La 64e édition fera date. Avec une foison de moments forts et de découvertes. Et malgré son palmarès controversé.
« Le Festival de Locarno vit actuellement en état de grâce », déclarait Marco Solari avant même l’ouverture de l’édition 2011, et le bilan final de celle-ci donne raison, dans les grandes largeurs, au Président de la manifestation. De fait, et malgré la pluie, ce grand rendez-vous des amoureux de cinéma a été marqué cette année par de très beaux moments et par maintes découvertes tous azimuts.
3000 personnes qui ovationnent debout le Vol spécial de Fernand Melgar, 8000 spectateurs touchés au cœur par la projection de Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau sur la Piazza Grande - Prix du public combien prévisible -, ou la même place mythique saisie d’émotion à la découverte du dernier chef-d’oeuvre d’Aki Kaurismäki, Le Havre : trois exemples entre beaucoup d’autres.
Et ces étoiles du cinéma auxquelles on a déroulé un nouveau tapis rouge, sans trop de flafla mondain pour autant : Leslie Caron saluant en français le génie créateur de Vincente Minelli (sujet de la passionnante rétrospective, à redécouvrir bientôt à Lausanne), Harrison Ford recevant son léopard d’or avant de jouer du colt sur l’écran géant, lsabelle Huppert multipliant les tendres salamalecs à Claude Goretta et Maurice Pialat, Gérard Depardieu faisant son numéro de grand cabot sympa devant un public venu en masse, ou enfin Claudia Cardinale se pointant à la FEVI pour la projection de 8 1/2, chef- d’œuvre de Fellini qu’elle irradie de ses vingt ans - autant d’apparitions « glamoureuses » qu’Olivier Père a su combiner avec son entregent malin sans « singer » le festival de Cannes…
Un vent de renouveau a été salué par la presse, de nos confrères tessinois aux grands journaux parisiens, lesquels ont coqueriqué en constatant la forte représentation française de cette édition, souvent décevante au demeurant. Mais Olivier Père dépasse le chauvinisme français en accueillant aussi généreusement le cinéma suisse (l’étonnant Hell du tout jeune Tim Fehlbaum, sur la Piazza Grande, et trois films en compétition internationale, sans parler des Appellations suisses) que les cinématographies du monde entier et les genres les plus variés.
Le public roi
Surtout, dans la ligne accentuée par Frédéric Maire avec l’appui de Marco Solari, le directeur artistique et son équipe ouvrent le festival à un public de plus en plus large. Le Festival de Locarno a cela de particulier que le public, sympathique et éduqué, y est roi. L’ambiance de Locarno est conviviale, les nombreuses salles font le plein, les débats publics sont souvent intéressants, l’atmosphère de la Piazza Grande est unique au monde.
Reflet de la réalité mondiale avec les thèmes des films présentés (l’immigration, le choc des cultures et des générations, l’environnement menacé ou les peurs apocalyptiques), le Festival de Locarno est aussi représentatif de goûts difficiles à concilier. Le palmarès de cette année, comme celui des deux éditions précédentes, signale ainsi un hiatus certain entre les critères des jurés professionnels, cinéphiles pointus, et ceux du public.
Premier film sensible et vif d’une jeune réalisatrice suisse originaire d’Argentine, le Léopard d’or de cette année, Abrir puertas y ventana, de Milagros Mumenthaler, s’inscrit pourtant mieux dans « l’esprit de Locarno » que les blockbusters hollywoodiens tonitruant cette année sur la Piazza. Or Maire et Père ont voulu cet enfant un peu schizo qu’est devenu le Festival de Locarno. Et le Président Solari boit du petit lait…
Le palmarès (partiel) de l'édition 2011
° Le Léopard d'or de la compétition internationale a été attribué au premier film de Milagros Mumenthaler, Abrir puertas y ventanas (Back to stay), production helvético-argentine.
° Un léopard d'or spécial du jury revient à Tokyo Koen, du Japonais Shinji Aoyama.
° Un autre prix spécial du jury est décerné à Hashoter, de l'Israélien Nadav Lapid.
° Le léopard d'or de la section Cinéastes du présent a été décerné à L'Estate di Giacomo, de l'Italien Alessandro Comodin.
° Un prix spécial du jury, dans la même section, revient à L'Estudiante, de l'Argentin Santiago Mitre.
° Fernand Melgar a reçu, pour Vol spécial, le Prix du jury oeucuménique et le Prix du jeune public. Il a annoncé que le total des sommes reçues serait reversé aux requérants déboutés qui ont participé au film.
Une polémique indigne
Interrogé à propos de l'absence, au palmarès, de Vol spécial, le documentaire percutant de Fernand Melgar consacré aux vols spéciaux par lesquels, dans des conditions révoltantes, les sans-papiers sont renvoyés de Suisse, Paulo Branco, le président du jury, a parlé d'un « film fasciste » au prétexte que les victimes et les bourreaux bénéficient de la même attention de la part du réalisateur. Ce jugement, absolument injuste à nos yeux, fait fi de la qualité majeure du travail de Melgar, fondé sur l'honnêteté intellectuelle et l'approche non partisane d'une situation complexe dont pâtissent évidemment les requérants d'asile déboutés, mais aussi les fonctionnaires et autres gardiens, souvent choisis parmi des étrangers sensibles au drame de l'immigration.
Questionné à propos de cette accusation violente, Fernand Melgar a très justement invoqué la différence d'approche de deux générations : celle de Paulo Branco, dont l'engagement manichéen est typique des années 60-80, où la posture de dénonciation passait avant l'exposition des faits, et celle des cinéastes du réel qui, comme Melgar lui-même ou comme un Jean-Stéphane Bron, estiment que les faits sont assez forts pour convaincre le spectateur sans lui imposer la leçon de manière péremptoire et univoque.