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  • Liquidation

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    …Tout doit disparaître, m’étais-je dit en caressant ses cheveux doux, c’était ma petite princesse égyptienne et deux mille ans et des poussière après cette aube au bord du Nil je reste toujours ému par son épaule affleurant les draps, dans le trépidement des avions, tout doit disparaître, me dis-je en me rappelant que nous avons passé la nuit dans ce putain de motel d’Atlanta, demain nous descendrons dans les tombeaux de la Vallée des Rois si le vol d’Egyptair ne se crashe pas, ma main prend la sienne comme pour la retenir, ses bracelets tintent doucement  sous le drap bleu et j’oublie un instant  que tout doit disparaître…   

     Image: Philip Seelen

     

  • Un désir d’aube


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    Par Françoise Ascal

    J’ai toujours aimé les creux , les grottes, les poches d’ombre, le caché ordinaire, celui qui trace des galeries sous l’écorce ou tient l’abeille en son alvéole, celui des terriers de lièvre ou de loutre , celui des amoureux enlacés les soirs d’été dans les trous d’obus que l’herbe a recouverts, celui des puits d’où remonte l’eau du jour dans un grincement de vieille poulie, celui de l’âtre ruisselant d’une suie grasse et noire. J’ai toujours su que c’était là ma place, que j’étais vouée à ne jamais quitter les territoires de l’obscur .
    J’ai toujours aimé.
    Ou peut-être il m’a fallu aimer.
    Ou peut-être je n’ai pas eu la force de.
    Ou peut-être l’orgueil de n’être rien a-t-il fait pousser de grandes racines dans la noirceur native, dans l’humus compatissant. Manière de solidarité avec ce « d’où je viens » et ses figures dévastées par l’Histoire.


    Dans la salle commune des miens, j’ai vu cuire à petit feu les raves à cochon. Bêtes et hommes même haleine. J’ai vu les mains déformées des femmes sans sommeil, les dos voûtés des vieux qui ne s’attendrissaient que sur leurs vaches. J’ai ouvert des tiroirs à bouts de ficelles, à bouts de papier lissés/pliés , à bouts de crayons que nul n’aurait jetés quand bien même ils auraient la taille d’un dé à coudre. J’ai entendu des silences très ordinaires qui n’avaient pas de fond.


    Lorsque j’ai dû travailler à mon tour, c’est tout naturellement que je suis entrée dans une cave à fous. Je les aimais, eux aussi. A la lueur des bougies, nous peignions des fresques sur les murs décrépis. Certains n’avaient pas de jambes. D’autres vacillaient sur leur prothèse. Pour eux je montais sur la table. Ils battaient des mains en faisant cercle, et du plus haut possible je jetais les couleurs à toute volée. Nous les regardions éclater, couler, rebondir en taches éblouissantes, en longues déchirures énigmatiques et nous y lisions les signes de nos destins. Quelques uns mouraient. Mais ils étaient aussitôt remplacés. Chaque jour les portes électroniques de la grande maison s’ouvraient sur un frais contingent. Le chef enfournait les nouveaux venus dans ma cave baptisée « atelier ». Il faisait bon dans ma cave-atelier. Aussi chaud que dans une étable. Et le plus jeune d’entre nous avait les cils émouvants d’un veau. Mes petites sœurs portaient des prénoms de princesses persanes , elles avaient de longs cheveux et les membres déliés, mais elles refusaient de manger et je les voyais dépérir. En vain j’usais mon souffle à ranimer des braises.
    Un quart de siècle j’ai habité ce lieu, sous le regard de la charmeuse de serpent, parmi les gigantesques feuilles vert sombre du Douanier Rousseau. La lune nous contemplait ironiquement. Mais tous, nous captions le son de la flûte, un petit air confidentiel qui ne s’adressait qu’à notre communauté. Cela suffisait à notre joie.


    Maintenant la vieillesse m’a rejointe. Chaque jour me rapproche de l’origine. Je vous ressemble, femmes du plateau enchaînées à vos marmites . Mêmes rides au coin des yeux. Même gravité inutile.


