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  • Eloge du brouillard


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    D’aucuns vont prétendant que le brouillard est l’ennemi Numéro Deux, après la pluie givrante, de la déambulation radieuse. Or je m’inscris en faux contre cette vision des choses. Le brouillard, que Gustave Roud disait le Seigneur de l’Automne, et qui agit à vrai dire quand il veut et partout où il veut, jusqu’à Salamanque - le brouillard est un révélateur de visions précisément.
    De ma fenêtre haute de Sent, en basse-Engadine, d’où se déploie ordinairement la vue du val splendide à tendres gazons jusqu’au château de Tarasp, sous le promontoire duquel l’Inn descend en gracieux méandres dont les multiples S annoncent Scuol et Seraplana et Sbruck en Autriche, on ne voyait ce matin-là qu’une grande présence de velours de suie aux reflets d’anthracite et j’étais comblé : je me revoyais en Cornouailles et à Salamanque.
    Le brouillard de Cornouailles est aussi remarquable, on le sait, que celui qui remonte soudain le long des flancs du Machu Pichu, mais le brouillard le plus étonnant au monde (in the World) est le brouillard à Salamanque, qui flotte à moyenne hauteur de passants et coupe ceux-ci à la taille, au tronc ou à fleur de tête, produisant dans ses meilleurs moments d’intéressantes variations de Magritte.
    A Sent, ce matin-là, le brouillard était également inventif,  traversé de longues grandes formes inquiètes cheminant comme des âmes en peine, sans doute sortie des légendes du Trentin voisin, peut-être montées des contes de Dino Buzzati, soudain dissipées par un coup de dague de la lumière matinale ouvrant une faille vers les hauteurs de Guarda, à trois coups d’ailes de choucas, et de nouveau plus rien, autant dire : tout à imaginer…

  • Quand Douna sort du bois

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    Avec son premier livre, L’Embrasure, la romancière genevoise impose immédiatement un univers et un style. Superbe découverte !

     

    Douna Loup entre en littérature sous son vrai prénom mais avec le masque d’un pseudo qui la pare aussitôt d’une espèce de charme sauvage, et de même son écriture s’affirme-t-elle d’emblée par sa rapidité féline et sa sensualité, sa force et sa grâce. Son premier livre, composé en quelques mois et envoyé par la poste aux éditions Gallimard, y a trouvé la meilleure place aux côtés des Romandes Pascale Kramer et Gisèle Fournier, à l’enseigne du Mercure de France. Rien cependant de « fait pour plaire » au goût du jour parisien dans ce roman fulgurant dont la pâte humaine, déjà très dense et vibrante, laisse deviner une maturité scellée par  une expérience vécue loin des serres académiques ou littéraires conventionnelles. Et le fait est que, sans avoir atteint la trentaine, Douna Loup a déjà vu pas mal de pays, comme on dit.

    Née à Genève en milieu artiste, de parents marionnettistes initialement proches du fameux Théâtre du Loup (encore lui !) en ses débuts, Douna passa ses jeunes années dans la Drôme avec les siens, dans la région de Dieulefit, poursuivant ensuite ses études à Valence avec une option théâtre qui lui fut d’un premier apport évident aux yeux de qui lit son roman, autant qu’on y sent la forte présence de la nature forestière.  

    Une expérience humaine décisive la marque, ensuite, à la fin de sa scolarité, lorsqu’elle s’engage comme volontaire dans une mission de Madagascar et découvre la détresse des orphelins sur fond de pauvreté, tout en assistant une sage-femme qui ne fut pas loin d’influencer ensuite sa propre vocation.

