Chemin faisant (17)
Séparation. – À cette terrasse de La Marsa où nous nous trouvons avec quelques amis, Samia la prof de littérature nous fait observer les deux peuples qu’il y a là : celui de la terrasse qui a les moyens de consommer et l’autre là-bas de la plage où les gens se baignent gratuitement ; et c’est là-bas que je vais ensuite, à la mer qui appartient à tous mais où l’on ne voit pas un seul Européen pour l’instant, pas un Américain ni un Japonais, et les femmes mûres se baignent tout habillées ou ne se baignent pas, et voici cette vieille qui admoneste cette adolescente en maillot au motif qu’elle s’est trop approchée des hommes, là-bas, qui font les fous de leur côté…
Le secret. – Dans le dernier livre de Colette Fellous, un amour de frère à paraître prochainement, une scène des plus troublantes en dit long sur la très grande intimité et la très grande distance unissant-séparant la jeune sœur de vingt ans et son frère de sept ans son aîné lorsque de celui-ci, reposant nu après sa mort, nu mais sous un drap, sa sœur s’approche, seule, et soulève le drap pour voir de lui cette chose qu’elle n’a jamais vue alors qu’un tel amour les unissait qu’elle draguait parfois les garçons pour lui – ce confondant secret de l’autre ignoré, trop dangereusement aimé et interdit, séparé par sa mortelle maladie de diabétique et par celle de vivre aussi…
La nuit des femmes. – Le bord de mer de Moknine n’est pas loin aujourd’hui du cloaque, où Rafik et les siens venaient se baigner en leur âge tendre, et c’est devant ce rivage infect, paradis de jadis, qu’il m’apprend que les femmes, ici, n’étaient autorisées à se baigner que la nuit ; et je me rappelle alors les affolements pudibonds de notre grand-mère paternelle tout imprégnée de sentences bibliques et surtout de l’Ancien Testament et de l'apôtre Paul le sourcilleux, jérémiades et malédictions, chair maudite et interdits variés, qui nous enjoignait, garçons, de cacher notre oiseau, et pas question pour les filles de porter ces minijupes ou ces bikinis inventés par Satan...
Image: photo JLK.
Commentaires
Je r(e)lis à rebours ces "Notes en chemin" sur la Tunisie, de la 17 à la 9, et je suis éblouie par tous les personnages rencontrés : Samia la prof de littérature, Rafik l'étudiant, Azza la romancière, Rafik le scribe, Hafedh le conseiller, Nozha la gracieuse et la joyeuse, Azza la femme médecin et écrivain, les vieux fiancés de Moknine, Rafik et ses frères, Rafik le voltairien, Rafik l'intraitable laïc, Semi l'enseignant frère de Rafik le scribe...
J'avais lu "Avenue de France" de Colette Fellous. Bien envie de lire "Un amour de frère", quand il paraîtra.
Merci de ces Notes en chemin.
Dommage j'aurais pu vous croiser , j'étais en Tunisie mais j'avais pas internet , j'ai raté votre passage , je suis de la banlieue je n'étais pas loin .
Je me réjouis de votre passage , vous avez constaté de vous même je pense un semblant de poussière si j'ose dire qui couvre l'avancée de la Tunisie , un contraste flagrant .