    J’écris.
    Plus souvent dans les nuages que sur papier.
    Je m’adresse à mes chers déglingués, aux tordus récalcitrants dont je connais l’impeccable trajet sans concession, à mes ancêtres qui se sont accommodés.
    Je vous écris aussi, inconnus qui remuez dans mes songes.
    Je n’ai pas à économiser les mots.
    Je peux prendre les plus colorés, les plus brillants. Ceux du dimanche.
    Pourtant mes préférés ont un goût de terre. Un goût ombreux.
    Ils affectionnent les violettes qui grandissent au pied des buissons et que nul ne remarque, les minuscules fougères croissant dans une faille de roche .


    Mes mots aimeraient se rendre ailleurs.
    Emprunter des chemins d’aube.
    Saluer la mer, les grandes plages de sable fin, le vol des mouettes. Recueillir le bruit du vent dans les pins, le duvet des palombes.
    Ce n’est pas possible.
    Mes doigts glissent, dérapent, tombent dans des ornières tourbeuses.
    Mes doigts en reviennent toujours au creux aux trous aux grottes.
    Mes doigts déterrent les morts.
    Inlassablement.
    Mes doigts sentent la corde de chanvre de celui qui s’est pendu, dans le grenier de la maison, juste au-dessus du poêle où mijotaient les raves.
    Mes doigts veulent encore une fois caresser les visages oubliés de ceux qui n’avaient pas de mots, de celles qui, enfantines aux tristes sourires, ne grandiront jamais.


    Mes doigts n’ont pas de repos.


    Peut-on croître sans racines ? Peut-on dresser des branches hors de son sol ? Peut-on quitter sans trahir ? Faire un pas de côté loin des mares des puits des sorts ?


    Avant de m’enfoncer dans la mort végétale, avant de me dissoudre dans l’ultime terreau, je voudrais recueillir les étincelles de l’aube. Les boire. M’en emplir. Dilater mes poumons. Connaître la joie spacieuse que j’appelle depuis des millénaires, la joie qui n’a pas de bord, pas de centre, pas d’ombre,

    La joie spacieuse

    celle qui tremble peut-être,
    et appelle à son tour
    au tréfonds des trous des grottes des creux,
    dans le bleu fusillé d’une plume de geai.


    (dimanche 1 février 2009
    Saint-Barthélemy
    en écho aux « Pensées de l’aube » de JLK)


    F. A.

    Ce texte, paru en préoriginale dans Le Passe-Muraille, No78, en juillet 2009, fait l'objet d'un livre d'artiste publié à l'enseigne de l'Atelier de Villemorge, avec un bois gravé de Jacky Essirard. 

     

  • Champ du soir

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    Je ne me lasse pas, depuis des années et des années, de retrouver le soir, sur quelque chemin au bord du ciel, un vieux marcheur du nom de Gustave Thibon. Cette année-là, il avait passé 90 ans et il citait ce texte de Michel Foucault sur l'aveu: "Nous sommes devenus une société avouante... On avoue ses péchés, on avoue ses crimes... on avoue son passé et ses rêves... on s'emploie, avec la plus grande exactitude, à dire ce qu'il y a de plus difficile à dire...On avoue en priuvé et en public, à ses parents, à ses éducateurs, à son médecin... L'homme en Occident est devenu une bête avouante".

    À quoi Gustave Thibon ajoutait: "La société devient ainsi un confessionnal de plein vent où l'aveu sans repentir tient lieu d'absolution. Il faut souligner la part d'exploration de l'inconscient dans ce dévoilement de l'âme. On a éliminé le mystère d'en haut; après quoi on a supprimé, en l'éclairant, le mystère d'en bas. Le ciel fermé et l'égout grand ouvert..."

    Gustave Thibon. L'Illusion féconde. Fayard, 1995.

  • Bret Easton Ellis de retour

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    Ils sont riches, ils sont beaux, ils ont tout, mais il leur manque l'essentiel…Vingt-cinq ans après la publication de son premier roman Moins que zéro, l’histoire continue dans Suite(s) impériale(s), à paraître chez Robert Laffont le 20 septembre 2010, dans la collection Pavillons. 