    « Cette immersion dans la vie des plus démunis m’a apporté énormément », constate aujourd’hui Douna, qui ne parviendra guère, plus tard, à persévérer dans ses études universitaires (sociologie et ethnologie), trop abstraites à son goût, leur préférant bientôt un travail d’écrivain public spécialisé dans les récits de vie. C’est d’ailleurs par ce biais que Douna Loup, revenue à Genève où elle vit désormais avec son conjoint malgache et leurs deux filles, qu’elle a rencontré le Congolais Gabriel Nganga Nseka avec lequel elle a composé un premier livre intitulé Mopaya, récit d’une traversée du Congo à la suisse (L’Harmattan, 2010). Jusque-là, l’écriture s’était limitée pour elle à une journal intime tenu depuis des années et à quelques nouvelles.

    Quant à son roman, c’est lors d’un atelier d’écriture à Romainmôtier que Douna en a trouvé l’amorce. «Le déclencheur en a été cette phrase d’un chasseur que j’ai relevé dans un journal : « Quand je tire, ce chevreuil ne sent pas venir sa fin. Rien à voir avec ces bêtes qui attendent et puis meurent à l’abattoir ». À partir de là, sachant juste quelle courbe son histoire dessinerait jusqu’à son dénouement, la romancière s’est laissée guider par son instinct. « Certaines expériences fondamentales, comme le rapport avec la mort que j’ai observé à Madagascar, me sont revenues, mais le roman s’est développé de manière très physique, pour ne pas dire organique»...  

     Douna Loup, L’embrasure. Mercure de France, 155p.

    Comme une initiation 

    On entre dans ce roman clair-obscur par une page immédiatement saisissante, dont les mots nous prennent par la gueule et ne nous lâchent plus ensuite. On y entre par une forêt « grande, profonde, vibrante, vivante et vivifiante », dans la foulée sûre et souple d’un jeune chasseur ardent bien dans son cuir qui traque la bête comme il le ferait d’une femme. Mais dans cette forêt, qui est elle-même comme une femme, la chasse est « mieux qu’un flirt »…

    Bref, le protagoniste de L’Embrasure est un mec « qui assure », comme on dit, malgré la faille et la pénombre qu’il y en en lui, où se tapit un secret qu’il refoule.

    On pourrait le dire macho, mais s’il aime, avec ses compères, chasser ou lever des filles sans problème, son problème à lui, lié à la mort de ses parents, va lui revenir en pleine figure à la découverte, dans les bois, du cadavre d’un type de son âge qui a choisi de se laisser mourir par idéal, comme il l’a expliqué dans ses carnets. Or voici qu’une femme, survenue après d’autres mais qui « assure » elle aussi, le force à confronter son propre secret à celui du mort avant de revenir du côté de la vie, où elle l’attend pour essayer un pas de deux.

    Il y a de l’initiation dans ce magnifique petit roman, qui passe par le savoir de l'aïeul et  la médiation de la femme. Au fil de phrases fluides et belles, filant dans le courant vif, Douna Loup conduit son récit avec autant de force que de sensibilité, laissant au cœur une trace marquante.

    Douna Loup. L’Embrasure. Mercure de France, 157p.

