessex son ami ou Bartabas l’écuyer-artiste) ou qu’il poursuive son travail de deuil et d’exorcisme «du côté de la vie.

     

    Un exorcisme 

    "Je viens d’avoir 53ans; nous venons d’avoir 53ans. Je n’aime pas ce rituel (…) Il ravive une colère d’enfant révolté par l’injustice, une hébétude, un effroi, dont, malgré tous les efforts qu’on fait pour se tenir droit, on ne se relève jamais."  Ainsi commence ce récit, prenant parfois à la gorge mais qui n’est plus de deuil: plutôt de double ressaisie, par l’intime et par l’«extime» psychologique, voire médical. Il interroge alors la petite enfance partagée par deux complices fusionnels et, plus «objectivement», le phénomène singulier de la gémellité. «Survivre à son frère jumeau est une imposture. Pourquoi moi, et pas toi?» s’est longtemps demandé Jérôme le solide, le terrien, le gourmand de la vie, alors que son frère Olivier semblait, en la «délicatesse suspecte» que capte une dernière photo, voué à ce destin tragique. Mais "c’est si facile de faire parler, longtemps, après, les petits morts"...

    Or, oscillant entre la remémoration de la tragédie, à laquelle s’est ajoutée la disparition prématurée du père, une réflexion sur la mort des enfants et un regard sur la vie qui continue, ce récit touche aussi par sa musicalité intérieure.

     

    Jérôme Garcin. Olivier. Gallimard, 152p.