    Clay, l’anti-héros du premier best-seller de Bret Easton Ellis, Moins que zéro, revient à Los Angeles. Il a vingt ans de plus, il est un peu plus vieux, un peu plus seul et désœuvré. Il retrouve ceux qu’il a connus dans sa jeunesse, Blair, Trent, Julian, Rip… les représentants d’une génération dorée et perdue, abandonnés à la vacuité, la solitude et la vanité qui les détruisent.

    Producteur associé à l’adaptation cinématographique de son dernier scénario, Clay participe au casting du film, joue de son pouvoir, séduit Rain, une jeune actrice sublime et sans talent, lui fait de fausses promesses. Il est prêt à tout pour la posséder. Mais qui manipule qui ? Clay découvre vite qu’il est constamment observé et suivi…

    Jalousie, trahisons, meurtres, manipulations… ici, dans la Cité des Anges, chacun se heurte aux mêmes jeux d’emprise et aux mêmes démons, s’enivre de sexe, d’images, de drogues, de fêtes irréelles… et se révèle toujours plus amer et désespéré. Le vide et la fureur aspirent les personnages, et leur font perdre tout sens des limites.

    On est saisi par la virtuosité du style sobre et acéré, les chapitres courts donnent à la narration un rythme percutant. L’atmosphère est oppressante, la noirceur non dépourvue d’humour. L’angoisse et la tension croissantes annoncent une lente descente aux enfers. Le portrait de notre époque est aussi violent que subversif.

     

     

    Elklis4.jpgBret Easton Ellis est né à Los Angeles en 1964. Dès la publication de son premier livre Moins que zéro, en 1985, il a connu un succès foudroyant et s’est imposé comme l’un des écrivains majeurs de sa génération. Suivront Les Lois de l’attraction, American Psycho, Zombies, Glamorama et Lunar Park. Traduite dans le monde entier, adaptée au cinéma, son œuvre est l’une des plus significatives de la littérature contemporaine.

     

     

  • Ceux qui caftent

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    Celui qui ne supporte pas les jeunes vandales du quartier des Blaireaux contre lesquels il envisage de lever une milice secondée par des chiens civils / Celle qui prétend que le nouveau 4x4 des Duvanel a été payé au moyen d’une avance sur héritage / Ceux qui estiment qu’Alberto Contador doit se dénoncer lui-même / Celui qui précise toujours que Michel Foucault avait la préférence sexuelle qu’on sait mais que ça n’enlève rien à son mérite académique / Celle qui téléphone à Madame Schneck pour se plaindre de ce qu’un peu d’huile de vidange de Monsieur Schirm a coulé sur l’allée du lotissement privé Les Campanules / Ceux qui ont entendu dire par la concierge bosniaque que les Croates du troisième auraient laissé le chien Bogumil dans leur trois-pièces avec des biscuits secs et de l’eau pendant les quinze jours qu’ils sont en Dalmatie / Celui qui compte les visiteurs que reçoit la nouvelle locataire de l’entresol qui a l’air de se prendre pour Arielle Dombasle avec ses longs ongles peints en violet foncé / Celle qui rapporte ponctuellement les faux bruits que le fondé de pouvoir Ledru lui révèle pour tester une fois de plus sa discrétion dans l’Entreprise / Ceux qui estiment qu’un Bon Chrétien se doit de révéler les manquements graves aux Dix Commandements des paroissiens censés honorer la communauté des Sœurs et Frères,etc.

     

  • L'attente

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    …L’un des voyageurs qui ont passé par là prétendait que ceux en qui nous mettons tous nos espoirs n’arrivent jamais que lorsque personne n’a plus besoin d’eux, mais ce n’est pas ce que j’ai observé pour ma part, répond celui que sa confiance presque illimitée a fait bénéficier de toutes les coïncidences heureuses, à commencer par  ses retrouvailles avec Maria après tant de tribulations de part et d’autre et les sept heures d’attente de ce soir de la catastrophe aérienne à laquelle ils ont échappé tous deux   - Maria qu’il appelle la femme de sa vie et qui a cessé de fumer trois ans après la naissance de leur fille Nora, ceci n’ayant aucun rapport avec cela…

     

    Image : Philip Seelen