  • Ceux qui s'aiment comme ils sont

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    Celui qui en a sa claque des parfaits / Celle que la notion d’excellence selon Bologne fait gerber / Ceux qui ont dans les poches des adresses de maisons / Celui qui s’accuse grave pour mettre un peu d’ambiance dans le confessionnal de l’Abbé Crabe / Celle qui s’adresse à elle-même de messages osés sur son blog ludique intitulé On s’éclate / Ceux qui se retrouvent au 13 de la rue des Campanules pour une partie carrée du tonnerre avec les collègues de la Coopé / Celui qui allume un cigare à la verrée du fitness Hyperforme / Celle qui crache sur les lauriers roses du jardin des Du Pontet de Sous-Garde / Ceux qui admettent qu’ils ne sont absolument pas libérés au niveau sexe et qu’ils s’en tapent si ça vous gratte / Celui qui explose soudain dans le Compartiment Méditation du train soumis à la règle du silence non mais des fois / Celle qui préfère son nez genre trompette au pif parfait genre Dombasle de la bêcheuse structuraliste / Ceux que leurs qualités éminentes constipent éminemment / Celui qui n’aime pas les vertueux point barre / Celle qui soutient à Adèle que son péché peut lui coûter son ticket pour Là-Haut aussi Adèle réfléchit-elle / Ceux qui se repentent dans l’impatience de recommencer / Celui qui pratique la confessée / Celle qui supplie son confesseur noir de la punir à fond / Ceux dont l’âme noire a de beaux reflets / Celui qu’il faudrait payer pour qu’il pèche enfin sans compter / Celle qui se roule et roucoule dans sa chasteté autoproclamée / Ceux qui ont noirci leurs ailes aux bordel cramé / Celui qui est juste amoral quoique caporal / Celle qui sera très jalouse aujourd’hui entre dix heures dix et douze heures douze / Ceux qui sont frustrés de ne pas être claqués par leur père quand ils l’envoient chier même à mots couverts / Celui qui deviendra mauvais à force de s’y essayer / Celle qui avoue ce qu’elle croit le Péché des Péchés à l’Abbé Zundel qui lui dit : petite, continuez… / Ceux qui pensent que tout déviant se soigne par la chimie si l’électricité n’y suffit pas / Celui qui aimerait s’en sortir sans savoir trop de quoi / Celle qui pèse les péchés de ses sept garçons baptisés qu’elle fait châtier par cet Abbé Férule de Montjoie dont les damnés médias diront plus tard des choses qu’elle ne voudra point savoir / Ceux qui sont de moins en moins tolérants au fond / Celui qui s’en remet les yeux fermés au Nouveau Pouvoir Citoyen qui les lui crèverait s’il les ouvrait / Celle qui se réfugie dans les bois tout pleins d’oiseaux et de génies rigolos / Ceux qui ont fait le tour de la Question et vous font dire que vous seul détenez la Réponse, etc.
    Image : Philp Seelen

  • Ceux qui positivent à mort

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    Celui que le mauvais temps n’atteint point dans son recoin / Celle qui se la joue Pollyanna en pyjama sans fente / Ceux qui sourient par défi au mur gris qu'il y a là dans leur cachot pas vraiment rigolo / Celui qui trouve an brouillard un attrait postromantique convenant à sa dégaine de petit gothique émo à bagouzes sataniques / Celle qui s’enrhume dans la brume et n’en fredonne pas moins un refrain plein d’entrain poil aux seins / Ceux que réunit la passion du croquet / Celui qui rit tout seul en voyant le jour grincer comme un vieux canapé / Celle qui montre ses dents au vent et son derrière au cimetière / Ceux qui font la pige aux moroses et autres déprimés prosélytes / Celui que même la foule du métro tôt l’aube réjouit / Chelle qui ne dichconvient point que la vie che matin a du chien / Ceux qui somment le temps vilain de s’aller faire voir en Estonie mais le temps n’obéit point le mesquin / Celui qui se lève du pied gauche et se botte le fondement du pied droit / Celle qui sourit au vieux décati dans son youpala / Ceux qu’accable la bonne humeur programmée des hystériques de l’aérobic / Celui qui a tellement positivé qu’il en a crevé cet été dans son jardin arboré / Celle qui trouve tout vachement bonnard et l’écrit ce matin pour y croire / Ceux qui te disent à tout moment de profiter sans te demander ton avis / Celui qui se réjouit de te savoir son ami et toi aussi donc vous voilà deux c déjà ça / Celle qui remercie Son Créateur (elle dit Mon Dieu) d’avoir fait le monde en couleurs / Ceux qui vont par les chemins en humant de loin les parfums de la forêt / Celui qui reconnaît avec volupté la chaude odeur du crottin que sa canne de non voyant (ça se dit aveugle en français matinal) lui permet du moins d’éviter / Celle qui arrose les fougères de son ample pissat de vachère / Ceux qui ayant à gouverner y vont à présent puisque de sot métier il n’y a point, n’est-ce pas, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui ont la baraka

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    Celui qui tombe dans l’escalier du Palace Baur Au Lac et se brise toutes ses dents de devant / Celle qui prétend avoir vu le lièvre d’eau sur les bords du lac de Constance / Ceux qui sont fiers de leur drapeau de gymnastes vétérans de La Chaux-du-Milieu / Celui qui lit le dernier Beigbeder dans le tumulte de la Fête Fédérale de Gymnastique / Celle qui essaie de réveiller son conjoint Marcel ronflant à la messe de la communauté intégriste de Murmeldorf / Ceux qui continuent à taxer les Allemands de Boches au camping Les Gentianes / Celui qui réduit tout au déterminisme de la géographie / Celle qui estime les homos globalement plus corrects que les hétéros / Ceux qui disent qu’un citoyen qui ne vote pas ferait mieux d’aller vivre à l’étranger / Celui qui espère que l’Eglise catholique va redevenir leader mondial / Celle qui se voit tout à fait en phase avec les Golden Dolls / Ceux qui militent pour l’accueil des chiens et des hamsters au culte protestant / Celui qui comprend qu’il vaut mieux adorer l’Eternel Absent que de se faire larguer tous les trois jours / Celle qui a trouvé auprès de l’Abbé Christinat le substitut de ses antidépresseurs / Ceux qui prisent le « roulis moral » cher à Dostoïevski / Celui qui écoute Bach sur son i-Pod au milieu de l’île Saint-Pierre / Ceux qui reviennent fatalement à la Cinquième Promenade du rêveur solitaire / Celle qui lance à sa mère qu’elle a raté sa vocation de kapo / Ceux qui sont plutôt Rottweiler / Celui qui se dit fait pour ce qui part en couille / Celle qui cherche une forêt de bouleau pour lire du Pouchkine dans l’ambiance / Ceux qui regrettent la grand époque des Boyards / Celui qui lit L’homme de désir dans son cabanon du Perche / Celle qui se trouve trop girly et pas assez wild / Ceux qui ont juniorisé la meuf idéale / Celui qui dit préférer les paysages irlandais aux petites Anglaises / Ceux qui ont laissé passer leur chance au tournant du XXIe siècle / Celui qui pense qu’une religion varie en fonction de la température ambiante moyenne / Ceux qui concluent la lecture du dernier Houellebecq en se disant : ça c pile de l'amer Michel, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui se cooptent

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    Celui qui fait pression pour que le cadre sup qui vit avec son ex lui amène sa voix à charge de revanche / Celle qui rappelle que toute décision de l’économat doit être soumise à l’aval des RH / Ceux qui militent pour des licenciements plus démocratiques au niveau des cadres moyens / Celui qui consulte sa base avant de déclencher l’offensive à fleurets mouchetés genre néo-socialisme / Celle qui demande que les chroniques ostensiblement néo-libérales de Kristel l’adjointe du réd en chef soient cooptées par le team des rédactrices globalement centre-gauche / Ceux qui décident en petit comité avant de faire croire au grand comité qu’il est à fond partie prenante / Celui qui estime que l’ensemble du Groupe doit surmonter son conflit de loyauté en votant pour le rejet de la motion du comité sortant à moins d’un désistement en dernière instance d'un des nouveaux membres désignés ou de plusieurs / Celle qui exige un vote à main armée / Ceux qui font rimer charité et duplicité dans les suaves embrouilles de leurs magouilles / Celui qui manipule le sous-groupe de pression lié au Lobby prête-nom / Celle qui booste les majorettes hésitant à lâcher prise / Ceux qui lâchent la proie pour la pénombre / Celui qui invoque les disparus de l’année pour inciter le Groupe à resserrer ses rangs de plus en plus clairsemés / Celle qui sape l’ambiance des RH en les criblant de SMS signés Qui Vous Savez / Ceux qui se sont dissolvés dans le groupe de fusion et ça c’est vachement dur à résolver, etc.

    Image : Philip Seelen